ENTRETIEN – Bastien Lachaud, député LFI convoqué au commissariat pour avoir dénoncé l’élevage intensif

samedi 11 novembre 2023.
 

Élevage intensif. Députés et militants insoumis se sont rassemblés en nombre en ce début novembre 2023 devant le commissariat du 7ème arrondissement. Tous sont venus pour soutenir Bastien Lachaud, député insoumis convoqué par la police pour avoir dénoncé la maltraitance animale liée à l’élevage intensif. Malgré les bourrasques, le député avait la tête haute et le verbe fort. « La criminalisation des lanceurs d’alertes et des défenseurs du vivant se multiplie dangereusement » a-t-il dénoncé.

Sa convocation est en effet hautement politique. Elu en 2017, et réélu en 2022, l’insoumis a multiplié les faits d’armes et les mobilisations pour dénoncer la maltraitance animale liée à l’élevage intensif. En 2019, c’est ce qu’il a fait à propos d’un établissement d’où sortent les jambons Fleury Michon, marque qui assurait à l’époque que « les porcs étaient heureux dans leur élevage ». Le groupe industriel, dans un excès de confiance, était allé jusqu’à en faire un slogan publicitaire sous la formule « Venez vérifier » pour séduire les consommateurs, et mieux les tromper.

Aussitôt proposé, aussitôt réalisé, le député insoumis s’est déplacé en 2019 pour vérifier de ses propres yeux les conditions d’élevage tant vantées. Sur place, le tableau n’avait rien du cadre idyllique vendu par les industriels. « Avec les associations animalistes, nous avons pu constater que c’était l’horreur habituel de tous les élevages intensifs », dénonce le député insoumis. C’est pour avoir dénoncé les conditions d’élevage intensif dans cet établissement que Bastien Lachaud et les militants associatifs sont poursuivis. Un nouvel exemple de la criminalisation des lanceurs d’alerte et des défenseurs du vivant, « que le Gouvernement nomme écoterroriste pour disqualifier notre cause ». Auprès de l’Insoumission.fr, Bastien Lachaud nous fait le récit de cette haute lutte pour la défense de l’intérêt général.

« Les pratiques de l’élevage intensif ne sont pas seulement de la maltraitance à grande échelle. Ce sont des bombes sanitaires en puissance. »

J’ai effectué cette visite en mai 2019. Même pas un an plus tard, la pandémie de coronavirus a frappé le monde entier. Si les causes de cette pandémie n’ont pu être établies avec certitude, les hypothèses les plus sérieuses pointent vers le marché d’animaux vivants de la ville de Wuhan, dont est partie l’épidémie, et le passage du virus d’un animal à l’homme, ce qu’on appelle une zoonose.

Les conditions d’enfermement des animaux de l’élevage intensif portent des risques sanitaires accrus pour les animaux, mais aussi pour l’homme. Non seulement les élevages porcins, mais aussi les élevages avicoles, qui font face très régulièrement à des menaces de grippe aviaire. Et des abattages sont pratiqués pour empêcher la dissémination d’un élevage à l’autre, avec comme hantise le passage de cette grippe à l’homme, comme ce fut le cas dans les années 2000.

Mais ces élevages ne sont pas seulement des bombes sanitaires du fait du passage de maladies contagieuses à l’homme. Ils nous exposent toutes et tous au développement de l’antibiorésistance. La promiscuité dans ces élevages et les conditions de vie affaiblissent les animaux qui tombent plus facilement malades et se contaminent les uns les autres. Ils sont donc bourrés d’antibiotiques, face auxquels les microbes sont de plus en plus résistants. C’est une véritable menace y compris pour la santé humaine, car pour certains microbes, nous n’avons plus guère de solution car ils résistent à tous les antibiotiques connus.

« La condition humaine face à la condition animale »

Je considère que la condition humaine est un reflet de la condition animale. Nous sommes des animaux comme les autres. Et je crois que la pandémie de coronavirus a bien montré et rappelé que malgré toute nos techniques et la technologie que nous maîtrisons, nous sommes des animaux. Nous avons des besoins physiologiques comme les autres animaux. Nous avons besoin de manger et de boire pour vivre. Nous pouvons tomber malades, comme les autres animaux. Quand on nous enferme, nous ne le supportons pas, comme les autres animaux.

La maltraitance des animaux est une maltraitance des hommes. Les personnes qui travaillent dans ces élevages intensifs le font dans des conditions difficiles. Ils sont contraints d’accomplir des actes qui révulsent toute la sensibilité. Personne ne peut être indifférent à ce point à la souffrance. Il y règne une odeur épouvantable, tenace. Ce système maltraite les travailleurs qui sont usés par un tel travail. Ce système maltraite l’environnement qui ne peut absorber l’ensemble des gaz à effet de serre. L’élevage intensif porte une responsabilité importante dans ces émissions. En France, on estime que l’élevage est responsable de 18% des émissions de GES.

Les conséquences du dérèglement du climat se font déjà sentir. L’année 2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec des canicules hivernales, canicules l’été, canicules tardives. Nous ne pouvons pas attendre indéfiniment pour organiser notre société face au dérèglement du climat. Nous avons un intérêt général humain à défendre les conditions de vie compatible avec la vie humaine sur terre.

« L’élevage intensif est une organisation intensive de la maltraitance des animaux. » Je l’ai dénoncé comme parlementaire. J’ai déposé des amendements pour interdire les pires pratiques de l’élevage : la castration à vif des porcelets et la caudectomie, le broyage des poussins vivants.

Ce que j’ai pu constater sur place est de la maltraitance des animaux. Rien n’est fait pour qu’ils se sentent bien. Nous sommes loin des vidéos publicitaires qui tendent à nous faire croire que les animaux sont bien traités. J’ai regardé les vidéos publicitaires de Fleury Michon, elles ne correspondent pas à ce que j’ai pu constater.

J’ai pu constater que les animaux n’ont aucun accès à la lumière du jour et à l’extérieur. J’ai pu constater que les animaux sont enfermés dans des cages. J’ai pu constater que des animaux sont laissés blessés et sans soins, agonisants ou morts au milieu des vivants.

J’ai pu constater que les truies qui venaient de mettre bas, étaient enfermées dans des cages qui ne leur permettaient pas de bouger, ni de se lever.

« Certaines pratiques de l’élevage intensif persistent en toute illégalité ! » La castration à vif est illégale, elle est toujours pratiquée. Le claquage des porcelets est illégal, il est toujours pratiqué. La caudectomie est illégale, elle est toujours pratiquée.

Dans de nombreux élevages intensifs, de nombreuses dispositions légales ou réglementaires ne sont pas respectées : sur les densités, sur l’accès à l’eau, sur l’accès à des matériaux manipulables, sur le fait de ne pas soigner les animaux malades ou blessés, sur le fait de couper à la tenaille les dents, sur l’usage abusif de l’aiguillon électrique, etc. etc.

« La voie parlementaire n’a pas permis de mettre fin aux maltraitances » Pourquoi je n’ai pas employé la voie parlementaire pour dénoncer ces pratiques ? Je l’ai fait.

Depuis le début de mon mandat en 2017, j’ai porté politiquement l’interdiction de ces pratiques, notamment lors de l’examen du texte de loi sur l’agriculture et l’alimentation dit EGALIM examiné en mai 2018. J’ai déposé un amendement sur l’interdiction de l’élevage des animaux en cage, sur le temps de transport maximum des animaux vivants, et également sur l’interdiction de la castration des porcelets et la caudectomie. Il a été rejeté. Le ministre de l’époque et le rapporteur du texte de loi n’avaient cessé de répéter qu’il ne fallait pas légiférer, mais faire confiance à la filière.

Je n’avais pas tort en 2018 déjà de dénoncer la castration à vif. Le gouvernement a fini par se ranger à nos arguments, et a pris un arrêté le 24 février 2020, entré en vigueur le 1er janvier 2022.

Pourtant, il n’y a même pas un mois, une vidéo a été publiée tournée dans un élevage intensif porcin dans la marne. Celle-ci prouve que l’interdiction de la castration à vif n’est pas respectée. Il faudrait pouvoir retourner vérifier.

Ce n’est pas le seul manquement à la loi que j’ai pu constater comme parlementaire. Je me suis rendu devant l’abattoir de Blancafort pour contrôler les conditions de transport des animaux vivants. Car les animaux sont transportés dans des conditions contraires à la règlementation en vigueur, au vu et au su de tout le monde.

Mon groupe parlementaire a inscrit une proposition de loi pour l’interdiction des fermes usine à l’ordre du jour de l’assemblée nationale en avril 2021.

« Les Français sont majoritairement opposés à ces pratiques » Lors de l’examen de la proposition de loi de la France insoumise, un sondage a approuvé l’interdiction des fermes usines à 59%.

Selon un sondage de 2019, 88% des français sont opposés à l’élevage intensif. 85% des français sont opposés aux mutilations faites sur les cochons, selon un sondage qui date lui de 2017.

Il y a donc un consensus majeur dans le peuple français pour interdire ces pratiques. Pourtant, il a fallu attendre 2022 pour qu’enfin entre en vigueur l’interdiction de la castration. Et combien de temps faudra-t-il attendre pour l’entrée en vigueur réelle de cette interdiction, c’est-à-dire la fin effective de ces pratiques ?

Ainsi, face à la loi, face à la désapprobation généralisée, le seul recours semble-t-il trouvé pour ne pas respecter la réglementation est d’éviter que cela soit rendu public. Aujourd’hui, je suis convoqué devant vous parce que j’ai voulu montrer la réalité de l’élevage intensif. Parce que je suis venu vérifier. C’est-à-dire que la seule façon de pouvoir faire perdurer ces pratiques est de les dissimuler aux yeux du public.

L’arsenal politico-judiciaire est déployé pour réprimer, non pas les auteurs des infractions, mais les lanceurs d’alerte. De la création de la cellule Déméter visant à traquer spécifiquement ceux qui dénonceraient ces infractions. De la répression des lanceurs d’alerte. Ma convocation aujourd’hui s’inscrit dans cette tentative de faire taire la société civile, y compris les parlementaires, sur ces scandales de la maltraitance et les menaces sanitaires.

Propos recueillis par Sylvain Noel


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