Révolution citoyenne : entretien avec Jean-Luc Mélenchon

vendredi 28 avril 2023.
 

Depuis plus de dix ans, Jean-Luc Mélenchon prône la « révolution citoyenne ». La formulation vient de Rafel Correa, élu président de l’Équateur en 2007 : durant son investiture, l’intéressé l’avait présentée comme un « changement radical » visant à tourner la page du néolibéralisme.

Après avoir rassemblé près de quatre millions de voix autour de sa candidature à la présidentielle de 2012, le leader du Front de gauche a cofondé le mouvement La France insoumise : en 2017, ce sont sept millions de Françaises et de Français qui ont voté pour celui dont le programme est, notamment, axé sur le « partage des richesses », la « planification écologique », la « sortie des traités de l’Union européenne » et la fin de la Ve République. Dirigeant local, dans sa jeunesse, de l’Organisation communiste internationale — une formation trotskyste —, Mélenchon avait rallié le Programme commun porté par le Parti communiste et le Parti socialiste, avant de quitter ce dernier pour ressusciter ce qu’il appelait alors « l’autre gauche ».

C’est désormais « le peuple » que son mouvement entend mobiliser. Dans le cadre de ce dossier entièrement consacré aux différentes stratégies de rupture avec l’ordre dominant, la revue Ballast est allé à la rencontre de Jean-Luc Mélenchon et a publié cet entretien passionnant.

Depuis 2009, vous appelez à la « révolution citoyenne ». C’est une stratégie qui rompt à la fois avec le modèle révolutionnaire historique et la gauche social-démocrate. Sur quoi se fonde-t-elle ?

Une stratégie doit avoir une base matérielle dans la société. Dès lors, une stratégie révolutionnaire doit commencer par répondre à la question : qui est l’acteur révolutionnaire ? De la réponse à cette question dépendent les formes d’organisation et d’action. J’ai appartenu pendant longtemps à une école de pensée pour qui le salariat était l’acteur exclusif de la révolution. On allait donc à sa rencontre. Nous pensions l’action en fonction du lieu et de l’organisation du travail des salariés. Je prends l’exemple de la révolution prolétarienne car c’est dans cet espace conceptuel que la pensée sur les révolutions est la plus fournie. Depuis la victoire de la révolution bolchevik, nous disposons d’un ample matériel de discussion. Tous les dirigeants du mouvement ouvrier se sont exprimés, ont écrit ou parlé sur le sujet. Par contre, en 1789, l’étude du processus révolutionnaire n’était pas au cœur des préoccupations des révolutionnaires eux-mêmes. Ici et là, dans un discours ou deux de Robespierre ou de Saint-Just, on trouve quelques considérations sur la forme de l’action révolutionnaire ou sur ses développements. Par exemple, la fameuse affirmation de Saint-Just toujours si exacte : « Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau. » Ou son évaluation : « La Révolution est glacée1 ». Ce sont des analyses sur l’état de la révolution permettant la pensée stratégique. Pourtant, le rôle de l’action des sections de sans-culottes n’occupe aucune place dans la pensée des dirigeants. Or ce sont elles qui imposent un triple pouvoir : monarchie et système féodal/assemblée/sections. Dans les sections se trouve une forme de vérité sur l’acteur révolutionnaire de 1789. Évidemment, aujourd’hui, cet acteur ne peut être le même qu’à l’époque, ni à celle de la révolution prolétarienne.

« La révolution citoyenne dit partout : "Nous voulons contrôler." Que ce soit au Soudan ou au Liban, nous observons ces mêmes dynamiques internes. »

L’organisation générale de la production, la division du travail, la part des branches d’activité : tout est changé. Le capitalisme, puis le capitalisme financier, ont notamment réduit la paysannerie à la portion congrue. Elle a été liquidée comme classe sociale. Ce n’est pas une petite évolution ! Autrefois, on ne pouvait élaborer une théorie de la révolution socialiste sans prendre en compte les paysans. Un nombre considérable de congrès de gauche se sont déroulés sur le thème de l’alliance avec la paysannerie. Et qui dit paysannerie dit propriété d’un moyen de production : la terre elle-même. Ce n’était pas un petit défi ! Aujourd’hui, nous faisons face à une grande homogénéisation sociale. Les libéraux pensent que nous sommes tous connectés et emmaillotés par le marché. En fait, nous sommes tous dépendants des réseaux collectifs et cette dépendance institue un acteur social nouveau. C’est la thèse centrale de ce que j’appelle « l’ère du peuple ». L’acteur révolutionnaire de notre époque est le peuple.

Comment le définissez-vous, justement ?

Le peuple se définit comme l’ensemble de tous ceux qui ont besoin des grands réseaux collectifs pour produire et reproduire leur existence matérielle : eau, énergie, transports, etc. La nature de la relation à ces réseaux, privés ou publics, détermine la forme et le contenu des luttes, et d’une façon générale la lutte révolutionnaire. On réclame l’accès ou on dénonce l’impossibilité d’accès à tel ou tel réseau : ainsi, quand on augmente le prix du carburant, on ne peut plus se déplacer, donc on n’a plus accès aux réseaux — ça donne les gilets jaunes. Un autre exemple : l’augmentation du prix des transports en commun, ça donne la révolution chilienne en 2019. On pourrait multiplier les exemples avec le Venezuela, l’Équateur ou le Liban. La coupure d’accès aux réseaux agit comme un déclencheur intersectionnel de toute la pile des contradictions qui, jusque-là, allaient chacune dérivant dans leur coin. Mais il y a aussi dans ce peuple une caractéristique contre-intuitive : plus il y a de monde, plus il y a de peuple, plus il y a dans le même temps individuation. Le peuple de la révolution citoyenne se tient à l’intersection de ces deux grandes idées : le collectif par nécessité, l’individuation par réalité. Elles se rejoignent dans la volonté d’auto-contrôle. La révolution citoyenne dit partout : « Nous voulons contrôler. » Que ce soit au Soudan ou au Liban, nous observons ces mêmes dynamiques internes. À cette étape, compte tenu du nombre d’observations faites depuis le début du millénaire, nous pouvons dire que nous disposons d’une phénoménologie2 de la révolution citoyenne.jlm03

Quels sont les contours de cette phénoménologie ?

Nous avons pu dégager quatre marqueurs. Premièrement, l’acteur populaire se désigne lui-même comme « peuple ». Il revendique le terme dans ses slogans. Deuxièmement, cette auto-désignation s’accompagne toujours de symboles qui viennent conforter l’acteur et sa légitimité. C’est une affaire de visibilité : gilet jaune, jaquette violette, une couleur, une fleur. C’est un facteur anthropologique plus fort qu’il n’en a l’air. Cela remplit la même fonction que l’uniforme ou la scarification. Troisièmement, le peuple auto-désigné mobilise systématiquement le drapeau national.

Doit-on l’entendre comme une forme de nationalisme ?

Non. On peut même dire que ça n’a rien a voir.

L’extrême gauche, dans sa grande majorité, l’analyse pourtant ainsi.

« J’invite mes camarades d’extrême gauche à briser le mur qu’ils ont eux-mêmes construit. Le drapeau national n’est pas synonyme de nationalisme chauvin. »

J’invite mes camarades d’extrême gauche à briser le mur qu’ils ont eux-mêmes construit. Le drapeau national n’est pas synonyme de nationalisme chauvin. C’est une confusion. Je vous mets au défi de trouver un rassemblement populaire à portée révolutionnaire où l’on ne trouve pas, du Soudan à l’Amérique latine, le drapeau national. Le peuple s’empare du drapeau national pour dire aux dirigeants : « Nous sommes le pays, pas vous. » Une autre façon de dire « Tout est à nous ». C’est un symbole démocratique et dégagiste. La Révolution française de 1789 crie à Valmy « Vive la nation ! », par opposition à « Vive le roi ! ». C’est autant une revendication qu’une affirmation identitaire très politique : la nation, c’est le peuple souverain. De même pour la Commune de Paris face aux Prussiens. Du fait de son contenu et de sa revendication de souveraineté citoyenne, le processus de la révolution citoyenne remet en cause la légitimité de ceux qui sont aux commandes. C’est un phénomène de transcroissance3 du processus révolutionnaire, passant du terrain social au terrain démocratique. Léon Trotsky avait bien décrit ça dans les conditions de la révolution prolétarienne. Au fond, dans les révolutions, il n’y a qu’une question posée : « Qui exerce le pouvoir ? » C’est pourquoi la révolution citoyenne se présente comme un double pouvoir. Celui des ronds-points face à celui de l’État. Pour finir, l’identité sociale du gouvernant suffit à résumer la société qui se met en place.

Vous revendiquez l’échelle nationale comme l’espace de la transformation sociale et vous cherchez à construire une identité émancipatrice « nationale-populaire », au sens du communiste Antonio Gramsci. Vous ne vous bornez pas seulement à constater ce sentiment patriotique…

La nation est aujourd’hui l’horizon de la souveraineté populaire. On peut en rêver d’autres, transnationaux, mais ils sont aujourd’hui inexistants. On ne peut pas uniquement penser la démocratie dans des termes abstraits, sans réalité matérielle. La démocratie a sa possibilité d’exercice de masse inscrite dans l’État-nation à l’instant où nous parlons. Le sentiment patriotique dont je me réclame est celui-ci : il est lié à l’idée républicaine, à l’idée de la souveraineté populaire comme pierre angulaire de la nation. En France, plus qu’à d’autres endroits, il est facile d’identifier le projet national à notre camp. Nous avons un drapeau et un hymne issus d’une révolution populaire. Notre devise dit « Liberté, Égalité, Fraternité ». La nation, chez nous, procède de la République — et non l’inverse. Cela signifie qu’être français n’est pas une religion, une couleur de peau ou même une langue. La nation française peut accueillir la créolisation4 puisque son unité repose sur des principes. D’ailleurs, on retrouve les symboles nationaux dans tous les grands moments récents de pouvoir populaire en France : la Révolution française, bien sûr, mais aussi la Commune de Paris ou la Résistance et la Libération. On a parfois du mal à sortir d’une image faussée des événements.

Prenons la Commune de Paris.

Toute l’extrême gauche la célèbre. Karl Marx la tenait pour « la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail ». C’était une révolution citoyenne ! Les communards voulaient tout contrôler. Ma thèse, d’ailleurs, c’est qu’il n’a jamais existé que des révolutions citoyennes. Elles ont utilisé des méthodes différentes et présenté des programmes différents selon le niveau de développement des forces productives. Il faut se départir d’une version mécaniste du marxisme où le prolétariat accomplit par nécessité le destin du développement des forces productives, comme une sorte de simple accoucheur de l’Histoire dont le parti est le forceps. Cette explication du processus révolutionnaire est trop sommaire. D’ailleurs, il n’y a même pas chez Marx de description de ce qu’est un processus révolutionnaire ! La seule fois où il en parle, c’est pour comparer la révolution à un phénomène naturel, une éruption volcanique. À défaut, notre camp a longtemps pris la révolution de 1917 comme archétype. Ce qui a conduit à surévaluer l’importance du parti. Je n’y crois pas. Le moment clef de cette révolution est la discussion de dernière minute entre Lénine et Trotsky pour savoir qui va faire le coup d’État. Le parti, dit Lénine. Il redoute les conciliateurs de son entourage, lesquels ne jurent que par « la démocratie socialiste » en lien avec les gouvernants. Le Congrès panrusse des Soviets, dit Trotsky. La révolution d’Octobre est l’expression d’une légitimité démocratique : celle des Soviets. Pour moi, le moment est fondateur !

Qu’avez-vous à reprocher à la conception léniniste du parti ?

« L’Avenir en commun est un programme de transition : il rompt avec la société actuelle sans dire quelle société il compte instaurer, en faisant confiance à l’Histoire pour répondre à la question. »

Son succès vient de la victoire du parti bolchevik dans la guerre civile russe. Mais, au départ, il s’agit bien d’une révolution citoyenne. Que veulent les Russes en 1917 ? Que la guerre s’arrête. Ils ne comprennent pas pourquoi les dirigeants ne mettent pas un terme à un conflit impossible à gagner ou à perdre. Ils ne veulent plus mourir pour rien. L’événement déclencheur de la révolution russe, ce sont les trois jours de suite de manifestation des femmes — contre l’avis de tous les partis révolutionnaires. L’effondrement de la cosaquerie, qu’on a envoyée pour leur tirer dessus, provoque, par effet domino, l’effondrement de l’État tsariste. Le parti bolchevik finira par emporter la mise uniquement parce qu’il est le seul, d’un bout à l’autre, à vouloir arrêter la guerre. Puis la révolution russe bascule elle-même dans la guerre civile lorsque les bolcheviks décident de dissoudre l’Assemblée constituante. Ce n’est pas une petite question. Il faut lire les écrits de Rosa Luxemburg. Elle comprend que le processus d’agitation démocratique est une condition de la durée et de l’accomplissement de la révolution. Les bolcheviks pensent que la direction du parti est suffisante. Cette conception avait été très bien critiquée par Trotksy dès 1905. Il nomme ça le « substitutisme » : le parti remplace la classe, le comité central remplace le parti et le secrétaire général finit par remplacer le comité central. C’est exactement ce qui s’est passé. C’est la cause de la rupture du congrès de Tours. Il faut d’ailleurs lire le discours de Léon Blum. Qu’y dit-il ? Qu’il est favorable à la prise du pouvoir « par tous les moyens, y compris les moyens légaux ». Il dit également qu’il est « bien sûr » favorable à la dictature du prolétariat. Donc, qu’est-ce qui le différencie, en tant que socialiste, de ceux qui deviendront les communistes ? Une seule chose : la manière de diriger le parti. À mes yeux, l’extrême gauche reste captive d’une mythologie révolutionnaire qui n’est pas le cœur des événements politiques : barricades, affrontements armés ponctuels entre les possédants et la masse des déshérités. Or ça ne s’est jamais passé ainsi. Relire l’ensemble des révolutions à l’aune des critères que nous avons posés dans le cadre d’analyse de la révolution citoyenne permet en revanche une meilleure compréhension de la réalité d’un processus révolutionnaire.

Vous remontez ainsi jusqu’à quelle révolution ?

Même au XIVe siècle chez Étienne Marcel, on peut repérer ces mécanismes ! Pour décrire la dynamique interne des révolutions citoyennes, deux concepts empruntés au trotskysme sont utiles. Il y a d’abord le mécanisme de « révolution permanente ». Le processus révolutionnaire produit un effet d’auto-entraînement : « Puisqu’on a fait ça, pourquoi on ne ferait pas ça ? » Ensuite, il y a le phénomène de transcroissance des revendications sociales en revendications démocratiques, ou l’inverse. C’est pourquoi les révolutions citoyennes débouchent sur des assemblées constituantes. Pour continuer à emprunter à Trotsky, on pourrait dire que L’Avenir en commun est un programme de transition : il rompt avec la société actuelle sans dire quelle société il compte instaurer, en faisant confiance à l’Histoire pour répondre à la question. Ce n’est pas une ruse propagandiste. C’est un alignement sur la dynamique réelle des processus révolutionnaires citoyens.jlm05

Et quelle est donc la quatrième caractéristique de la révolution citoyenne ?

L’anonymat. Personne n’est autorisé à représenter les autres. Il n’y a pas de centre de décision. Tout mandat est révocable sur-le-champ. Ce peut d’ailleurs être la difficulté fatale de ce type de mouvements. Cette caractéristique est liée au haut degré de connexion qu’on y repère également : tout le monde a un smartphone. Souvenez-vous que la taxe sur les échanges WhatsApp a déclenché la rupture populaire et la révolution au Liban en 2019. Cette omniprésence du réseau numérique, on la repère systématiquement depuis les révolutions citoyennes du Maghreb. Cela ne signifie pas que le numérique provoque la révolution. L’outil est investi par la réalité du monde en réseau, c’est elle qui s’exprime à travers des outils.

Vous parlez de « difficulté fatale ». Contrairement à une large partie de la gauche radicale, soucieuse d’horizontalité démocratique, vous considérez que le ou la leader occupe une fonction stratégique et progressiste. Pourquoi ?

« Beaucoup de Vénézuéliens des barrios découvraient la politique avec Chávez à la télévision et finissaient par créer des conseils de quartiers. »

Il y a un rôle démocratique du leader. Le tribun met en mots les idées des autres. Il les représente à la tribune. Et, souvent, le fait d’entendre ses idées, ses expériences, ses affects prononcés sous une forme articulée et intelligible produit un effet non négligeable de catharsis. Le discours du tribun va rendre visible le caractère partagé de ce que l’on pensait personnel. Il fait passer de l’individuel au collectif. L’action du leader peut conduire à une mise en mouvement et, donc, à une réappropriation populaire du politique. Prenons l’archétype du leader populiste de gauche : Chávez dans les années 2000. Beaucoup de Vénézuéliens des barrios [quartiers populaires, ndlr] découvraient la politique avec Chávez à la télévision et finissaient par créer des conseils de quartiers. Le contact avec le leader avait un effet d’approfondissement de la démocratie. La méfiance ou le déni de ce phénomène vient d’une vision du combat politique comme quelque chose de désincarné. Mais c’est l’inverse. Il n’y a pas d’un côté les vilains affects et de l’autre le pur monde des idées rationnelles. Les affects et les idées sont les deux aspects d’une seule et même réalité. Les affects sont les idées en mouvement chez chaque individu. La relation affective au leader n’est pas forcément un fanatisme obscurantiste et autoritaire. Cela peut aussi être une façon pour les personnes engagées de se représenter la force collective à laquelle ils s’identifient. Et dans ce cas, c’est un moteur démocratique puissant. Dans les faits, toutes les organisations sont identifiées par un leader. Mais nous n’en finissons plus de payer les crimes du culte de la personnalité qui s’est observé dans le stalinisme et le maoïsme…

Pour répondre à cet ensemble de caractéristiques et d’évolutions, comment en venez-vous à passer du parti (le Parti de gauche) au mouvement (La France insoumise), comme forme d’organisation ?

En tâtonnant à partir de notre analyse matérialiste des nouvelles conditions des révolutions, « l’ère du peuple », et de la phénoménologie de la révolution citoyenne. Restait à saisir de quelle manière sa victoire serait possible et quels pourraient en être les points d’appui. Le mode d’organisation dépend des conditions matérielles d’existence et d’organisation de l’acteur révolutionnaire lui-même. L’ère du parti correspondait à celle du chemin de fer, du téléphone filaire et de l’imprimerie. Le journal est au cœur du parti. C’est lui qui dit la vérité ou provoque l’étincelle. Il doit édifier, rendre les événements compréhensibles et unifier le prolétariat dans la bonne ligne et la bonne stratégie. Le journal suppose un organe de direction qui décide de ce qu’il y a dedans. Il imprime un rythme particulier, quotidien et, du coup, en retard d’une journée sur les événements. Sa diffusion repose sur le chemin de fer. Le parti correspond à une classe organisée et hiérarchisée par le travail, concentrée dans des lieux précis — les usines — raccordés par le journal et le chemin de fer. En face de quoi, l’ennemi avait ses propres appareils idéologiques, sa propre organisation, sa propre centralisation : le contremaître, le curé. Mais, désormais, le nouvel acteur social dispose d’une autre organisation et surtout d’une interconnexion rendue possible par le numérique. Il n’est pas composé uniquement du prolétariat ouvrier mais aussi des chômeurs, des ouvriers, des retraités, des étudiants. Le combat politique, lui, dispose maintenant de vidéos à diffusion instantanée. De notre côté, nous avons donc développé une application : Action Populaire. La plateforme est le mouvement et le mouvement est la plateforme. C’est une situation historique assez inédite : le centre politique est relié individuellement avec chacun de ses membres et les membres du mouvement sont reliés entre eux horizontalement. Le mouvement correspond à la forme de l’acteur, et il a les moyens de cette forme. Elle s’exprime pleinement par la plateforme numérique.

Le mouvement permet-il une plus grande diversité idéologique parmi les militants ?

Notre ligne, c’est l’action. C’est elle qui fédère, et non la théorie. Tu es marxiste ou chrétien, musulman ou juif, ça ne concerne pas le mouvement. Ce qui compte c’est ce qu’on va faire ensemble. Point. Notre démarche s’apparente ici à la tradition trade-unioniste des syndicats, fédérant sur des mandats. Voilà pourquoi nous ne croyons plus à la forme bolchevik du parti « d’avant-garde », qui sera toujours substitutif.

Le marxisme et l’anarchisme appellent depuis toujours, en dépit de divergences quant à la temporalité, au dépérissement et à la destruction de l’État. C’est un mot d’ordre que vous ne reprenez jamais. Vous en êtes même un fervent partisan. Pourquoi ?

L’État d’aujourd’hui, il est vrai, est la structure d’organisation d’un modèle social et de sa conservation. Qu’on veuille en finir avec l’État sous sa forme actuelle ne me choque pas. Ce qui me pose problème, c’est qu’on ne me dise pas quoi mettre à la place. Car nous avons besoin d’un grand outil collectif d’exécution des décisions : l’État, donc. Prenons la planification écologique. Comment voulez-vous l’entreprendre sans un État ? J’entends en revanche discuter la place singulière de la machine de l’État dans le processus décisionnaire.

Vous avez l’image d’un jacobin centralisateur.

« Qu’on veuille en finir avec l’État sous sa forme actuelle ne me choque pas. Mais prenons la planification écologique. Comment voulez-vous l’entreprendre sans un État ? »

Yannick Jadot m’a qualifié de jacobin dirigiste rouge-vert à propos de la planification écologique. Puis il a fini par dire lui-même qu’il fallait un « État décidant des orientations » pour la faire. Ce n’est pas ma version. Je pense que la planification écologique et ses objectifs doivent émaner des communes, des organisations syndicales, des coopératives et même des organisations patronales — puisque nous mettons en place une économie mixte, non entièrement socialisée. Évidemment, l’Assemblée nationale aura aussi un rôle à jouer dans le processus. Mais non comme la technostructure qui impose tout. Je suis pour l’extinction de cette forme particulière d’État. Et plus spécialement encore de l’État construit par monsieur Macron : c’est la pire version de l’État. Il est rabougri sur les fonctions régaliennes et, pour le reste, il nie sa spécificité en confiant la direction des administrations centrales à des cadres du secteur privé. Je suis toujours aussi allergique aux récitations girondines. Mais nous avons été amenés à repenser le rapport entre la forme de l’État et des institutions à partir du cas corse. Disons même que nous sommes repartis à zéro. Quand la Corse désigne trois députés autonomistes sur quatre et élit deux fois de suite une assemblée à majorité autonomiste et indépendantiste, même si vous aimez d’amour fou l’idée républicaine et révolutionnaire de l’État unitaire, il faut s’interroger. Face à pareil résultat, que faire ? déployer la force ? pas question. Envoyer la troupe, je ne le ferai jamais. Car si on le fait, on a déjà perdu. L’expérience de la Nouvelle-Calédonie le montre. Alors prenons acte : la France n’est plus un État unitaire du point de vue de l’organisation de son administration. La Polynésie française a son gouvernement ; le territoire de la Nouvelle-Calédonie ne correspond à aucune autre structure comparable ; la Martinique a une assemblée territoriale alors que la Guadeloupe et la Réunion en comptent deux. Personne ne peut prétendre construire la France du XXIe siècle sans tenir compte de ça. Donc pour les Corses, je suis prêt à accepter le statut d’autonomie prévu par l’article 74 de la Constitution.

Au début des années 2000, le sous-commandant Marcos affirmait que « le centre du pouvoir n’est plus dans les États nationaux ». Qu’il ne servait donc plus à rien de « conquérir le pouvoir ». Est-ce la raison pour laquelle, en dépit de l’intérêt qu’on vous connaît pour les expériences progressistes latino-américaines, vous ne parlez jamais de l’expérience zapatiste au Chiapas ?

D’abord, je dois rappeler à vos lecteurs que cet intérêt s’explique par le fait que c’est en Amérique latine que la chaîne du néolibéralisme a rompu, et nulle part ailleurs dans le monde. Ensuite, il est vrai que je connais moins l’expérience zapatiste. Je me suis d’abord intéressé à la formation, au Brésil, du Parti des travailleurs [en 1980, ndlr]. Il résultait d’un front de petits partis et a donné naissance, dans toute l’Europe, à des répliques. Syriza en Grèce, Izquierda Unida en Espagne, Die Linke en Allemagne. Et, en France, le Front de gauche. Ce modèle s’est répandu, contrairement au modèle zapatiste. Même si j’admets que celui-ci a pu féconder des formes libertaires ici et là, notamment au sein des mouvements zadistes : il est une réanimation du courant anarchiste, autrefois extrêmement puissant, que ce soit en Espagne ou en France. La victoire marxiste n’y a pas été aussi totale qu’on le raconte.

Mais pourquoi avoir, depuis votre jeunesse trotskyste, dirigé votre attention sur les formations de masse et non sur les expériences plus marginales de sécession, d’autonomie ?

Je vous le dis franchement : je ne critique pas ces expériences. Que chacun avance sur son chemin. Dans tous les cas, ça féconde l’espace global. J’ai connu la lutte révolutionnaire sous la forme où tout dépendait de la définition d’une — et une seule — ligne et de la — et la seule — stratégie victorieuse. Ce n’est plus ma conception. Je crois à un autre mécanisme, « intersectionnel » en quelque sorte. D’abord, construire ou s’appuyer sur des hégémonies culturelles à bords flous : elles finissent par former des grandes plaques qui s’articulent les unes aux autres puis produisent, comme propriété émergente, un désir d’accomplissement sur lequel s’appuie la stratégie révolutionnaire. Raison pour laquelle, dans le cadre de la présente campagne présidentielle, je ne dis pas de mal des autres — à part des sociaux-démocrates, mais c’est à la portée de tout le monde. (rires) Je crois que chacun élargit la plaque sur laquelle il se trouve. Prenons un exemple qui vous paraîtra très éloigné : Montebourg. Il n’empêche. Quand il plaide pour la souveraineté, ça alimente la critique du capitalisme mondialisé qui, lui, ne fonctionne que sur la délocalisation et l’allongement des chaînes de production. C’est positif, nonobstant mes critiques sur le caractère profondément insoutenable de ses récents propos sur les immigrés. Deuxième exemple : Jadot. Il se déclare en faveur du protectionnisme. Très bien. J’embraie : le protectionnisme est impossible dans le cadre des traités européens. Il faut donc choisir. Mais sa déclaration contribue à l’hégémonie de nos thèmes. Contrairement aux zapatistes, je considère qu’il faut conquérir le pouvoir d’État par les élections. Cela peut permettre de faire avancer de manière décisive les conditions d’existence du peuple. Aussi bien sous l’angle du ventre que de la tête. Seuls les pouvoirs de gauche répandent l’éducation, laquelle élève le niveau de compréhension et de conscience de la société. Je crois à ça et refuse de renoncer à cette conquête.

La conquête du pouvoir d’État compte elle-même deux lignes divergentes au sein du mouvement pour l’émancipation. La vôtre, électorale et non-violente, et celle qui promeut l’affrontement physique avec les forces du capital et de l’État. Vous avez toujours clamé votre hostilité à la violence. Les gilets jaunes ont pourtant amené plus d’un citoyen à se dire que, tout compte fait, seule la violence permet de se faire entendre…

« La violence isole le processus révolutionnaire en le divisant. Mais j’ajoute : jamais vous ne me trouverez en train d’hurler avec les loups. Je refuse de contenter l’effarouchement bourgeois. »

Mon rôle est de répéter, en effet, fort de l’expérience de nos camarades en Amérique latine, que la violence révolutionnaire conduit à l’échec. Bien sûr, il y a l’exception cubaine. Mais les tentatives de sa reproduction ont toutes échoué et cette histoire s’est soldée avec la mort du Che. Mais je tire d’abord mon enseignement de la lutte contre Pinochet : si les meilleurs d’entre nous tombent les armes à la main, et ce sont toujours eux qui disparaissent les premiers, il ne restera que les moins actifs pour mener la révolution. Le MIR, dont j’ai été membre en France, a compté des combattants héroïques et ceux-là sont morts dans des proportions effroyables. Or, à mes yeux, les individus sont centraux dans l’Histoire. Quand, dans le cadre d’une révolution, il ne reste plus que des bureaucrates qui n’ont pour aspiration que de voir tout s’arranger, quel qu’en soit le prix, vous n’avez plus de force révolutionnaire. Les militants qui étaient prêts à risquer leur vie étaient aussi ceux qui savaient combien il est vital pour les révolutionnaires d’être parmi le peuple comme un poisson dans l’eau. Ceci posé, je distingue deux choses : la violence comme stratégie révolutionnaire et la violence qui surgit au cours d’épisodes de lutte. Et je suis d’accord avec votre observation : oui, des gens ont dit que casser, il n’y a que ça qui paie. Car c’est bel et bien ce qui s’est produit avec les gilets jaunes : le gouvernement a lâché dix milliards d’euros. Mais ce n’était pas une stratégie pensée, théorisée. La violence a été sporadique. Je reste donc sur ma position. D’autant plus que la violence isole le processus révolutionnaire en le divisant. Quand surgit la violence en manifestation, on ne vient plus avec les landaus et les enfants. On constate aussi le retrait des femmes. Or la présence des femmes, en masse, est un élément central de la révolution citoyenne. Mais j’ajoute : jamais vous ne me trouverez en train de hurler avec les loups. Je ne supporte pas l’injonction à condamner ceux que l’on désigne comme violents. Je refuse de contenter l’effarouchement bourgeois. La violence est d’abord celle des maîtres. Le bourgeois condamne-t-il, lui, la violence sociale ? L’œil arraché ? C’est pourquoi aussi je n’ai pas critiqué les ZAD sur ce terrain. Je tiens le même raisonnement pour Cuba. Je ne crois pas du tout au parti unique : à mes yeux c’est une forme très inefficace de gouvernement du peuple. Il faut de la contradiction. Du reste, il n’est pas marxiste d’imaginer une société sans contradictions. Pour autant, j’assure que les Cubains ont accueilli, soigné et protégé nos camarades. Je répète donc partout : je critiquerai Cuba, si besoin, dès que les États-Unis d’Amérique lèveront leur embargo.

En 2014, lors d’un hommage que vous avez rendu à Jaurès, vous avez décrit l’écosocialisme comme la doctrine qui devrait guider le siècle à venir. On a pourtant constaté que vous ne mobilisez plus cette notion. Pour quelle raison ?

C’est vrai. Je trouve que le mot « socialisme » introduit une confusion. Il faut passer des heures à dire ce qu’il est et ce qu’il n’est pas.

Du fait du Parti socialiste ?

En France, oui. Et lorsque vous allez dans les pays qui ont vécu sous l’autorité du pacte de Varsovie et de l’URSS, c’est imprononçable. Bien sûr, je n’ai pas de problème avec le concept ; j’en suis même un héritier. Mais hériter, c’est aussi se projeter. Aujourd’hui, je préfère me décrire comme « collectiviste ». L’esprit public a massivement intégré l’idée de bien commun. Même la jeunesse qui n’est pas de notre bord se revendique de l’écologie. C’est une différence colossale d’avec les années 1990, où on ne pouvait pas prononcer le mot « capitalisme » sans que tout le monde rigole. C’est une évolution considérable. Ce collectivisme spontané correspond à mes yeux à la situation de crise résultant du dérèglement climatique. J’en ai trouvé l’analyse du côté de Pablo Servigne et de son livre, L’Entraide. Certes, il est de tradition anarchiste et non « populaire de gauche ». Mais je me ressource souvent auprès d’auteurs anarchistes. Leur critique décapante m’aide volontiers à réfléchir.

C’est la raison pour laquelle, en fondant le Parti de gauche, vous revendiquiez l’héritage libertaire « à [v]otre manière » ?

« Je me ressource souvent auprès d’auteurs anarchistes. Leur critique décapante m’aide volontiers à réfléchir. »

Je le revendique et j’y crois ! Le message de Servigne est essentiel : si on entre dans la crise avec la mentalité de la société libérale, elle sera empirée. D’où le mot « collectivisme » : il vise à développer l’alternative « Tous ensemble ou chacun pour soi ». Le mot ne me paraît pas contradictoire avec l’écosocialisme. C’est un « mot-obus », dont j’ai emprunté la méthode à Paul Ariès — lui a mis en circulation « décroissance ». J’ai commencé à le tester à l’Assemblée : ça a bien hué du côté de la droite. (rires) On me dit parfois que « collectivisme » sonne encore pire que « socialisme » : je fais le pari inverse. Il colle bien avec un certain esprit de l’époque. Et comme on ne l’emploie plus depuis longtemps, il est mûr pour réapparaître ! Mon rôle, c’est de transférer les braises vers le nouveau foyer. On a sorti les braises de sous la cendre et on a repris la guerre du feu un peu plus loin. En ce sens, on peut même dire que nous avons sauvé les braises.

Vous avez l’habitude de dire qu’une société ne peut pas fonctionner sur le mode de l’assemblée générale permanente. Cela signifie-t-il pour autant que la démocratie représentative soit le terminus de l’émancipation ? Ne peut-on pas concevoir des formes de démocratie plus directe et moins parlementaire ?

C’est un débat posé à chaque séquence révolutionnaire. Il est clair que nous ne pouvons pas en rester à la démocratie représentative telle qu’on la pratique. À La France insoumise, nous avons provisoirement tranché en disant que ce sera à l’Assemblée constituante nouvellement élue de penser le prochain système institutionnel. Il y a deux visions possibles de la Constituante : révolutionnaire ou avant-gardiste. Autrement dit, prendre acte du résultat populaire ou dire à l’avance de quel régime elle devra accoucher. Il nous faut composer avec deux choses : garantir un système institutionnel stable et permettre au peuple d’intervenir en toute occasion. Cette possibilité permanente, c’est l’objectif du RIC et du référendum révocatoire, que nous proposons. La discussion que nous avons là était également impossible dans les années 1990 ! Avoir mis dans le débat public l’idée de Constituante et d’implication populaire permanente, vous n’imaginez pas quelle victoire c’est. Nous commençons à reconstituer une hégémonie collectiviste. Cela étant, nous sommes 67 millions dans ce pays : nous ne pourrons pas voter à main levée à la manière des cantons suisses d’autrefois ni rejouer la pratique des assemblées de village traditionnel. Les outils modernes pèseront peut-être dans ce débat. La question du vote obligatoire se posera également.

Vous y êtes favorable, n’est-ce pas ?

Oui, libre à 16 ans et obligatoire à partir de 18 ans. Et avec prise en compte du vote blanc. Et s’il y a 50 % de votes blancs, l’élection est nulle. En Équateur, ils ont expérimenté de nouvelles modalités. On pourrait apprendre. Les Européens ont l’habitude d’aller aux quatre coins du monde pour expliquer comment on doit faire le socialisme alors qu’ils ont été infoutus de le mettre en place dans un seul pays de l’Union européenne ! Je fais donc confiance aux initiatives qui émergeront.

Vous avez rappelé votre défense de l’économie mixte et vous évoquez régulièrement la dimension « financière » du capitalisme. Quel est votre horizon : abolir le mode de production capitaliste, en France, ou le borner autant que faire se peut dans une économie mondialisée ?

Quand je parle du capitalisme financier, je ne veux pas dire la dimension financière du capitalisme mais le capitalisme dans sa forme actuelle. Le capitalisme n’existe pas en général mais seulement sous des formes historiques données. Depuis les années 1980, nous vivons dans un type particulier de capitalisme où le capital financier commande au reste. Donc j’assume la dimension anticapitaliste de ce que j’ai à faire. Mais L’Avenir en commun est un programme de transition. Il ne propose pas l’abolition de la propriété privée, mais il rompt nettement avec la société du néolibéralisme. La suite n’est pas écrite. Mais, clairement, il ouvre la possibilité d’une société économique qui repose davantage sur la propriété collective que sur la propriété privée, sur la planification que sur le marché, et qui part des besoins plutôt que de l’offre.

L’économiste Frédéric Lordon s’est fendu d’un travail d’anticipation. Il imagine La France insoumise au pouvoir et prédit : vous ne tiendrez pas deux semaines face à l’Union européenne et à la finance. « Ce sera une tempête spéculative dont on ne peut pas imaginer la force. […] Ce sera 1983 fois cinq cents. » Il ne voit donc que deux éventualités : vous « affaler » comme Tsípras ou « la guerre à outrance » contre le capital. Qu’en dites-vous ?

« Cette bataille entre "eux" et "nous" n’est pas nouvelle : les communistes et les nazis aussi s’arrachaient les suffrages et le leadership ouvrier. »

Je vais vous citer une phrase de Trotsky reprise par Chávez : « La révolution avance sous le fouet de la contre-révolution. » Je suis en position de force. Si nous ne payons pas, la vie continuera. Nous continuerons à nous lever le matin, à emmener les enfants à l’école et à accomplir toutes les sorties et les activités de la vie sociale, quelle que soit la monnaie qui circule. En face, par contre, ils prennent un risque. Car eux n’auront plus rien si nous refusons de payer. Donc s’ils sont raisonnables, je le serai. Mais je ne cèderai pas. Tsípras n’a même pas essayé de résister. En Argentine, Kirchner n’avait pas cédé, et pourtant ce n’était pas un bolchevik ! Puis Macri a accepté qu’on lui fasse les poches. Je ne nous laisserai pas dépouiller. Je résisterai, je serai légitime à le faire. Et les gens le comprendront. Quels que soient l’agresseur et la forme de l’agression, il lui en cuira.

Vous n’êtes pas inquiet ?

Non.

Face à la progression fascisante que nous vivons actuellement et à la tentation factieuse qui existe au sein de la police et de l’armée, le député Ugo Bernalicis a fait savoir que vous aviez « bien conscience de la situation ». Vivons-nous une période de bascule ?

Il y a une bataille. Les plus dynamiques l’emporteront. Mais si nous en sommes là, c’est parce que l’ancienne gauche a explosé en vol. Le réformisme a tenu jusqu’à Lionel Jospin, puis ça a été fini. Le PS a cessé d’assumer la conflictualité sociale. Je m’en souviens puisque j’y étais. On nous vendait une stratégie centriste à la Clinton. Puis les sociaux-démocrates ont répété partout vouloir « faire barrage » à l’extrême droite. Mais ça n’a jamais fait une ligne politique ! Ça tient une demi-élection, et aujourd’hui plus personne ne croit à ça. Tout le monde se moque des congrès de castors. Les sociaux-démocrates n’ont rien fait de la majorité qu’ils ont obtenue, un temps, en Europe : ils ont fait la concurrence libre et non faussée ! Ils ont applaudi des deux mains aux traités. Notre camp n’avait plus de tête : comment s’étonner que d’autres occupent la place puisque la gauche avait abandonné le combat ? Cette bataille entre « eux » et « nous » n’est pas nouvelle : les communistes et les nazis aussi s’arrachaient les suffrages et le leadership ouvrier. Partout la gauche a coulé. Mais en France, les Insoumis ont relevé notre camp. Nous sommes aujourd’hui dos au mur, et ce dans toute l’Europe. Oui, il y a bascule. C’est maintenant que ça se joue.

Entretien effectué par la revue Ballast.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message