La loi est rejetée, mais ses auteurs la maintiennent ?

lundi 18 décembre 2023.
 

Le vote de la motion de rejet contre la loi immigration retentit loin et fort. Évidemment. Comment comprendre ce vote ? C’est le premier choc frontal pour lequel le gouvernement ne disposait pas de ses deux armes traditionnelles : le 49.3 ou bien les jeux d’alliances à géométrie variable avec le RN ou LR.

Pour le 49.3, on comprend le blocage, puisqu’il n’en est permis qu’un (déjà utilisé), en dehors des textes budgétaires où cependant le droit d’abuser n’a pas de limite.

La question se concentre donc sur l’échec des combines habituelles des macronistes avec la droite et l’extrême droite. Sans doute la personnalité de Gérald Darmanin a-t-elle joué un rôle négatif particulier, dans la mesure où il a semblé mettre en jeu sa crédibilité personnelle avec en vue la présidentielle de 2027. C’était une raison d’agir pour le RN. Pas pour LR, dont les soucis sont différents. Ce groupe n’était ni homogène sur le sujet, comme l’ont montré les votes (11 se sont abstenus et 2 ont voté contre), ni prêt à s’embarquer dans une logique où il lui faudrait soutenir en fin de parcours la macronie, comme pour la retraite à 64 ans. Enfin il a manqué cinq voix à la macronie.

Davantage était nécessaire si chacun était resté dans son rôle. En effet la macronie avait picoré large dans les autres groupes. Ainsi a-t-on vu tous les membres du groupe LIOT voter Darmanin, à l’exception de deux membres, dont l’une de ses figures de proue : Charles Amedée de Courson. Une voix du groupe EELV a également rompu la discipline de vote et voté Darmanin : l’ex-PS Delphine Batho. Il manquait encore trois voix de plus au PS, auxquelles il faut ajouter les députés PS de Delga, qui ont tous voté Darmanin depuis les bancs non-inscrits et LIOT, où ils siègent.

Dans une vue plus large, cette situation est un concentré du moment parlementaire. La macronie n’a pas la majorité à l’Assemblée, on vient de voir clair et net ce que cela implique. Après un rejet comme celui-ci, cela se traduirait dans n’importe quelle démocratie par une démission du gouvernement, et sans doute par un retour aux urnes. Mais nous ne sommes plus vraiment dans un fonctionnement démocratique. D’une part, nous sommes installés dans l’enfilade des 49.3 sur les deux grands budgets, celui de l’État et de la sécurité sociale. D’autre part, nous sommes en monarchie présidentielle. Le ministre Darmanin battu a présenté sa démission mais elle a été refusée.

Mais à qui l’a-t-il présenté ? Au président de la République et rien à la Première ministre qui est son chef de gouvernement et qui a proposé sa nomination. Ce seul fait nous enseigne la suite prévisible. La Première ministre s’en tiendra à son rôle d’accessoire sans consistance politique, muette comme depuis l’évènement. Tout va dépendre du monarque présidentiel et de lui seul. Il va tergiverser des heures durant. Puis il tranchera seul et hors de toute logique de compromis, comme d’habitude. Il ne peut en être autrement.

La Ve république était jusque-là un césarisme. Il faut au monarque présidentiel surplomber les parties prenantes pour mieux étouffer leur choc. Encore faut-il pouvoir le faire. Ce n’est pas le cas, puisqu’il n’a ni majorité ni Premier ministre pour prendre en charge la situation. Nous parlerons donc d’un césarisme sans les moyens.

Si Macron est certes moins audacieux et plus confus qu’au premier mandat, il n’en reste pas moins toujours aussi absolument imperméable aux logiques de la démocratie parlementaire. Il va vouloir passer en force. C’est-à-dire faire comme si l’Assemblée n’avait pas voté le rejet. C’est ce que signifierait le retour au texte du Senat.

Rappelons la règle constitutionnelle : c’est l’Assemblée qui a le dernier mot. Elle l’a dit, en même temps que le premier. N’a-t-elle pas rejeté le texte tel qu’il était sorti de sa propre commission des lois, après correction de celui du Sénat ? Négocier en commission entre une délégation des sénateurs venant avec leur texte et les députés les mains vides, après avoir rejeté le leur, est absurde. Cela revient à répondre au message du vote de l’Assemblée : « il ne s’est rien passé », ou bien « ferme ta gueule » comme dirait Gérard Larcher. Darmanin serait chargé d’expédier cette comédie. Tout cela alors qu’il n’y a aucune urgence migratoire qui le justifie.

Oublions un instant le parcours bringuebalant qui attend encore ce texte. Il était coincé dans les tuyaux de la macronie depuis janvier dernier. Voyons le « bougé » dans le bloc des trois que sont les trois groupes : macronistes, « Les Républicains », RN. En votant la motion de rejet présentée par le groupe EELV-NUPES, le RN a fait preuve de beaucoup d’audace. Il fallait que le jeu en vaille vraiment la chandelle. C’est le cas. Ici le centre de gravité de ce « bloc bourgeois » (comme le nomme le politologue Palombarini) a soudain montré un nouveau centre de gravité. Olivier Marleix avait pris la main, avec la décision de voter la motion de rejet. Le Pen ne pouvait la lui laisser et croupir dans le rôle d’ultime soutien à Macron.

Dès lors la démonstration s’est faite : RN et LR, quand ils s’entendent, abandonnent les macronistes pieds et poings liés aux coups de la gauche. La leçon se résume bien : qui commande ? Ce n’est plus Macron, mais les deux autres quand ils sont d’accord.

Je donne mon avis personnel au débotté, mais après consultation. Faire simple et compréhensible par tout le monde. Car l’image d’une démocratie parlementaire tortueuse n’arrangera rien dans le contexte glauque du moment. Bien sûr, la vraie solution ce serait le retour devant le peuple souverain. Mais personne n’imagine Macron tenant compte d’un désaveu de l’Assemblée. Et si ni Darmanin ni Borne ne veulent partir, comme ce serait le cas dans une démocratie parlementaire normale ?

Alors qu’au moins le texte rejeté par la majorité de l’Assemblée soit retiré ! S’il ne le fait pas et que le circuit de la navette reprend : rendez-vous au prochain passage du train ! Une belle occasion de continuer à démontrer à tout le monde ce qu’est le soi-disant « pôle modéré », déjà fait d’éborgneurs, soutien inconditionnel, forceur à coup de 49.3, laïque à éclipses, fouetteurs de familles pauvres et ainsi de suite.

Le début de la fin est engagé pour le gouvernement Borne. La transition commence en terrain très glissant pour Macron.


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