Pourquoi je n’étais pas à la marche de dimanche (à contre-coeur)

samedi 18 novembre 2023.
 

J’aimerais vous raconter* pourquoi, à contre-cœur, je ne suis pas allé à la marche contre l’antisémitisme. Il ne s’agit pas d’un désintérêt, au contraire. Il ne s’agit pas non plus d’une prise de position politique, juste de ce que j’ai ressenti ces derniers jours.

Comme pour beaucoup, un appel à manifester lancé par les présidentEs des deux assemblées, Larcher et Braun-Pivet, ça ne me parle pas.

Comme beaucoup, l’annonce de la présence du RN, le parti qui est historiquement celui des collabos, de l’OAS et des SS m’a fait douter sur ma venue à cette marche.

Parmi mes amiEs, certainEs sont alléEs marcher et je respecte cette démarche. J’ai lu les appels d’organisations anticapitalistes juives à venir, elle m’ont touché, interrogé, convaincu en grande partie qu’il n’y avait pas d’autre cadre. Ces appels proposaient de construire un cordon sanitaire à Paris, de ne pas laisser le terrain aux facistes, de s’opposer partout où il le faut. Il nous rappelaient qu’il n’y avait malheureusement pas d’autres choix et que c’était crucial, c’est vrai. Le nier serait une faute. Si j’avais été à Paris, je les aurais suiviEs.

Quoiqu’il en soit, y aller ou non, les deux positions s’entendent lorsqu’elles sont exprimées par des antiracistes sincères. J’ai vu également beaucoup de dirigeantEs politique, blancHEs et de gauche, se lancer des invectives, des accusations de parts et d’autres, souvent opportunistes. Je ne me suis pas reconnu dans ces échanges. D’abord, parce que les leçons de parts et d’autres ne m’intéressent pas : la question était dès le départ faussée. L’on dit que lorsque l’on aime pas les cartes qu’on a en main, il faut les rebattre.

Sauf que... nous ne les avions pas en main, nous les avons perdues depuis longtemps, elle étaient restées à terre, jusqu’à ce que le camp d’en face fasse mine de les récupérer de leurs grosses mains pleines des sédiments de la peste brune. Voilà la première chose que nous devrions admettre. Nous pourrions le faire plus facilement si tout cela n’était pas faussé par les calculs politiciens. Nous qui n’avons pas d’intérêts à de tels calculs, prenons cette distance, restituons là, prenons ces histoires en main. La gauche n’est plus à la hauteur du combat contre tous les racismes et contre l’antisémitisme. Nous en payons le prix. Le reconnaître devrait être la base d’un travail de fond. Sans la gauche et ses valeurs, l’antiracisme est isolé, il peut être récupéré pour être détruit. Sans l’antiracisme, la gauche n’est plus.

Mais surtout, il y a autre chose, dont je me suis rendu compte hier en voyant les images des marches dans ma ville, Marseille, et ma ville natale, Nice. À Marseille, j’ai vu notre maire (de gauche) derrière une banderole avec Valérie Boyer, celle qui demandait la déchéance de nationalité de Karim Benzema. J’ai vu Stéphane Ravier, sénateur Zemmourien, et son service d’ordre issu de l’Action Française, faire une percée violente. Plus encore, à Nice, j’ai vu Philippe Vardon à la tribune. Cet homme est un ex-skinhead, néonazi, Zemmourien aussi, désormais élu municipal et régional. Cet homme fait partie de ceux qui m’ont déjà couru après avec ses sbires identitaires, quand j’étais adolescent, dans mon quartier (où se trouvait aussi leur local).

Il fait partie des raisons pour lesquelles j’ai quitté Nice, une ville empestée depuis longtemps par la violence fasciste à chaque rue, contre les non-blancHEs, les gauchos, les SDF. Ces gens sont un danger constant pour nous. La violence raciste, je l’ai vécue comme beaucoup d’autres. À cela s’ajoute la répression policière, celle contre les manifs (hier y compris) mais aussi celle du quotidien, qui nous touche inégalement.

J’imagine que nous sommes beaucoup, juifVEs, musulmanEs, non blancHEs de façon générale, à avoir ressenti la même chose hier, que nous ayons ou non marché : nous n’étions pas en sécurité, nulle part, où que nous soyons. Je ne suis pas en sécurité aux côtés d’une Boyer, d’un Vardon ou d’un Ravier. Si Larcher, Braun Pivet** et consors comprenaient quoique ce soit au racisme tel qu’il est vécu par la majorité d’entre nous, iels les auraient dégagéEs. Je suis sûr que même des gens de droite sincères peuvent comprendre cela.

Voilà la grande différence avec nos amiEs blancHEs, même de gauche : nos choix ne sont pas les mêmes, ils ne l’ont jamais été et le seront de moins en moins. Notre insécurité est celle-ci, elle s’accentue depuis des mois, des années, et nous ne sommes pas suffisamment protégéEs.

Aller ou non à cette marche, je respecte donc les deux positions. Finalement, je n’ai pas vraiment choisi, j’ai juste reculé devant un risque que je ressentais, devant l’impasse à laquelle nous étions touTEs confrontéEs et plus ou moins conscient du choix par défaut que je faisais. Je rêve cette semaine de voir la gauche à la hauteur des enjeux. Je rêve de voir à nouveau une marche que nous porterions par nous-mêmes, nous qui vivons le racisme, aux côtés de nos alliéEs sincères, dans une coalition qui mène de front la bataille contre tous les racismes, le RN, les fafs, ce gouvernement qui réhabilite les antisémites de notre histoire.

Il y a urgence à construire cette coalition. Sans elle, nous ne pourrons plus marcher en sécurité, dans la rue ou dans nos manifs. Nous devons marcher côte à côte, à l’intersection de nos combats, reprendre les cartes et les rebattre. Sinon, c’est notre société qui va à sa perte.

Bravo à toutes celles et ceux qui portent ce combat, nous instruisent sur l’antisémitisme et se placent en solidarité de toutes les luttes. Sachez que nous sommes à vos côtés, que nous vous écoutons et apprenons de vous, même lorsque nous ne pouvons pas marcher, quand le coeur nous dit oui mais que le corps nous rappelle nos propres peurs.

Kevin Vacher

Sociologue, militant et praticien de l’éducation populaire, activiste pour le logement digne, la démocratie et contre les discriminations. Marseille.


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