Cité nationale de l’histoire de l’immigration : Silence, on ouvre ! (Tribune d’Alexis Corbière)

samedi 13 octobre 2007.
 

C’est avec une discrétion étonnante de la part du gouvernement que les portes de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) s’ouvrent au public ce mercredi 10 octobre à la porte Dorée (Paris 12e). Aucun des quatre ministres dont dépend cette institution ne sera présent lors cette ouverture, et on retiendra particulièrement l’absence de M. Hortefeux pourtant d’ordinaire si prolixe pour nous donner sa vision de l’immigration, et présent deux jours auparavant pour inaugurer la création d’un Institut d’études sur l’immigration qui semble plus à sa main. Même le président de la République à l’étouffante omniprésence médiatique sur tous les sujets ne viendra pas et n’a fait aucune déclaration.

Étonnant. Ce silence gouvernemental peut surprendre, mais il est finalement logique. Il peut surprendre car l’existence de la CNHI méritait mieux de la part des représentants de notre pays. Elle avait été voulue par le président Chirac et devait « compléter » d’une certaine manière la mission du musée du Quai Branly en devenant, selon ses concepteurs, un important lieu de mémoire et d’études de l’immigration en France, une sorte d’Ellis Island français. La République devait créer là le lieu permettant à l’immigration de prendre toute sa dimension dans notre histoire, et toute sa place dans notre « identité nationale ». Jusque-là, comment ne pas approuver ?

Par la suite, la grande ambition du projet initial semble s’être estompée. Quels moyens financiers allait-il lui être réellement accordés ? Quelles collections cette Cité allait-elle accueillir ? Le lieu même de son implantation avait suscité un débat. Le choix du palais de la porte Dorée, construit à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, puis longtemps musée des Colonies, n’allait-il pas provoquer un choc des mémoires entre immigration et colonisation ? Deux histoires à ne pas confondre et dont il serait regrettable que l’une efface l’autre ? Enfin, il y a quelques mois, les historiens composant le conseil scientifique ont démissionné collectivement pour protester contre la création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale. Ces difficultés, et bien d’autres, qui ont beaucoup repoussé la date de l’ouverture de ce lieu, peuvent expliquer l’absence d’inauguration officielle. Mais il est aussi probable que ce silence, et la banalisation de cette ouverture, trouve aussi sa logique dans la crainte que la CNHI devienne le lieu symbolique où pourraient se retrouver pour protester tous ceux qui n’acceptent pas la politique actuelle concernant l’immigration. Durcissement des conditions du regroupement familial, tracasseries administratives incessantes, expulsions arbitraires, arrestations de familles sans papiers avec les conséquences dramatiques que l’on sait, fin programmée du droit d’asile, tests ADN, statistiques ethniques, refus d’accueil dans les foyers d’urgences, etc., la liste est longue de toutes ces mesures qui établissent une rupture, même s’il serait ridicule d’idéaliser le passé, avec une conception républicaine de l’immigration et de son histoire.

Une inauguration officielle aurait également fait courir le risque, en invitant obligatoirement les élus de gauche parisiens, de faire entendre une voix tranchant avec la politique menée actuellement. Nul doute que le maire de Paris, Bertrand Delanoë, aurait su une nouvelle fois faire entendre une opposition résolue à cette politique, si injuste et si dure pour beaucoup de Parisiens. Afin qu’aucun cri d’indignation ne se fasse entendre, rien de mieux finalement que d’organiser le silence. Dommage que la CNHI en fasse les frais. Il semble donc que, derrière les mines réjouies du gouvernement actuel et d’un président Sarkozy si souvent hilare, contrairement aux apparences beaucoup d’inquiétudes se dissimulent. La gauche unie doit repartir au combat avec détermination contre la politique de ce gouvernement où la stigmatisation des immigrés n’est que le complément d’une politique de désagrégation de nos acquis sociaux. La gauche ne doit pas désespérer. Machiavel n’écrivait-il pas : « La meilleure forteresse des tyrans est l’inertie des peuples » ?

Par Alexis Corbière, premier adjoint à la maire du 12e arrondissement de Paris


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