La démocratie en danger ? par Paul Quilès

lundi 8 octobre 2007.
 

Alors que la gauche disserte sans fin sur sa « refondation », les démocrates -notamment ceux qui se réclament de la gauche- seraient bien avisés de se mobiliser face à l’attaque, sans précédent depuis 50 ans, qui se prépare contre les fondations de notre démocratie.

Loin de moi l’idée de défendre de façon intangible les institutions de 1958. Elles ont certes permis de sortir de l’impuissance qui était devenue la marque de la IVème République, mais la décision prise en 1962 d’élire au suffrage universel le Président de la République a transformé la légitimité du pouvoir exécutif. Il suffit de relire la déclaration du général De Gaulle le 31 janvier 1964, affirmant que « l’autorité indivisible de l’Etat est déléguée tout entière au Président de la République ; qu’il n’y a aucune autorité ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire qui puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui... ». En réalité, ces institutions portaient en elles les dérives auxquelles on a assisté : accentuation du prétendu « domaine réservé » du Président, effacement du Premier ministre, Parlement corseté et sans réel pouvoir.

Depuis 10 ans, je n’ai cessé d’alerter sur ces risques et de proposer des réformes. Beaucoup de salive a coulé : discours, livres, colloques, motions de congrès...Malheureusement, la gauche au pouvoir n’a pas mené les transformations nécessaires. François Mitterrand, qui s’est un peu trop -à mon goût- glissé dans des institutions qu’il avait critiquées de façon pertinente dans l’opposition, se rassurait en disant « la Constitution était dangereuse avant moi ; elle le redeviendra après moi ». De ce point de vue, il n’avait pas tort ! Quant à Lionel Jospin, il mit en place de façon concomitante le quinquennat et l’inversion du calendrier, accentuant ainsi le caractère excessivement présidentiel du régime. Je me souviens de ma solitude lorsque je me permis de critiquer cette mesure, dont je pressentais les conséquences néfastes sur l’équilibre des pouvoirs.

Ayant fait de très nombreuses propositions[1] visant à restaurer le caractère parlementaire de nos institutions, je me sens autorisé aujourd’hui à mettre en garde contre les conséquences de la tentation de N. Sarkozy d’accentuer encore plus la présidentialisation du régime. En effet, la commission présidée par E. Balladur s’est vue fixer parmi ses objectifs de proposer les réformes « permettant au Président de gouverner ». Il s’agit en réalité de mettre le droit en conformité avec la pratique instaurée depuis quelques mois : un président tout puissant, un premier ministre condamné à jouer les utilités, un parlement dont on va pouvoir constater le rôle purement formel. La disparition pure et simple du poste de premier ministre complèterait le tableau ! Le Président pourrait alors gouverner directement, sans être responsable devant l’Assemblée Nationale et en conservant son pouvoir de dissolution.

Si l’on ajoute à cela le probable refus de supprimer l’article 16 de la Constitution, qui donne au Président des pouvoirs exceptionnels en cas de crise, on voit que le système peut devenir dangereux pour la démocratie.

Pour vraiment réformer nos institutions et les rendre dignes d’une grande démocratie moderne, il faudrait notamment débarrasser le Président de ses attributs monarchiques, obliger le Premier ministre à solliciter la confiance de l’Assemblée Nationale dès sa nomination et à la fin de chaque session, donner au Parlement de vrais moyens de contrôle de l’exécutif, faire des députés des élus à temps plein, ne cumulant leur mandat ni avec une fonction d’élu local ni avec un métier.

Telle n’est pas la voie choisie par N. Sarkozy, qui veut être un président tout puissant, capable de gouverner pendant 5 ans sans le moindre contrôle. Même si ce thème n’est pas aussi populaire que d’autres luttes, la gauche devrait se fixer comme objectif prioritaire de son action de s’opposer vigoureusement et de façon unitaire à cette dérive, qui, si elle se confirmait, constituerait un affaiblissement grave du caractère démocratique de nos institutions.


[1] Voir notamment : mon livre « les 577, des députés, pour quoi faire ? », écrit avec Ivan Levaï ; mes propositions et mon activité de Président de la Commission de la défense (1997-2002) ; mes propositions lors du projet socialiste en 2002 ; ma contribution au Congrès de Dijon du PS en 2003 ; ma proposition de loi tendant à permettre au Parlement de contrôler l’application des lois, adoptée par l’Assemblée nationale (mai 2006)


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message