Urgence sociale : il faut bloquer les prix !

vendredi 21 janvier 2022.
 

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Discours de Jean-Luc Mélenchon présentant la proposition de loi LFI visant au blocage des prix – 13 janvier 2022

« Je voudrais d’abord exprimer, au nom des parlementaires insoumis, notre gratitude et notre reconnaissance à tous ceux de nos collègues qui se sont joints, dans un même élan, pour faire adopter la résolution sur la reconnaissance de l’endométriose. Cette maladie torture les femmes qui la subissent, martyrise le couple et frappe la famille. C’est donc toute la société qui va recevoir le message envoyé par l’Assemblée nationale à l’unanimité. Il me semble que c’est un grand moment parlementaire.

Quant à moi, j’interviens à un moment un peu particulier de la vie de la nation. C’est un moment où tout augmente, où les prix explosent. Les gens qui sont déjà pris dans une logique de survie, parce que leurs revenus ou leur situation ne leur permettent pas de faire face comme ils le voudraient à leur devoir de parents, ou simplement à leurs propres besoins matériels, se trouvent entraînés dans une spirale qui les voue à l’impossibilité de vivre. Je crois que, tous, dans cet hémicycle, nous en avons largement pris conscience. C’est désormais le moment de prendre les décisions qui montrent que l’Assemblée nationale, sur ce sujet comme sur les autres, est capable d’aller de l’avant et de prendre immédiatement les mesures exceptionnelles qui s’imposent.

La proposition qui vous est soumise par le groupe insoumis est une proposition de blocage des prix par exception. Ce texte, si je l’ai bien compris dans son esprit – d’autant mieux que je l’ai écrit –, ne propose pas une mesure permanente de contrôle de tous les prix, comme ce fut pourtant le cas de 1936 à 1986, sous tous les gouvernements qui avaient la possibilité de le faire.

Certains d’entre eux ont, dans certaines circonstances, pris des mesures de blocage des prix. Les historiens parmi nous se souviendront que le premier blocage des prix fut la loi sur le maximum, votée pendant la grande révolution de 1789. Plus récemment, le Front populaire l’a fait en 1936. Encore plus récemment, ce fut Michel Rocard, en réponse à une explosion des prix des carburants. Et encore plus récemment, le président Emmanuel Macron a bloqué les prix des masques et des gels hydroalcooliques, lorsque, à la faveur des circonstances qui en déterminaient une demande extrêmement importante, les prix avaient explosé.

Il s’agit désormais de bloquer, pour l’essentiel, les prix des carburants et des matières premières nécessaires à la survie des familles. Naturellement, une telle décision serait prise à titre provisoire, jusqu’au jour où l’on déciderait que ce n’est plus la peine.

En tout état de cause, une telle mesure exceptionnelle trouve un instrument juridique dans le code du commerce. En effet, l’article 410-2 autorise le blocage des prix. La loi du 19 août 1936 visant à réprimer la hausse injustifiée des prix a été abrogée en 1986. C’est donc sur la base de cet article du code de commerce qu’a été prise la décision du président Macron de bloquer le prix des masques et des gels hydroalcooliques.

L’article dispose qu’il est possible de bloquer les prix dans « une situation de crise, des circonstances exceptionnelles ». Admettez que l’on peut penser que l’on s’y trouve. Mais aussi face à « une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ».

Pour nous, Français, il est tout à fait évident que c’est le marché qui crée la pagaille sur le prix de l’électricité. Et non pas le prix de production d’électricité en lui-même, puisqu’il est connu de longue main et qu’il est stable.

L’article 1er de la présente proposition de loi vise à introduire les termes « urgence sociale » dans l’article 410-2 du code du commerce. Notre pays, qui reconnaît l’urgence sanitaire et l’urgence sécuritaire, qui reconnaît mille et une urgences – y compris l’urgence climatique, lorsqu’il s’agit d’indemniser les catastrophes climatiques –, pourrait ainsi admettre qu’il peut exister une situation d’urgence sociale. Celle-ci serait caractérisée, à l’instar de ce que nous vivons actuellement, par l’extrême désarroi et la détresse des milieux sociaux, confrontés à de brutales flambées des prix.

On observe un phénomène incroyable. Dorénavant, le système économique dominant – le capitalisme – est capable de se nourrir des catastrophes qu’il provoque. C’est le marché qui crée le dérèglement et la brutale flambée des prix. Ainsi, par exemple, une grande enseigne a décidé de baisser le prix de la vente des baguettes de pain à 0,29 centime d’euro. C’est, à l’évidence, une vente à perte, qui aura pour conséquence de créer un nouveau dégât. Cela provoquera la ruine des boulangers pâtissiers, qui ne peuvent faire autrement que de répercuter dans le prix les augmentations du prix de l’énergie.

Ainsi, la conjonction d’un système incapable de s’autoréguler avec une pression de la demande et une situation de détresse produit, précisément, ce que nous nommons l’urgence sociale. L’inscription de ces termes dans la loi permettrait au Gouvernement de délibérer en ayant un argument lui conférant le surplomb attendu d’un exécutif sur la société.

Le deuxième point du présent texte – et non le moindre – est qu’il ne s’agit pas d’établir je ne sais quel mécanisme, décidé dans un bureau, à l’ancienne. Cela se faisait autrefois, au début de la Ve République, lorsque quelqu’un déterminait les prix de chaque chose, parce que cela se pratiquait ainsi et que personne n’y trouvait rien à redire. À l’époque, personne ne pensait que c’était l’URSS en France. Et, il faut bien l’admettre, tel n’était pas le cas.

Il est possible d’apprendre de cette situation. Le texte en tire la conclusion, en proposant, à l’article 2, une intervention citoyenne dans la détermination du blocage des prix. Ce principe, consistant à consulter des associations ou des personnes, permet de tempérer les excès, ou peut-être les arrangements, qui se feraient dans le silence d’un bureau.

Là encore, il ne vous est rien proposé d’autre que de généraliser une bonne pratique. Les auditions que nous avons effectuées ont montré qu’une telle disposition existe déjà dans au moins un département d’outre-mer. Il s’agit de l’île de La Réunion. Là-bas s’applique, comme dans les autres territoires d’outre-mer, le mécanisme de contrôle des prix appelé « bouclier qualité prix », issu de la loi Lurel. Il fonctionne et la population s’en plaint quand il n’est pas assez énergique.

Mais dans l’île de la Réunion, pour éviter d’instaurer un système qui serait remis en cause par la suite, la participation directe des citoyens a été organisée. Ainsi, des personnes sont tirées au sort et participent à la commission qui fixe les prix. Elle ne fixe pas les prix d’un ou deux produits seulement, mais de cent cinquante-trois d’entre eux ! Pourtant, personne n’a entendu parler d’une insurrection contre ce mécanisme. Au contraire, il s’agit non seulement d’un amortisseur des prix, mais aussi d’un amortisseur social. En effet, il permet que l’on se comprenne, que l’on s’écoute et que la société multiplie les mécanismes d’autorégulation sur la base de la citoyenneté.

Mesdames et messieurs, collègues, il faut tout de même, en sortant de l’aspect technique, juridique et même social, que vous preniez à la mesure de l’instant. 8 millions de personnes relèvent de l’aide alimentaire. Ce chiffre est établi par la Banque alimentaire et par les grandes organisations et associations populaires comme le Secours catholique et le Secours populaire. Jamais un tel niveau n’a été atteint en France ! C’est incroyable ! Pour beaucoup d’entre nous, cela est non seulement suffocant, mais aussi incompréhensible, quel que soit le banc sur lequel on siège.

De même, 12 millions de personnes subissent le froid, soit parce qu’elles doivent elles-mêmes couper le chauffage, soit parce qu’elles le diminuent et vivent dans l’inconfort du froid en plein hiver. C’est incompréhensible ! C’est inadmissible, dans un pays où se réalisent dans le même temps, et souvent à la faveur de la même crise, des sur-profits inouïs. Ceux-ci s’accumulent pour certains, tandis que tous les autres se sentent intégralement dépouillés des éléments les plus élémentaires et les plus humbles du droit à la survie.

Et voici que ce sont les œufs, le pain, après tout le reste. Le blocage des prix devrait donc non seulement concerner les prix de l’énergie, mais également les cinq ou six premières consommations populaires de masse permettant aux gens de survivre. Des millions de familles sont touchées avec une force particulière. Je demande qu’on l’entende. Imaginez-vous lorsque vous êtes devant votre télévision, avec vos enfants. Une publicité apparaît disant que « chaque jour, vous devez, pour bien vivre et bien consommer, manger cinq fruits et légumes ». Les enfants demandent pourquoi tel n’est pas le cas, en faisant quasiment le reproche aux parents. Ces derniers ne le font pas tout simplement parce qu’ils ne le peuvent pas, parce que le prix est excessif.

Voilà pourquoi ce texte n’est pas seulement un texte de dignité sociale, mais un texte de dignité tout court. Le pouvoir public, dès les premiers jours de sa constitution républicaine – je pense à la grande Révolution de 1789 – a établi que le premier des droits de la personne humaine est le droit à la survie et que, par conséquent, tout ce qui permet d’y contribuer est bienvenu. C’est à cela que je fais appel en vous présentant ce texte. Il recueille bien évidemment mon soutien le plus entier et le plus enthousiaste. »


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