En visite aux Etats Unis, le pape confronté aux victimes de prêtres pédophiles

vendredi 25 avril 2008.
 

Hier après-midi, après la grand messe dite au stade de baseball de Washington DC, Benoît XVI a rendu une visite surprise à une poignée de victimes d’abus sexuels de la région de Boston. Des gens qui, enfants ou adolescents, ont été violés par des prêtres pédophiles, parfois pendant des années. Ce geste du Pape "est un pas en avant, certes, mais qui ne va pas guérir des blessures si profondes", me confiait quelques heures plus tard Joelle Casteix, qui fut victime d’un pédophile notoire pendant ses années d’études dans une école catholique du comté d’Orange (Californie).

La venue du Pape a ravivé chez moi le souvenir d’une rencontre. C’était en 2001. Une brève du Los Angeles Times m’avait fortement intriguée. Elle mentionnait un hôpital psychiatrique pour prêtres et bonnes soeurs alcooliques, drogués ou victimes de troubles mentaux, une institution presque secrète gérée par l’Eglise catholique. A l’époque, j’étais très naïve. Elevée catholique, je n’avais jamais envisagé une seconde que des hommes en soutane puissent boire ou se droguer et encore moins dissimuler leur homosexualité ou leur pédophilie derrière leur sacerdoce. Je fis donc quelques recherches sur cet hôpital. Je réalisais qu’il y en avait d’autres. J’allais de surprise en surprise.

J’appris l’existence de l’association Survivors Network of those abused by priests. Personne ou presque ne parlait encore d’eux. Je décidai d’assister à l’une de leurs réunions hebdomadaires et de les écouter. Je me rendis à Long Beach et fus accueillie par une dizaine de personnes, hommes, femmes. Il y avait aussi une jeune fille de 18 ans.

Chacun commença à raconter son histoire. Il y avait un fil conducteur. Tous avaient été élevés au sein de familles très pratiquantes aveuglées, le genre qui recevait leur curé le dimanche à déjeuner. Leurs histoires étaient horribles. Attouchements, viols, sodomies. Pendant des années, souvent avec la complicité de l’Eglise qui protégeait ses pédophiles pour éviter le scandale, les envoyait en séjour à l’hôpital psychiatrique pour les recycler ensuite, les prétendant guéris, dans quelque autre paroisse à l’autre bout de l’Etat où il feraient encore plus de victimes.

Violée par sept prêtres pendant cinq ans

Et puis ce fut le tour de Rita de parler. Son histoire était encore plus douloureuse que les autres. Violée par sept prêtres pendant cinq ans dans la sacristie de l’église de Carson, une banlieue ouvrière de Los Angeles où elle était enfant de choeur. Chaque fois que des amis prêtres étaient de passage, le père Tamayo leur offrait Rita en pâture. A plusieurs reprises, il l’emmena même dans un motel miteux de Venice où, habillé en civil, il louait deux chambres : l’une pour les passes, l’autre pour les prêtres qui faisaient la queue en attendant leur tour. Et Rita qui se rhabillait à chaque fois en espérant que l’un des prêtres prendrait pitié d’elle. Très pratiquants, les parents de la jeune fille ne l’auraient jamais crue si elle leur avait raconté (je les ai par la suite rencontrés. Vingt ans plus tard, ils pleuraient toujours en racontant l’odyssée de leur fille).

A 18 ans, Rita tomba enceinte, sans savoir de qui. Le père Tamayo tenta d’abord de la convaincre d’avorter. Elle refusa tout net. Alors il imagina une autre issue. Son frère, médecin, avait une clinique dans un village perdu des Philippines. Rita n’aurait qu’à aller y passer sa grossesse. Elle pourrait aussi y abandonner son nouveau-né et revenir à Los Angeles sans fardeau. Personne ne saurait jamais rien. Elle accepta cette solution. Elle craignait la réaction de ses parents. Le père Tamayo parvint sans mal à leur faire avaler que leur fille devait se rendre aux Philippines pendant quelques mois pour y étudier le métier d’infirmière. Elle serait prise en charge par son frère. Les études seraient gratuites.

Rita s’envola pour Manille en avril 1982. Elle devait ensuite rejoindre Laoaj. Le séjour fut un enfer. La toxémie gravidique faillit la tuer. Alors que ses forces la quittaient et qu’elle pensait mourir, elle parvint à envoyer une lettre à ses parents pour leur raconter la vérité. Sa mère et sa soeur prirent sans tarder un vol pour Manille, sans pourtant annoncer leur arrivée. Elles craignaient que l’Eglise ne les empêche de sauver Rita. Elles la ramenèrent pourtant à Los Angeles avec son bébé, une petite fille.

Jack, fille de prêtre inconnu

A la fin de la réunion, Rita se tourna vers la jeune personne de 18 ans, qu’elle présenta comme sa fille. J’étais confondue, sans voix. Je demandais à Rita si je pouvais l’interviewer et si elle me donnait l’autorisation de passer aussi un moment avec sa fille. Elles acceptèrent. Jackie me raconta son histoire. Celle d’une fille de prêtre inconnu. Le dimanche de Pâques suivant, je les accompagnai à une manifestation organisée par les membres de l’association devant la paroisse de Camarillo, où le cardinal Mahonny devait dire la messe. Celle-ci terminée, il se posta devant l’église où il donna sa main à baiser aux fidèles. Partout autour de lui, se tenaient des victimes de prêtres pédophiles avec leurs banderoles. Pendant ce temps, les paroissiens lui baisaient la main béatement comme s’il avait été un saint. Alors qu’il avait protégé les bourreaux. C’était une scène surréaliste.

Aujourd’hui, j’ai essayé d’appeler Rita plusieurs fois. Je voulais savoir comment elle vivait la visite du Pape. Elle n’a jamais répondu au téléphone. "Je sais que cette visite remue trop d’émotions en elle", m’a expliqué Joelle. “Pendant ces six jours, elle a préféré disparaître”.


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