Une chance pour la gauche et la démocratie

jeudi 4 octobre 2007.
 

La gauche a-t-elle les moyens de s’opposer aux réformes de la Constitution prévues par Nicolas Sarkozy ? La question est loin, très loin, d’être anodine. Car, au moment où le chef de la droite vise une présidentialisation accrue du régime, la capacité à l’obliger au référendum sur toute réforme constitutionnelle est l’un des derniers verrous qui demeure entre les mains de l’opposition parlementaire. Sinon, que lui reste-t-il comme moyen d’action en dehors du commentaire impuissant ou de la résistance guévariste à la base ?

Cette question est d’autant moins anodine que Sarkozy prépare deux réformes décisives de la Constitution. L’une peut déboucher sur un changement de régime. L’autre sur la ratification d’un traité européen reprenant presque mot pour mot le projet de Constitution européenne rejeté par les Français. Ces projets sont éminemment contestables dans leur contenu. Mais leur adoption par voie parlementaire représenterait à elle seule un scandale démocratique. Elle priverait le peuple du droit de décider les règles selon lesquelles se prendront à l’avenir la quasi-totalité des décisions le concernant. Il ne faut pas en effet se laisser abuser par les habillages du chef de l’État. Le pseudo « mini-traité », appellation qui n’est utilisée qu’en France, aurait rigoureusement la même portée que l’ancienne Constitution. Quant à la réforme prétendument « technique » de la Ve République, il suffit d’écouter Édouard Balladur parler ouvertement du passage au régime présidentiel. Ces deux révisions doteraient notre pays des deux fondements de nature constitutionnelle qui organiseraient demain notre « démocratie ». Les principes démocratiques minimaux exigent que des décisions de cette ampleur soient prises par le peuple.

Mais alors, la gauche peut-elle contraindre le pouvoir au référendum ? On pourrait en douter à la lecture du journal Libération. Celui-ci, dans deux articles successifs et contradictoires, prétend que la gauche ne peut que s’inscrire dans une logique d’amendement à la marge faute du nombre d’élus suffisant. Le 19 septembre, on a pu lire dans Libération que « l’UMP, le centre (Modem, Nouveau Centre et les sénateurs centristes) et les non-inscrits totalisent 550 voix, soit 5 de plus que la majorité qualifiée des deux tiers requise au Congrès pour modifier la Constitution ». Une semaine plus tard, la même plume écrit que « la gauche parlementaire ne dispose pas du nombre de sièges suffisant pour bloquer les ambitions élyséennes. À eux tous, le PS, les Verts, le PCF, les radicaux et le MRC ne détiennent que 358 des 908 sièges au Congrès (Assemblée nationale et Sénat). En d’autres termes, il s’en faut de 5 voix pour que la gauche puisse aligner les deux cinquièmes des suffrages qui font veto ». On notera le démenti déguisé que le journaliste s’oppose à lui-même. Comme le sait tout étudiant de droit en première année, la révision constitutionnelle se décide à la majorité des 3/5 et non des 2/3. On se demandera ensuite d’où vient ce chiffre de 358 sièges pour la gauche. L’addition des effectifs de chacun des groupes de gauche (publiés sur les sites internet des deux assemblées), auxquels il faut rajouter huit sénateurs de gauche du groupe RDSE, donne un total de 355 sièges. Il y a sans doute quelque part une calculette à réviser.

355 sièges pour la gauche, alors que le seuil des 2/5 est à 363, donc la gauche est impuissante ! Non. Car ces savants calculs font mine d’ignorer que plusieurs élus de droite s’opposeront à ces réformes. C’est simple, ils l’ont déjà fait. Les souverainistes de droite ont annoncé leur refus du nouveau traité. Lors de la révision constitutionnelle sur le projet de Constitution européenne en 2005, 18 parlementaires UMP avaient voté « non » ou « abstention ». Des élus de droite avaient fait de même sur d’autres bancs. Cela suffit à faire la différence. Et sur la nature du régime, chacun sait la droite pareillement divisée.

Si la gauche respecte la synthèse politique nouée au moment de la présidentielle, lorsque Ségolène Royal a annoncé avoir réconcilié le « oui » et le « non » en exigeant un nouveau référendum sur tout nouveau traité, elle pourra donc mettre Sarkozy dans les cordes. Elle exercera une pression politique redoutable sur le Modem qui aura le choix entre refuser la ratification parlementaire ou trahir la parole de Bayrou dans la présidentielle. Elle prendra le peuple à témoin du refus du chef de l’État de le consulter, fragilisant la légitimité plébiscitaire voulue par Sarkozy.

Ce faisant, la gauche montrerait l’utilité des nombreux élus que les élections législatives lui ont conservés. Elle mènerait une bataille politique pour modifier les rapports de force au lieu d’intérioriser la domination prétendument inéluctable de Sarkozy. Elle le mettrait en difficulté à quelques mois des municipales. Devant toutes ces raisons, et quelles que soient les tentatives de Libération de faire croire que la partie est perdue d’avance, qui comprendrait qu’elle y renonce ?

François Delapierre


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