Où va le Bloc de gauche au Portugal ?

mardi 25 septembre 2007.
 

Depuis sa création en 1999, le Bloc de Gauche, organisation unitaire de la gauche anticapitaliste au Portugal s’est fortement consolidé et implanté dans le pays, devenant aujourd’hui une force significative qui compte 4200 membres, une présence active dans les luttes et les mouvements sociaux, ainsi que 350 élu-e-s locaux et 8 parlementaires nationaux. Le 7 juillet dernier, nous nous sommes entretenus avec Francisco Louça, candidat du Bloc aux élections présidentielles de janvier 2005 (5,3% des suffrages) et porte-parole de cette organisation.

Le Bloc de gauche est un parti pluraliste de la gauche socialiste. Comment se définit-il par rapport au noyau dur du programme socialiste, au sens fort du terme, c’est-à-dire à la socialisation des grands moyens de production, de distribution, de crédit, etc. ? Comment abordez-vous la question clé de la propriété dans votre programme ? Est-il possible de refonder une gauche anticapitaliste sans prendre clairement position sur cette question ?

Francisco LOUÇA. Lorsque le Bloc s’est formé, il y a huit ans, nous avons fait un choix politique que je crois toujours valable : créer notre parti sur la base des confrontations politiques qui définissent notre intervention et non d’une cohésion idéologique a priori. Nous avons ainsi rassemblé des traditions très différentes, issues du Parti communiste, des courants maoïstes ou marxiste-révolutionnaires (trotskystes), ainsi que des mouvements sociaux indépendants. La possibilité de construire ce regroupement, dans une situation très défensive, impliquait que nous soyions capables de formuler des propositions politiques et d’avoir un impact sur la société. Nous n’avons donc pas commencé par discuter d’un programme de référence historique, mais d’un programme d’intervention politique.

Nous nous sommes définis comme socialistes un peu après notre fondation, ceci dans un double sens : d’abord, en rejetant le « socialisme réel » (le stalinisme, les expériences de l’URSS, des pays de l’Est ou de la Chine), ensuite en nous revendiquant de la lutte anticapitaliste, contre l’expérience sociale-démocrate et sa version sociale-libérale actuelle. Dans ce sens, nous défendons l’idée de la propriété collective. Mais ce qui est vraiment important, en particulier pour les organisations qui ont suivi la voie de petits groupes minoritaires, c’est de trouver le moyen d’exprimer des idées politiques qui disputent l’influence sur les masses. Nous avons donc traduit nos idées socialistes en propositions concrètes, très liées aux modalités de la vie politique au Portugal. Par exemple, nous avons récemment proposé la socialisation des services de l’eau, de l’énergie, etc., et l’une de nos principales campagnes de cette année tourne autour de la défense, de la modernisation et de la transformation du service national de santé. Cela nous permet de concrétiser notre perspective de socialisation sur la base de besoins sociaux et de luttes concrètes.

A la lecture de la résolution majoritaire de votre congrès de juin, on note une différence assez nette entre la façon dont vous abordez les questions sociales et les questions environnementales. Sur les premières, vous avancez des revendications défensives - refus des privatisations, défense d’une sécurité sociale répondant aux besoins de toutes et tous, etc. -, donc un programme antilibéral, compatible avec une perspective keynésienne de gauche. Sur les secondes, vous indiquez qu’on ne peut pas répondre à un problème aussi grave que le dérèglement climatique sans mettre en cause la logique même du capitalisme. Il me semble que votre approche devient ici plus radicale, y compris dans les formulations choisies. N’y a-t-il pas là une tension entre un programme social minimal, qui correspond à la défense d’objectifs « possibles » - le terme est d’ailleurs repris à plusieurs reprises - et la nécessité d’une rupture forte avec le capitalisme, notamment sur les questions écologiques ?

Sur toutes les questions, la seule stratégie cohérente, c’est la rupture avec le capitalisme. Nous ne partageons pas une perspective keynésienne de gauche, parce que c’est une perspective de marché, qui a eu une base matérielle dans les systèmes capitalistes de l’après-Seconde guerre mondiale, mais qui n’est plus possible aujourd’hui. Nous défendons par contre que la gauche, notre gauche au moins, est tenue de disputer la conscience et la capacité d’action des gens sans se limiter à faire de la propagande pour le socialisme. En réalité, l’idée selon laquelle la seule alternative pratique serait le socialisme, qui ne peut pas être un objectif immédiat, produit une perturbation dans la pensée de gauche. Pour lutter, il faut revendiquer tout, et pourtant... tout n’est pas possible. Il faut briser ce miroir fou !

Si l’objectif central des bourgeoisies européennes, au moins de la bourgeoisie portugaise, c’est de supprimer une partie du salaire indirect des travailleurs-euses et de s’approprier une rente sur la masse fiscale, sur la partie socialisée de l’Etat, cela nous impose de défendre les services publics comme enjeu démocratique de notre responsabilité collective, et de gagner la majorité de la population à un tel objectif. Ce combat n’est pas défensif ! C’est le plus offensif qu’on puisse envisager, puisqu’en présentant des propositions concrètes, et donc possibles, les gens peuvent voir qu’elles sont applicables. C’est ce que nous faisons dans le domaine de la santé ou de la sécurité sociale. Par exemple, face à la plus grande initiative de ce gouvernement à majorité socialiste, soit la réforme de la sécurité sociale, nous avons été le seul parti à présenter une alternative concrète en termes de modes de financement, de rôle de la fiscalité ou de répartition entre les générations. Cela nous a donné un impact très important, parce que tout le monde pouvait comprendre que le seul argument des partisans d’une libéralisation de la sécurité sociale - que c’est la seule alternative viable - était erroné. Il faut disputer clairement ces terrains-là.

Ceci dit, notre congrès a développé une position de fond plus programmatique sur la question de l’environnement, centrée sur les perturbations climatiques, sans doute parce que c’était la première fois que nous le faisions. Il nous fallait expliquer pourquoi les solutions de marché, « à la Al Gore », conduisent à une impasse du point de vue de la transformation des habitudes de consommation, des formes de production, de la répartition des richesses, des relations Nord-Sud, etc., c’est pourquoi nous avons choisi une tonalité plus éducative.

Durant ces 20 à 25 dernières années, les résultats cumulatifs des politiques néolibérales, celles du capitalisme réellement existant, ont produit une régression sociale dont les effets ont été profonds sur la conscience de classe. On peut ainsi constater un reflux général des solidarités au profit du sauve-qui-peut individuel, qui traduit une emprise croissante de l’idéologie bourgeoise... De larges secteurs de la société sont plus éclatés que jamais et subissent de plein fouet l’offensive matérielle et idéologique du capital. Cette situation favorise la multiplication de divisions en cascades, entre actifs et chômeurs, détenteurs d’un contrat de travail de durée indéterminée et précaires, nationaux et immigrés, vieux et jeunes, hommes et femmes, etc... Cet affaiblissement général des capacités de résistance marque une dégradation qualitative des rapports de force. Dans un tel contexte, résister durablement implique non seulement de rassembler le mouvement social autour d’objectifs antilibéraux, mais aussi de le reconstruire, ce qui suppose la redéfinition d’un horizon de transformation sociale radicale - ce que pouvait signifier le socialisme pour le mouvement ouvrier d’avant la Seconde guerre mondiale... Qu’en penses-tu ?

Il me semble que la gauche n’a pas une réponse très complète à cette question, parce que la seule réponse possible devra se baser sur l’expérience sociale, sur la création de nouvelles traditions de lutte. Mais je crois qu’il y a deux éléments de réponse. D’abord, la capacité d’initiative politique ; ensuite, l’organisation de nouveaux réseaux sociaux, de nouvelles formes d’intervention sociale. Je crois que la clé de la stratégie de la gauche socialiste, c’est de reprendre l’initiative et l’offensive, là où c’est possible, et de garder toujours cette orientation. Je respecte beaucoup les noyaux militants et la tradition de la gauche radicale européenne, mais je crois que si un parti n’est pas capable de se poser comme référence dans les débats politiques nationaux, notamment par sa capacité d’initiative, il va à la faillite. Il faut absolument construire cette capacité d’action politique de référence.

Je te donne deux exemples dans notre histoire. Le Bloc s’est formé en 1999, à un moment où, malgré la marée montante du libéralisme, de l’individualisme et de la privatisation de la conscience, le Portugal a connu un mouvement assez unique de solidarité avec le peuple de Timor, pas encore indépendant, sous la pression militaire de l’Indonésie : une grève nationale, des manifestations de rue pendant des jours entiers, donc une mobilisation qui ne répondait pas à des intérêts matériels. Comment une telle capacité d’engagement et d’initiative a-t-elle été possible dans un climat globalement défensif ? La réponse est politique : certaines tensions peuvent permettre des initiatives importantes sur des thèmes concrets. Par ailleurs, tout récemment, nous avons gagné un référendum sur l’avortement avec une majorité de 60% en faveur de l’une des lois les plus avancées d’Europe, et cela dans un pays très catholique, où le poids de l’église sur l’appareil politique est très fort. Cela s’explique par la capacité d’initiative des partisans de la dépénalisation. Nous avons pu diviser le centre et la droite, attirer des député-e-s de droite dans le sillage du mouvement, et cela sur un thème clé : comment peut-on continuer à emprisonner des femmes pour avoir avorté ? Cela a changé complètement les données du débat politique. Il faut donc se méfier des attitudes apparemment très radicales, mais qui débouchent en réalité sur l’attentisme, parce que rien ne semble possible. Non, bien des choses sont possibles... à condition de faire des choix et de créer un rapport de forces en prenant l’initiative là où des avancées sont praticables.

Sur le fond, je crois que tu as raison. Il faut envisager une réorganisation profonde du mouvement social au 21e siècle. En effet, les précaires seront difficilement organisés par les syndicats. Il faut créer d’autres types de réseaux et d’organisations sociales. Nous avons quelques expériences en la matière. Par exemple, nous avons réuni une marche pour l’emploi, il y a une année, qui a parcouru le pays. Il y avait deux à trois meetings publics par jour avec beaucoup de travailleurs-euses. Parfois, les salarié-e-s d’entreprises en instance de faillite ou menacées de fermeture prenaient contact avec nous. Nous avons pris ce problème à bras le corps, parce qu’il y a plus ou moins 10% de chômeurs-euses au Portugal. Et les travailleurs-euses ne voient pas d’alternative, parce que c’est difficile. Pourtant, dans quelques cas, nous avons obtenu des gains significatifs. Des militant-e-s du Bloc de gauche dirigent la commission ouvrière de l’une des usines les plus importantes du pays, la Volkswagen, au sud de Lisbonne, qui compte quelques milliers d’emplois. Ici, les salarié-e-s ont accepté de renoncer à des augmentations salariales pour que quelques centaines de précaires parmi eux/elles soient intégrés à l’effectif de l’entreprise. Cela a renforcé la confiance dans des solutions solidaires, ceci dans un contexte extrêmement défensif.

A la fin du 20e siècle, le mouvement altermondialiste a représenté un élément de rupture sur le plan des idées. On a vu ainsi apparaître une nouvelle forme d’internationalisme. Ceci dit, la difficulté de ce mouvement à embrayer sur des mobilisations sociales d’envergure en montre aussi certaines limites. Votre document de congrès relève deux exemples européens - les mobilisations de la jeunesse contre le CPE en France ou des étudiant-e-s grecs contre les réformes de Bologne - qui n’auraient pas été concevables sans le précédent du mouvement altermondialiste. Mais de tels exemples sont encore limités. Sans mobilisations sociales d’envergure, ne vois-tu pas le danger que l’altermondialisme tourne en rond, ses manifestations et forums se muant en rituels sans dégager les capacités d’initiative sociale indispensables à une contre-offensive ?

Ce danger existe. Mais l’altermondialisme a eu tout de même un succès impressionnant en se montrant capable d’organiser un mouvement international contre la guerre sur la base de nouvelles formes d’organisation très attirantes et très productives. Il a permis l’expression d’un mouvement de masse de millions de personnes, un facteur décisif pour commencer à affronter l’impérialisme et la guerre. Ceci dit, tu as raison, il rencontre une véritable difficulté à organiser de larges secteurs sociaux. Au Portugal, l’altermondialisme a été beaucoup plus important comme laboratoire d’idées que comme capacité d’organisation et d’initiative. Il y a eu deux forums sociaux portugais, mais très restreints : le premier l’était certes un peu moins, grâce à l’engagement de la centrale syndicale sur une ligne de rassemblement unitaire, mais le second s’est limité à quelques centaines de personnes, en raison de la volonté de contrôle obsessionnelle du Parti communiste sur l’ensemble du processus, qui a dissuadé de nombreuses organisations sociales d’y prendre part. Cette crispation a affecté les capacités d’intervention autonome du mouvement altermondialiste au Portugal. Donc, les forums sociaux, en tant que mouvements organisés, n’ont eu aucun poids au Portugal.

Si le mouvement anti-guerre international a été une conséquence spectaculaire du mouvement altermondialiste, il s’est dirigé avant tout contre l’impérialisme états-unien et la politique de guerre sans fin de George W. Bush. N’a-t-il pas nourri des illusions sur le caractère pacifique des impérialismes européens ? Votre dernier congrès a critiqué tout appui à l’intervention de troupes européennes - du Portugal comme d’autres pays - en Afghanistan. Que penses-tu du tournant de la majorité de Rifondazione en Italie en faveur de la poursuite des interventions militaires de pays membres de l’OTAN, pour autant qu’elles aient été approuvées par l’ONU, notamment en Afghanistan ou, dans un autre contexte, au Liban ?

C’est vrai que le mouvement anti-guerre s’est développé contre l’impérialisme US et britannique. Evidemment que les positions de Chirac et de Schroeder ont nourri des illusions. Mais je crois que cette division du front impérialiste a été aussi le produit de la mobilisation des opinions publiques contre la guerre. C’est donc aussi un succès d’avoir paralysé la capacité d’unification des différents impérialismes autour du super-impérialisme US. Ceci dit, il y a aujourd’hui évidemment des débats politiques importants. En Italie, je crois que Rifondazione tient un double langage : au gouvernement, il accepte l’intervention impérialiste en Afghanistan, alors que dans le Parti de la gauche européenne, il approuve des résolutions en faveur du retrait de toutes les troupes d’Afghanistan. Et ce double langage, on le retrouve en Italie : on ne peut pas participer à une manifestation contre l’extension d’une base américaine puis, quelques jours après, voter en faveur du même projet. Les gens comprennent qu’il y a une contradiction et cela a créé un problème entre Rifondazione et le mouvement anti-guerre. Et pourtant, le rôle de Rifondazione était très important à la tête du mouvement anti-guerre et c’était l’un de ses points forts en 2003-2004. Il y a là un déficit qui conduit à une situation très dangereuse, parce qu’un parti politique doit être très clair sur ses objectifs, en particulier sur la guerre et la paix, qui sont des questions décisives dans la vie des peuples. La meilleure tradition du mouvement socialiste est claire à ce propos, de Jaurès à Rosa Luxemburg. Il n’y a pas de politique de gauche qui ne soit pas nette dans son opposition à la guerre, au militarisme et à l’impérialisme.

Le Bloc de gauche est un rassemblement de la gauche socialiste antilibérale, mais sans le Parti communiste portugais (PCP). Pourtant, au niveau européen, le Bloc appartient au Parti de la gauche européenne, dominé par des forces issues du mouvement communiste. Comment expliques-tu que le PCP ait suivi un chemin séparé de celui du Bloc, et que vos documents fassent à peine mention de lui ?

Le Bloc s’est construit en opposition à la politique libérale, donc au Parti socialiste, mais aussi au PCP. Nous représentons une troisième force, alternative par son programme et ses capacités d’initiative. Notre but stratégique est de reconstruire les rapports de force au sein de la gauche et dans la société dans son ensemble. Au Portugal, le Parti communiste, comme dans quelques autres pays, représente une forme d’organisation de tradition stalinienne, celle du parti qui dirige le syndicat, qui organise un mouvement de femmes ou de jeunes. Cela ne permet pas au syndicat de représenter unitairement les salarié-e-s et restreint leur capacité d’organiser les travailleurs-euses précaires, ainsi que d’autres couches sociales. La force sociale du PCP dépend essentiellement de ce type de captation partidaire du mouvement syndical. Il nous a fallu donc rompre avec cette conception qui affaiblit le mouvement populaire. C’est pour contribuer à reconstruire ses capacités d’initiative, que le Bloc s’est organisé comme force politique et sociale. Nous avons donc des relations de confrontation, de débat, mais parfois aussi de convergence avec le Parti communiste, même si nous défendons clairement une vision alternative. Le PCP a été le parti de l’Union soviétique durant toute son histoire ; maintenant, c’est le parti du Parti communiste chinois. Il n’est pas comparable à la scission du Parti communiste italien qui a donné naissance à Rifondazione comunista.

Pour ce qui est du Parti de la gauche européenne, auquel nous appartenons, il faut dire que les partis communistes européens sont divisés. Le Parti de la gauche européenne a une conception non stalinienne, une conception d’ouverture, de réseau, pas une conception de Komintern. Le PCP n’en fait pas partie. Nous n’obéissons pas au Parti de la gauche européenne. Aucune de ses décisions ne nous oblige. C’est un réseau de collaboration tributaire de la volonté des partis nationaux. L’Alliance rouge et verte du Danemark et Respect d’Angleterre y sont associés... Les partis communistes qui en font partie se sont transformés un peu ou beaucoup, tandis que le PCP essaie de développer un réseau parallèle, avec des partis de l’Est, les partis communistes chinois, vietnamien, cubain, etc...

Le Bloc de gauche a obtenu un nombre croissant d’élu-e-s au Parlement national comme dans les municipalités. Avec 350 élu-e-s municipaux, il compte près de 10% de ses membres dans les parlements. Ceci ne vous pose-t-il pas un problème, dans la mesure où le poids de ces élu-e-s peut tendre à adapter vos priorités et agendas politiques à ceux de ces institutions au détriment des besoins prioritaires du mouvement social. Sans parler de l’impact que les mandats électifs peuvent avoir, en termes de privilèges matériels et symboliques, certes extrêmement réduits. Comment le Bloc s’organise-t-il pour poser des garde-fous contre de tels dangers ?

Comme tu le sais, puisque vous avez aussi des élu-e-s en Suisse, si un parti se présente à un scrutin et que cela se traduit par des mandats, il doit les remplir là où il a obtenu ces voix. Dans la démocratie bourgeoise, tout parti de masse aura des élu-e-s et la polarisation politique pourra se traduire par des gains électoraux, même si des défaites et des reculs sont inévitables. Au Portugal, nos élu-e-s ne reçoivent pas de salaires et ne participent à des réunions municipales qu’une fois par semaine dans les grandes villes, et une fois par mois - voire deux fois par an - dans les petites villes. Ils suivent aussi quelques commissions. Les parlements locaux ont très peu de pouvoir : ce sont des forums de discussion politique. Nous avons aussi des élu-e-s dans les exécutifs des villes, désignés à la proportionnelle. Ils ne sont généralement pas majoritaires, sauf dans une petite ville de quelque 30’000 personnes, près de Lisbonne. C’est vrai que le fait d’avoir ces élu-e-s suscite des demandes de réponses politiques à des questions locales. Celles-ci sont aussi importantes - logement, transports, services publics, éducation, etc. Nombre d’entre elles sont directement en rapport avec la politique financière et budgétaire, mais aussi avec l’organisation de la société dans l’ensemble du pays, ce qui permet de développer une opposition mieux informée sur la vie locale.

Ceci nous oblige à concentrer beaucoup d’efforts et de cadres sur les agendas municipaux. Il faut en effet bien faire ce travail en tentant de sortir des quatre murs de ces assemblées pour présenter à la population les enjeux des confrontations en cours. A l’opposé, le PCP s’allie souvent à la droite pour obtenir des postes à l’exécutif, parce que le Parti socialiste et les partis au pouvoir forment un bloc dominant. Ceci explique qu’il ait fait partie des gouvernements de la droite et de l’extrême droite dans plusieurs grandes villes comme Porto, Sintra ou Coimbra. Mais le plus important, c’est de maintenir un profil politique national autour de campagnes centrales. Par exemple, depuis une année, nous avons concentré l’essentiel de nos forces sur la marche pour l’emploi en nous confrontant directement aux patrons et au gouvernement, ainsi que sur la bataille pour l’avortement. Le Bloc est largement reconnu pour cela !

Le Bloc a permis de fusionner des courants politiques assez différents. Non seulement des forces et des générations nouvelles, mais aussi de plus vieilles traditions - marxiste-léninistes, trotskistes, issues de minorités du PC, etc. Est-ce que des avancées ont été rendues possibles par ces collaborations ?

Je ne voudrais pas généraliser. Les conditions portugaises ne sont sans doute pas généralisables à d’autres pays européens. En France, par exemple, la LCR discute d’un parti anticapitaliste large. L’expérience de solidaritéS en Suisse est elle aussi différente. Mais il y a en commun dans beaucoup de ces expériences et débats de la gauche européenne, la volonté de créer des cadres politiques plus larges, plus offensifs, à même d’organiser des militant-e-s sociaux, de représenter à la fois une gauche politique et sociale. La voie que nous avons choisie repose fondamentalement sur la confiance qui peut se nouer dans le processus de constitution d’une direction collective sur la base de tâches politiques communes. Cette confiance, il faut la tester dans l’intervention, dans les succès et les revers, en faisant l’apprentissage d’une volonté d’intégration des différentes sensibilités, de la recherche du consensus et de la cohésion. Si cela réussit, il devient possible de faire de la politique. Il y a en effet une grande différence entre faire de la propagande, développer des idées, défendre un programme, même d’une grande qualité, et être capable de transformer cela en arme politique en intéressant des secteurs sociaux plus larges à la lutte, en les mobilisant. De nouvelles forces viennent à nous parce que nous avons des convictions, que nous faisons des campagnes, que nous donnons des exemples de combat à mener, que nous débattons de nouvelles façons de s’organiser à gauche. Nous touchons des milliers de personnes en posant centralement les questions suivantes : comment transformer les rapports de force actuels ? où concentrer nos efforts pour faire reculer l’adversaire ?

La génération de l’après-68 a été formée dans des organisations politiques très homogènes sur le plan idéologique, où le travail de réappropriation de connaissances, de formation théorique et d’élaboration a été très important, souvent au détriment de la capacité de faire de la politique dans des cadres plus larges. Ceci dit, comment posez-vous le problème de la formation de nouveaux cadres, qui ne se développent pas seulement dans la pratique des mouvements, mais acquièrent aussi des outils d’analyse et une formation théorique sérieuse ?

Le débat théorique et les connaissances historiques de notre génération sont un acquis immense. Rien n’aurait été possible sans ce regard critique sur l’histoire du mouvement ouvrier, sans cet effort de créer un marxisme vivant. Je crois qu’un parti de gauche socialiste doit reprendre et approfondir ces réflexions. La chance que nous avons, c’est peut-être de poursuivre cet effort dans le cadre d’un capitalisme et d’une classe ouvrière transformés, en utilisant le marxisme pour ce qu’il est, c’est-à-dire comme un outil de travail. Notre dernier congrès a décidé de créer un centre de formation qui s’adresse surtout à des militant-e-s sociaux. Ses premiers cours commencent maintenant et portent sur l’histoire des révolutions du siècle passé - Octobre, la Guerre civile d’Espagne, la Chine, Cuba, le Vietnam, Mai 68, la révolution portugaise - afin de réfléchir aux questions stratégiques qu’elles ont soulevées. Nous commençons aussi à publier une revue théorique. Nous faisons aussi un effort pour développer de nouveaux moyens de communication, vu que le rôle joué par les journaux, il y a encore quelques dizaines d’années, est supplanté aujourd’hui par des moyens interactifs. Ainsi, notre site internet s’est développé de façon spectaculaire, avec des milliers d’accès quotidiens. Nous y publions un dossier hebdomadaire sur des questions politiques, historiques, etc., qui vise des audiences larges. Nous diffusons des émissions de radio par streaming. Nous voulons enfin développer une production audiovisuelle - du clip au documentaire - qui devrait servir de base à la formation, à la discussion, mais aussi aux campagnes du Bloc. En septembre, nous tiendrons un week-end d’étude, « socialisme 2007 », pour débattre de stratégie et d’histoire, de lutte syndicale et écologiste, mais aussi de questions culturelles.

Entretien réalisé par Jean Batou pour le périodique suisse « solidaritéS ».


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message