Les élections législatives dans l’Etat espagnol : un coup de frein à l’encontre du bloc réactionnaire, un avenir ingouvernable

jeudi 3 août 2023.
 

L’été bleu promis par Feijóo n’est pas arrivé, mais, au-delà du soulagement produit par la défaite des attentes de la droite, il ne semble pas non plus qu’un avenir plein d’espoir nous attende sous un nouveau gouvernement progressiste qui, au milieu d’une polycrise croissante et avec la menace d’une nouvelle phase d’austérité qui se profile à l’horizon, se limite à être un simple gestionnaire de ce qui existe déjà.

Avec un taux de participation de 70,4 % (4,2 % de plus que lors des précédentes élections de 2019) et dans un contexte de renforcement du bipartisme (de 48 % en 2019 à 64,8 %), la mobilisation accrue des citoyens de gauche a réussi à empêcher que la montée du bloc de droite, annoncée comme inéluctable par les sondages, ne se traduise par une majorité suffisante pour constituer une alternative gouvernementale. En effet, avec 33,1% des voix et 136 sièges (47 de plus) pour le PP et 12,4% et 31 sièges (19 de moins) pour Vox, les deux forces n’ont pas réussi à atteindre le total de 176 sièges nécessaires et il leur sera impossible d’ajouter des voix au-delà de Coalición Canarias (1) et UPN (1). Le recul de Vox est sans aucun doute une bonne nouvelle, mais il ne doit pas nous faire oublier qu’il a été influencé par la prise en charge croissante par la direction du PP du cadre discursif que ce parti a imposé ces derniers temps, qui pourrait même être renforcé sous la pression d’Isabel Díaz-Ayuso [dirigeante du PP et présidente du gouvernement régional de Madrid], qui se présentera bientôt comme une alternative à Feijóo, comme on a déjà pu le voir le soir de l’élection.

Le PSOE de Pedro Sánchez (avec 31,7 % des voix et 122 sièges) a été le principal bénéficiaire du vote utile contre cette menace - perçue comme très réelle après les pactes municipaux et régionaux du PP avec Vox, même dans les communautés autonomes comme la Catalogne et le Pays basque, malgré le fait que des forces comme EH Bildu (avec 6 sièges), PNV (avec 5), ERC (7), Junts (7) et BNG (1) seront décisives pour répéter l’expérience du gouvernement de coalition progressiste. Pour sa part, Sumar a obtenu 12,3 % des voix et 31 sièges, en deçà du chiffre obtenu par Unidas Podemos en 2019, bien qu’il ait réussi à enrayer le déclin subi par ce parti lors des dernières élections municipales et régionales du 28 mai. Quant aux autres forces situées à sa gauche, la CUP n’a pas réussi à revalider les deux sièges qu’elle avait obtenus lors des dernières élections générales (passant de 6,37 % à 2,81 %), tandis qu’Adelante Andalucía, qui ne s’est présenté qu’à Cadix, n’a pas atteint son objectif d’un siège, obtenant 1,42 % des voix.

Il s’agit là des principaux chiffres d’une élection qui a marqué la fin d’une campagne intense commencée immédiatement après les élections du 28M [28 mai], caractérisées par un changement constant de scénario sous l’impact des pactes que le PP et Vox ont négociés dans de nombreuses mairies et communautés autonomes, et au cours de laquelle une grande partie de l’électorat a pris conscience de la menace que représenterait l pour les droits fondamentaux et les libertés, la formation d’un gouvernement par ces deux partis. C’est pourquoi le vote de la gauche sociale a été essentiellement défensif, « responsable », comme certains l’ont décrit, afin de préserver les acquis face à ce qui pourrait devenir une véritable régression historique.

Cependant, malgré le renforcement du bipartisme, la clé de la possibilité de former un nouveau gouvernement progressiste continuera de reposer sur les formations politiques périphériques et, en particulier, sur EH Bildu, ERC et, surtout, Junts. Nous verrons donc une fois de plus que sans la résolution démocratique de la fracture nationale-territoriale que traverse l’État, il n’y aura jamais de stabilité ni de gouvernabilité. Raison de plus pour lutter pour la fin des politiques répressives et pour continuer à exiger la reconnaissance de la réalité plurinationale et du droit de nos peuples à décider de leur avenir, y compris de leur indépendance.

Cependant, il n’y a aucune raison de croire que si le risque d’impasse est surmonté, il y aura un changement de cap par rapport à celui maintenu jusqu’à présent par les principales formations d’un bloc progressiste dans lequel, en outre, le PSOE sort renforcé, tandis que Sumar, qui a montré sa volonté de faire de nouveaux pas en avant dans la modération programmatique [1] et sa subalternité par rapport au leadership de Pedro Sánchez, semble être dans une position plus faible que par le passé. Si ce dernier poursuit les politiques - qui sont aussi les politiques dominantes dans l’Union européenne - dans le cadre desquelles la droite et l’extrême droite se sont développées, il est à craindre que la dynamique précédente continue à être alimentée, avec le facteur aggravant que ces forces disposent de plus de leviers institutionnels (y compris maintenant un Sénat avec une majorité absolue du PP) qu’auparavant.

Pour cette raison, il sera nécessaire de remettre au centre la réactivation de la mobilisation populaire, au-delà du vote, autour d’objectifs et de revendications capables de déborder le cadre progressiste dominant, afin de repousser le bloc de droite dans ses positions. Ces derniers, comme nous le voyons déjà, ne baisseront pas les bras et n’hésiteront pas à se mobiliser dans la rue et à partir de leurs espaces de pouvoir, se préparant ainsi à l’éventualité d’une nouvelle élection.

Au-delà, donc, des analyses électorales du 28M et du 23J [23 juillet], il est nécessaire d’ouvrir un processus de réflexion collective au sein de la gauche sur les tendances de fond qui se développent au niveau national et européen, afin d’ouvrir une nouvelle phase de recomposition qui dépasse la politique du moindre mal et la culture de gouvernement.

Enfin, il faudra travailler pour « un projet écosocialiste large, qui ne se contente pas d’administrer ce qui existe déjà, et qui cherche à élargir le champ des possibles. Un projet qui nous permette de visualiser que ce qui n’est pas possible aujourd’hui, ni même ne semble possible aujourd’hui, pourrait commencer à être possible, collectivement, demain » [2].

Jaime Pastor

• Traduction DeepL et Pierre Rousset de : https://vientosur.info/freno-al-blo...

• Jaime Pastor est politologue et rédacteur en chef de Viento sur.

Notes

[1] Manuel Garí, « Las debilidades de la izquierda en tiempos de cólera », viento sur, 19/07/23, https://vientosur.info/las-debilida...

[2] Miguel Urbán, « Zapatero y la restauración del bipartidismo », viento sur, 19/07/23, https://vientosur.info/zapatero-y-l...


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