17ème congrès du Parti Communiste Chinois : Revue de presse

vendredi 2 novembre 2007.
 

1) Une expérience historique inédite ( par par Tony Andréani, professeur émérite de sciences politiques à l’université Paris-VIII (*)

Une image court les médias et finit dans les conversations : la Chine est le mélange inédit, mais contradictoire et forcément instable, entre un régime politique « communiste » et une économie caractérisée par un « capitalisme sauvage ». Tout cela n’est pas pure désinformation, mais masque une réalité plus originale et complexe. Une réalité qui gêne, car la Chine, par son insolente réussite économique, la plus longue et la plus soutenue de toute l’histoire, met à mal le credo néolibéral, en montrant qu’il y a une meilleure voie vers la croissance que le capitalisme financiarisé. Elle met aussi mal à l’aise une social-démocratie en perte de vitesse, en lui rappelant que ses vieux outils keynésiens fonctionnent si on les adapte. Enfin la gauche critique la rejette avec dédain. On passe ainsi à côté du caractère véritablement inédit de ce qui est une expérience historique de grande ampleur.

La Chine est-elle en transition rapide, mais maîtrisée, vers le capitalisme ? Le discours officiel parle d’une économie socialiste de marché et d’une étape inférieure du socialisme. Est-ce un paravent ? La politique de réforme visait en fait seulement à sortir la Chine des blocages de l’économie administrée. Si elle a bien un précédent historique (la NEP), elle est inédite par sa longueur, son processus expérimental et l’absence d’horizon défini. Et le résultat ne ressemble pas à une restauration pure et simple du capitalisme.

Qu’est-ce donc que ce socialisme « à la chinoise » ? Au niveau économique, un secteur étatique étendu qui n’est plus majoritaire, mais occupe le coeur de l’économie ; un secteur « collectif » plus faible et composite, mais qui emploie une bonne part de la population active urbaine et rurale ; un secteur certes capitaliste, mais qui représente moins d’un cinquième de la production nationale ; une planification incitative, rebaptisée « contrôle macro-économique » ; des services publics largement financés par l’État ou contrôlés par lui ; une politique économique volontariste ; la propriété publique de la terre. Ce court descriptif rappelle certains aspects socialistes de nos trente glorieuses, mais pointe aussi les différences.

Capitalisme sauvage ? Remarquons l’hypocrisie des officines occidentales accusant le régime de ne pas respecter les droits élémentaires des travailleurs, quand on menace en même temps de délocaliser vers d’autres pays si les entreprises ne peuvent plus s’opposer à une présence syndicale. En réalité une législation du travail existe, mais elle est mal et peu appliquée, surtout dans les entreprises privées sous-traitantes, soumises aux donneurs d’ordre étrangers. La politique de développement à tout prix a prévalu longtemps mais a déjà changé. C’est l’un des enjeux du 17e Congrès du Parti communiste chinois.

En matière de protection sociale, les effets de la réforme économique ont été négatifs. Mais il fallait construire de toutes pièces le système de protection sociale, autrefois à la charge des unités de travail, et d’importantes mesures viennent d’être décidées. La réforme politique ? On peut dire que le régime chinois a déjà fait de petits pas vers certains principes de la démocratie libérale. Mais il existe aussi des expériences de démocratie à la base et un intense débat sur ce sujet. Rares sont les courants qui réclament le multipartisme, pour lequel ce pays sans tradition démocratique n’est nullement préparé. La plupart souhaitent une démocratisation interne du parti dominant.

On voit donc que l’expérience chinoise ne peut être jaugée à l’aune de nos critères habituels ni des modèles passés. Il faut un décentrement du regard pour comprendre son caractère inédit, d’autant plus qu’elle se situe à l’époque de la mondialisation, que la Chine essaie d’affronter sans s’y laisser engloutir, et de l’urgence écologique, qui l’atteint en tout premier lieu.


2) La chine peut-elle sortir du capitalisme ?

Où en est la Chine ? Quelle voie se trace-t-elle ? Quel projet de société, de système porte cette phase de transition que le pouvoir chinois qualifie de « phase primaire du socialisme », où coexistent une économie de marché limitée, le macrocontrôle et des formes d’exploitations néolibérales effrénées ? Intégré à la mondialisation capitaliste, le pays le plus peuplé de la planète qui, en moins de trois décennies, a émergé sur la scène internationale et en est aujourd’hui un des acteurs majeurs, reste pour bon nombre d’observateurs un territoire de mystères difficile à percer et que l’on tente par facilité d’approcher en termes réducteurs. Bien que ces interrogations soient légitimes. Assiste-t-on à une marche inéluctable vers une restauration capitaliste ?

À moins qu’on y soit déjà ? Est-on dans un capitalisme monopoliste d’État ?

Ou devons-nous nous pencher de plus près sur ce « socialisme aux caractéristiques chinoises », que le secrétaire général du PCC, Hu Jintao, a longuement explicité lors de son rapport devant le 17e congrès du parti la semaine dernière à Pékin ?

Dans leur richesse, leur réflexion et leur diversité, les interventions que nous publions aujourd’hui dans ce dossier rendent compte de l’ampleur de la complexité de la percée chinoise. Une idée-force s’en dégage toutefois, celle d’une certitude de ce que sera demain la Chine. Rien n’y est figé, ni inscrit dans le marbre. Principalement parce que le champ des affrontements idéologiques y est fort et traverse le parti et la société. Le retour à une croissance plus équilibrée et plus sociale promis par la direction du PCC a été l’objet de luttes d’influence internes. Mais après le tout économique, la construction d’une « société harmonieuse » implique de repenser de nouvelles formes de développement et une démocratisation du système.

On sait par les débats qui ont précédé le congrès que ces questions sont à l’ordre du jour. « Plus les réformes politiques prendront du retard, plus le risque de graves désordres sociaux et de crises politiques inopinées sera élevé », écrivaient dans la revue Yanhuang Chunqiu (Printemps et automnes de Yanhuang) des cadres du parti.

Du succès de ces réformes dépendra demain l’issue de la transition chinoise.

Dominique Bari


3) Les sacrifiés du développement Par Céline Wang, maître de conférences de langue et civilisation chinoises à l’université Paris-VII.

Dans les débats intellectuels en Chine, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, s’opposent libéraux et néogauchistes sur la façon d’interpréter l’État et les solutions susceptibles de résoudre les problèmes sociopolitiques. Selon les libéraux, la Chine ne peut pas être encore considérée comme un État capitaliste. Ils estiment que les propriétés privées et publiques n’y sont pas clairement définies au plan juridique et que, malgré l’adoption de la loi du marché et l’adhésion à l’OMC de la Chine en décembre 2001, le pays ne dispose pas encore d’une véritable économie de marché, l’intervention du pouvoir d’État restant omniprésente. Ils considèrent que la réforme politique orientée vers la démocratie, l’État de droit et le système parlementaire reste à faire et qu’elle est incontournable pour que le pays accède au rang des États modernes. À l’opposé, les néogauchistes dénoncent les injustices et inégalités sociales, la corruption généralisée, dont ils rendent responsable la nouvelle voie capitaliste prise dans le pays depuis la réforme. Ils proposent de récupérer certains éléments positifs de la tradition révolutionnaire chinoise, afin d’inventer de « nouvelles institutions » plus justes et équitables qui devraient dépasser tant socialisme que capitalisme. Enfin les « néoconservateurs » recommandent de puiser aux sources de la tradition ancienne chinoise des notions proches de la démocratie et liberté occidentales tout en s’accommodant avec certaines valeurs occidentales considérées comme universelles telles que la démocratie, la science, les droits de l’homme, la liberté, afin de moderniser le pays.

Les réformes fixées par Deng Xiaoping en 1978 énonçaient à la fois des objectifs de modernisation industrielle et d’élévation du niveau de vie, une stratégie (développer prioritairement les villes côtières et la région Est, laisser s’enrichir une partie de la population), une méthode résumée dans la formule célèbre : « Peu importe que le chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape la souris. » On peut penser que l’état actuel de la Chine résulte de ces décennies de réformes. Il dénote certains succès économiques et l’amélioration du niveau de vie de la majorité des populations urbaines, mais aussi de graves problèmes : débordement d’infrastructures redondantes dans beaucoup de provinces, d’où surchauffe économique et développement déséquilibré, incompétences de l’administration à tous les niveaux, corruption et abus de pouvoir généralisés, disparités régionales, polarisation sociale : d’un côté, quelques centaines de milliers de Chinois ont bénéficié des réformes pour devenir des millionnaires, mais, de l’autre, une centaine de millions (ruraux et ouvriers licenciés) très pauvres sont les sacrifiés du développement, vivant dans la précarité et sous le seuil de pauvreté. Ayant choisi la liberté économique et transformé les grandes villes chinoises en foyers du capitalisme, les dirigeants de l’État chinois maintiennent, sur le plan politique, le système du parti unique. La voie vertigineuse de l’argent, combinée avec un pouvoir totalitaire sans failles, donne un curieux amalgame de capitalisme et de totalitarisme, qu’on pourrait qualifier de « voie chinoise au capitalisme » ou de « nouveau capitalisme ».

Néanmoins, rien n’effraie plus les Chinois qu’une nouvelle révolution paysanne qui risquerait de déboucher sur le désordre et l’anarchie. C’est pourquoi Hu Jintao, actuel président de la République populaire, a lancé le slogan de « société harmonieuse » dès son accession à la tête du parti et de l’État en 2002. Le terme « hexie » (harmonie) renvoie à une éthique traditionnelle chinoise, un état idéal que recherchent aussi bien les penseurs confucéens que taoïstes, ainsi que bouddhistes. On peut s’attendre à ce que Hu Jintao, qui a maintenant toutes les cartes en main, assigne comme tâche prioritaire à son équipe dirigeante, dans son second quinquennat, l’amélioration de la situation sociale du pays. Cependant, sans réforme approfondie en matière politique, cette bonne intention de bâtir une « société harmonieuse » risque d’être prise pour de la langue de bois comme tant d’autres.


4) La part des héritages Par Gilles Guiheux, professeur des universités, sociohistorien de l’économie chinoise (*).

La complexité des réalités socio-économiques chinoises contemporaines tient à la multiplicité des héritages dont ce territoire aux dimensions continentales porte la trace. En 1895, l’autorisation enfin donnée aux étrangers d’investir sur le sol chinois ouvre une nouvelle ère marquée par l’essor des industries modernes. Tandis que l’économie reste essentiellement agricole dans l’intérieur du pays, les métropoles de la côte s’intègrent au monde. Les guerres sino-japonaise puis civile, qui s’achève par le triomphe du communisme, stoppent net cette évolution. Les hommes qui prennent le pouvoir, venus de l’intérieur rural, et dont la carrière s’est faite dans l’épopée militaire de la conquête, se tournent vers l’URSS à laquelle ils empruntent, avec quelques aménagements, le modèle d’une économie planifiée. La modernisation se fait à marche forcée à coups de grands équipements coûteux en capitaux pourtant rares ; l’accent est mis sur l’industrie lourde. Dans les années soixante, la désorganisation de l’activité s’accompagne déjà d’une déconcentration du pouvoir. En 1979, tournant le dos au projet révolutionnaire, Deng Xiaoping relance le processus de modernisation économique et sociale. Pour ce faire, il fait appel aux capitaux étrangers. Dans les campagnes, il libère les énergies et éclosent de multiples petites entreprises qui viennent concurrencer le secteur d’État. En 1992, le parti reconnaît que l’avenir est à la construction d’une « économie socialiste de marché ». L’entreprise privée est à nouveau autorisée. En 2001, l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) arrime définitivement la Chine à l’économie mondiale.

Pourtant, il serait naïf de croire que chaque époque a fait table rase de la précédente. Pour évaluer les défis auxquels la Chine est confrontée, il faut donc prendre la mesure des continuités. Si les réseaux de relations personnelles ont joué un rôle important dans la mise sur pied au début du XXe de formes modernes d’organisation de l’activité économique, la personnalisation des rapports sociaux est une caractéristique durable du monde chinois des affaires, qui, on le comprend, n’est pas antinomique avec la performance. De grandes entreprises d’État dans des secteurs quasi monopolistiques continuent d’offrir à leurs salariés des conditions de rémunérations et de sécurité de l’emploi, voire de logement, qui sont proches de celles du temps de l’économie planifiée. Les innombrables ateliers familiaux qui ont transformé le paysage des campagnes chinoises de la côte s’apparentent parfois, comme dans les villages de mono-industrie de la maroquinerie ou de l’outillage, à des formes quasi proto-industrielles d’organisation de la production. Seule une fraction de la main-d’oeuvre ouvrière chinoise est employée par de grandes entreprises mondialisées. Pour le dire autrement, ce sont plusieurs époques qui cohabitent en Chine aujourd’hui.

Promettre la construction d’une « société harmonieuse », c’est répondre à un diagnostic juste : après avoir donné la priorité absolue à la croissance, il est urgent de se préoccuper du partage des richesses, sous peine d’explosion sociale et de remise en cause du monopole du Parti communiste sur l’activité politique. Cette révision significative des priorités ne doit pas pourtant masquer la difficulté de la tâche à accomplir : construire les institutions d’une économie de marché alors que de puissants intérêts désormais organisés en lobbies ont prospéré aux croisements de ces héritages.

(*) Gilles Guiheux a notamment publié

les Grands entrepreneurs privés à Taïwan,

la main visible de la prospérité, Éditions

du CNRS, 2002.


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