Le mirage des heures sup (par Laurent Mafféis)

dimanche 14 octobre 2007.
 

Voté dans la précipitation cet été, le nouveau régime des heures supplémentaires est entré en vigueur le 1er octobre. Censées concrétiser la promesse sarkozyste de « travailler plus pour gagner plus », ces nouvelles règles sont d’emblée si complexes que personne ne sait pour l’instant comment les appliquer. Entreprises et syndicats espéraient que le décret d’application de la loi permettrait de mieux s’y retrouver, mais il n’a été publié que 5 jours avant l’entrée en vigueur du nouveau système. Parsemé d’équations obscures et de renvois en cascade à d’autres textes, ce décret rajoute encore de la complexité, au point que le gouvernement annonce maintenant la sortie prochaine d’une circulaire explicative. Une usine à gaz dont les effets néfastes pour l’emploi et les salaires inquiètent fortement syndicats unanimes et économistes de tous bords.

Le mythe du temps choisi

Le slogan « travailler plus pour gagner plus »est d’abord pour la droite un moyen de persuader les gens qu’ils sont seuls responsables individuellement de leur sort en matière de rémunérations. Pour laisser croire que les salariés, notamment les plus pauvres, sont coupables de ne pas travailler assez, Sarkozy a voulu faire croire que le travailleur pouvait choisir en toute liberté de travailler plus. Or le contrat de travail est clair. Le lien de subordination dans lequel se trouve le salarié fait que celui-ci ne peut pas décider de faire des heures supplémentaires, pas plus qu’il ne peut d’ailleurs refuser de faire celles que le patron voudrait lui imposer. En matière d’heures supplémentaires, c’est donc toujours l’employeur qui décide et le salarié qui subit. Rien ne garantit donc au salarié qui le souhaiterait qu’il pourra faire des heures sup. on constate d’ailleurs que les diverses mesures prises par la droite pour assouplir le recours aux heures supplémentaires n’ont eu aucun effet sur le nombre d’heures effectuées : le contingent d’heures sup autorisées est passé de 130 à 220 heures par salarié depuis 2005, mais le nombre d’heures effectuées en sus est resté stable, en moyenne autour de 44 heures par salarié et par an toutes entreprises confondues.

Des heures sup très inégalitaires

La première inégalité sera donc celle de l’accès aux heures sup elles-mêmes, puisque beaucoup d’employeurs continueront de ne pas en octroyer, comme c’est déjà le cas, puisque les patrons ne font aujourd’hui faire des HS qu’à 37 % seulement des salariés. Des catégories entières de la population en seront exclues par construction : là où existent déjà des modulations du temps de travail et une annualisation (les périodes de sous-activité se compensent avec les heures sup des pics d’activité, qui ne sont pas comptées comme telles), c’est-à-dire dans la plupart des grandes entreprises notamment de l’industrie. En sera aussi largement exclue la masse croissante des travailleurs à temps partiel contraint (1,3 million de salariés aujourd’hui, en hausse de 200 000 depuis 2002) où c’est l’employeur qui oblige le salarié à travailler moins qu’il le voudrait. Le nouveau dispositif Sarkozy n’est pas non plus applicable pour l’instant aux fonctionnaires, et la transposition qui est envisagée en excluera une grosse partie, notamment les instituteurs dont les heures supplémentaires effectuées pour l’aide aux devoirs après la classe ne seront pas considérées comme des heures éligibles. Un comble, quand on sait que la droite présente depuis des mois les heures sup dans la fonction publique comme une alternative aux revalorisations générales des traitements !

Les salaires durablement en panne

À entendre certains médias peu scrupuleux, le dispositif Sarkozy permettrait de revaloriser de 25 % le montant de toutes les heures sup. Or elles sont déjà bonifiées à 25 % dans toutes les entreprises de plus de 20 salariés et ce n’est que dans les PME que la majoration va effectivement passer de 10 % à 25 %. Et ce n’est pas grâce à Sarkozy, mais grâce au gouvernement Jospin qui avait programmé cette revalorisation pour le 1er janvier 2005... avant que la droite, Fillon et Sarkozy en tête, ne la reporte jusqu’à aujourd’hui. À part ce gain significatif pour ceux qui, parmi les 5 millions de salariés des PME, font déjà des heures sup, le gain potentiel en pouvoir d’achat pour tous les autres salariés ne sera que très minime. Et très inégal en fonction des revenus, puisque la défiscalisation des heures sup ne profitera par définition qu’à la moitié la plus aisée de la population qui paie l’impôt sur le revenu. Pour le père de famille smicard non imposable, le gain reste nul. Le nouveau dispositif ne soutiendra donc pas réellement le pouvoir d’achat et en tout cas pas celui de ceux qui en ont le plus besoin.

D’autant que le discours sur les heures supplémentaires contribue à évacuer du débat toute autre piste de hausse des salaires. Les patrons pourront même être tentés de convertir d’éventuelles hausses de salaires (par promotions, primes...) en heures fictives, de manière à payer moins de charges. Cela va encore renforcer l’arbitraire patronal, l’octroi d’heures sup étant discrétionnaire et réversible, là où une vraie hausse l’est beaucoup moins. La rhétorique des heures supplémentaires va donc être pour les patrons le moyen de durcir la rigueur salariale. C’est d’ailleurs comme cela que Sarkozy s’y est pris pour refuser toute hausse du SMIC. Avec une hausse du SMIC de 5 %, on aurait pu pourtant distribuer immédiatement 50 Euros de plus par mois aux 20 % de salariés qui sont aujourd’hui au SMIC et qui en ont le plus besoin, et cela de manière totalement égalitaire quels que soient leurs statuts ou la taille de leur entreprise, le SMIC s’appliquant partout. Mais en installant l’idée que la seule manière de gagner plus est de travailler plus, Sarkozy a balayé tout débat sur le partage des richesses dans le pays. Ainsi, seuls les détenteurs de capitaux gagnent de plus en plus, et cela sans travailler : depuis 10 ans les bénéfices du CAC 40 ont augmenté de 300 % tandis que le revenu salarial moyen ne progressait que de 3 %.

L’emploi en berne

Le gouvernement a mis le paquet pour rendre le dispositif alléchant pour les entreprises. De nouvelles incitations aux heures supplémentaires s’ajoutent en effet aux exonérations de charges patronales déjà existantes, soit 5 milliards d’Euros de cadeaux qui s’ajouteraient aux 25 milliards annuels d’exonération déjà engrangés par les entreprises. Le tout sans aucune contrepartie pour l’emploi. Au contraire, puisque l’incitation sera forte de remplacer des salaires de base par des heures sup moins coûteuses pour l’employeur. En imposant 4 heures sup à chaque salarié en place, une entreprise pourra facilement économiser un emploi sur 9 ou 10. Alors que la réduction du temps de travail avait au contraire déjà permis de créer 300 000 emplois (selon les estimations officielles du ministère du travail), le nouveau dispositif Sarkozy se présente ainsi comme une désincitation publique à l’embauche. Un comble dans un pays qui compte officiellement 2 millions de chômeurs et plusieurs autres millions en situation de sous emploi. Au lieu de les embaucher, on va parfois chercher à imposer des heures supplémentaires à des salariés qui travaillent déjà trop (voir exemples de Kronenbourg et Renault).

La sécu dans le rouge

Les 5 milliards de coût estimé se traduiront essentiellement en perte de recettes pour la sécurité sociale. On ne sait pas comment l’État va les compenser, d’autant qu’il doit déjà plusieurs milliards à la sécu depuis plusieurs années (4,6 milliards de dettes impayées fin 2006). Voilà donc une mesure qui rapidement aggraver les difficultés financières de la sécurité sociale... que le gouvernement veut faire supporter au final par les assurés sociaux sans souci cette fois pour leur pouvoir d’achat. Sans parler de ses effets induits qui peuvent être encore plus dévastateurs pour les finances sociales. Les patrons pourront en effet déclarer des heures sup fictives pour ne plus payer de charges sur une partie des salaires. Le dispositif Sarkozy sur les heures sup va ainsi à rebours de la politique de lutte contre la fraude, puisque la création d’heures franches de tous prélèvements fiscaux et sociaux s’apparente à une incitation publique au travail clandestin.


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