Refus d’obtempérer : quand la police tue

jeudi 24 août 2023.
 

Au moins 21 personnes ont été tuées depuis 2020 lors d’un contrôle routier, au motif du «  refus d’obtempérer  », jusqu’à ce funeste 27 juin 2023, à Nanterre. Basta ! les a recensées dans une base de données qui contribue à rendre visibles celles sur lesquelles il faudrait, au moins, s’interroger sans accorder un blanc-seing aux policiers dans leur action.

PAR Ivan du Roy et Ludovic Simbille

Enquête réalisée en partenariat avec Basta !

2020-2023. Olivio, Nathalie, Souheil, Jean-Paul, Fadjigui, Boubacar, Rayana, Omar, Rihanne, Adam… Leur point commun  ? Comme Nahel, ils et elles ont été tué·es par des policiers ou des gendarmes lors d’un contrôle routier, au motif du «  refus d’obtempérer  ». Au moins 21 personnes (1) sont mortes dans ces circonstances depuis 2020 – année de l’arrivée de Gérald Darmanin à la tête du ministère de l’Intérieur –, jusqu’à ce funeste 27 juin 2023, à Nanterre. En quinze ans, de 2002 à 2017, 17 personnes ont trouvé la mort à la suite d’un refus d’obtempérer, contre 32 depuis 2017.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi controversée sur les conditions de légitime défense des policiers, on dénombre ainsi cinq fois plus de victimes. Si l’on connaît leurs noms et leur nombre, c’est parce que nous recensons les interventions létales des forces de l’ordre depuis presque dix ans. Cette base de données permet de savoir combien de personnes décèdent du fait de l’action de la police ou de la gendarmerie, comment – d’un tir, d’un «  malaise  » ou d’un accident, par exemple – et dans quelles circonstances  : la personne était-elle armée, s’agissait-il d’un simple contrôle d’identité ou d’une opération contre des suspects potentiellement dangereux, le décès a-t-il eu lieu pendant une arrestation ou lors d’une garde à vue, etc. (2)  ?

Il n’est pas de notre ressort de juger de la légitimité ou non de la réaction des agents et de la stricte proportionnalité du recours à la force dans tel ou tel contexte. C’est à la justice de le faire quand des plaintes sont déposées et que la légalité de l’usage de la force est contestée. Encore faut-il que des enquêtes rigoureuses soient menées pour s’approcher au plus près de la vérité. Encore trop souvent, la version des policiers impliqués est contredite par celle des témoins, voire par des images vidéo. Le drame qui a frappé Nahel, sa famille et ses proches l’illustre une fois de plus. Les premiers récits livrés par les agents assermentés ont largement été mis en doute par la diffusion d’images de la scène. Combien d’affaires de ce type et depuis combien de décennies  ?

Encore trop souvent, la version des policiers impliqués est contredite par celle des témoins, voire par des images vidéo.

Notre base de données contribue à rendre visibles celles sur lesquelles il faudrait, au moins, s’interroger sans accorder un blanc-seing aux policiers dans leur action. Or sur ce sujet, pouvoirs et contre-pouvoirs dysfonctionnent depuis trop longtemps. La corporation policière semble incapable de réaliser son mea culpa, certains syndicats sombrant même dans une irresponsable surenchère, en particulier vis-à-vis des jeunes racisés des quartiers populaires. Par ignorance, mépris ou paresse, de nombreux politiques s’enferment dans le déni et refusent d’agir. Pour les mêmes raisons, nombre de médias prennent trop souvent la seule version policière pour argent comptant, sans chercher à la vérifier. Quant à la justice, elle peine à trouver sa voie, coincée entre les réticences d’une police censée mener les enquêtes qui lui permettront de trancher et une volonté politique qui fait défaut. Ce sont aussi ces dysfonctionnements qui ont contribué à enflammer de nombreux quartiers.


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