Un ensemble de courants marins crucial pour le climat est-il sur le point de s’effondrer dans l’Atlantique nord ?

jeudi 10 août 2023.
 

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L’un des principaux circuits de courants océaniques est-il sur le point de s’effondrer ? D’après une étude publiée le 25 juillet dans la revue scientifique Nature communications, le réchauffement climatique va pousser la circulation méridienne de renversement de l’Atlantique, également appelée Amoc de son acronyme anglais (Atlantic meridional overturning circulation), au-delà de son « point de basculement » vers le milieu du siècle. En s’appuyant sur des estimations de la température de surface de l’océan entre 1870 et 2020, les auteurs assurent anticiper, avec 95 % de probabilité, un effondrement du système entre 2025 et 2095, si nos émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au rythme actuel.

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L’étude est loin d’avoir laissé la communauté scientifique indifférente, les chercheurs suivant de très près l’évolution de l’Amoc. Peu connu du grand public, cet ensemble de courants circulant dans l’Atlantique nord, le long des littoraux américains, de ceux d’Europe de l’ouest jusqu’aux mers nordiques de Scandinavie, d’Islande et du Groenland, joue pourtant un rôle crucial de thermostat du climat. On peut le comparer à un énorme fleuve dont le débit s’élèverait à environ 18 millions de mètres cubes d’eau par seconde. Concrètement, l’Amoc transporte de l’eau chaude salée des tropiques vers l’Atlantique nord. Plus légère que l’eau froide, celle-ci reste en surface avant de se refroidir au niveau du Groenland. Elle va ensuite de nouveau « couler » et rejoindre les courants profonds qui vont vers le sud, formant un cycle naturel.

« Sans ce transport de chaleur de l’équateur vers les pôles, le climat ne peut pas être stationnaire », explique Julie Deshayes, océanographe spécialiste de l’Amoc et chercheuse du CNRS au laboratoire d’océanographie et du climat. L’équateur, particulièrement soumis au rayonnement solaire, se réchauffe en permanence tandis qu’à l’inverse, les pôles se refroidissent. Pour que le climat reste stable, l’océan et l’atmosphère doivent donc impérativement transporter cette chaleur d’un point à l’autre de la planète.

Définir le point de non-retour Vidéo associée : Dérèglement climatique : « C’est l’ensemble du droit international qu’il faut écologiser » (Le Point)

Or, le ralentissement de l’Amoc a été observé par les chercheurs dès 2004, date à laquelle un premier réseau de bouées océaniques servant d’instruments de mesure a été installé entre les Etats-Unis et l’Afrique. Depuis, les études s’accumulent pour tenter de comprendre ce phénomène et définir le fameux point de bascule à éviter. Ces dernières s’appuient également sur l’analyse d’indicateurs indirects de la force du courant, comme les organismes microscopiques et de minuscules sédiments du fond marin. Les dernières données recueillies permettent aux scientifiques d’affirmer que le système n’a jamais été aussi faible depuis plus de 1000 ans.

Si plusieurs facteurs sont à prendre en considération, le réchauffement climatique est tenu pour principal responsable. La hausse des températures mondiales provoque en effet une fonte des glaces de l’Arctique, qui entraîne un afflux d’eau douce froide mettant le système en péril. Reste à savoir quand le fameux point de bascule sera atteint. Difficile pour le moment de le prévoir, faute de recul suffisant : le corpus de données à disposition ne remonte qu’à 2004, comme le précise le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Dans son rapport spécial sur les océans paru en 2019, une place était laissée au doute : si l’affaiblissement de l’Amoc au cours du XXIe siècle était jugé « très probable », la perspective d’un « effondrement » semblait « très peu probable », tout de même avec un « degré de confiance moyen ».

En mentionnant la probabilité d’un point de bascule dès 2025, les auteurs norvégiens de l’étude publiée dans Nature communications – tous deux mathématiciens – se sont donc attiré les foudres de leurs collègues océanographes ou membres du Giec. La parution d’un article du Guardian titrant « Selon une étude, le Gulf Stream pourrait s’effondrer dès 2025 » a allumé la mèche sur les réseaux sociaux. « Attention. C’est une étude isolée, qui contredit beaucoup de modèles existants. Seulement deux auteurs, alors que ce type de travaux est souvent issu de projets collaboratifs. L’Amoc et le Gulf Stream, ce n’est pas la même chose », a par exemple déclaré sur Twitter François Gemenne, politologue et auteur du Giec.

Souvent confondu avec l’Amoc, le Gulf Stream est en réalité un puissant courant qui ne se fond qu’en partie dans cet ensemble. Très localisé, il longe la Floride et la côte est des Etats-Unis avant de s’orienter vers le large et de se désintégrer en tourbillons. « Le Gulf Stream ne va pas s’effondrer à moins que les vents ne cessent ou que la Terre ne s’arrête de tourner, ce qui n’arrivera pas de sitôt. L’Amoc est un phénomène différent, mais le titre aurait tout aussi bien pu être : “Il est peu probable que l’Amoc s’effondre d’ici 2025” », abonde sur Twitter l’océanographe britannique Geoffrey Vallis, professeur à l’université d’Exeter.

« Le risque doit être pris très au sérieux » « Cette nouvelle étude repose sur une approche exclusivement statistique de l’Amoc. Or, l’Amoc est un des éléments de la dynamique des océans qui relève de la science de la physique. Dans ce domaine, j’observe plutôt des approximations grossières n’apportant rien de nouveau, abonde Julie Deshayes, qui explique que les chercheurs norvégiens ne présentent pas de nouvelles observations de l’ensemble du système océanique. En revanche, je rejoins une des conclusions de l’article qui dit que, dans tous les cas, une diminution de l’Amoc est mauvaise pour le climat de la planète. Plus la diminution sera rapide, plus les conséquences seront catastrophiques. Et on sait ce qu’il faut faire pour y remédier : limiter les émissions de gaz à effet de serre. Peu importe si on franchit ce point de bascule dans 23 ans ou dans 58 ans. »

« Les études individuelles ont toujours des faiblesses et des limites, mais lorsque plusieurs études avec des données et des méthodes différentes indiquent un point de bascule déjà assez proche, je pense que ce risque doit être pris très au sérieux », écrit l’océanographe et climatologue allemand Stefan Rahmstorf sur le blog spécialisé en sciences du climat RealClimate. Le chercheur, lui-même auteur d’une publication sur l’affaiblissement de l’Amoc en 2021, rappelle que les modèles climatiques standards ne prennent pas en compte la fonte de glace du Groenland et l’apport d’eau douce qui en résulte dans l’Atlantique Nord et qui contribue à affaiblir l’Amoc. Idem pour la hausse des températures globales à la surface des océans due au réchauffement climatique qui met à mal la « plongée » des eaux en profondeur nécessaire au bon fonctionnement du cycle. Et de conclure : « les modèles standards sous-estiment donc probablement le risque d’effondrement » du système.

Julie Renson Miquel, 1er août 2023


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