Forum thématique du PS "Les socialistes et l’individu" ( intervention de Mireille Le Corre)

dimanche 30 décembre 2007.
 

« Je vais essayer de vous présenter les éléments de doctrine qui commencent à faire convergence dans la commission, c’est évidemment un exercice difficile, d’abord parce qu’il date simplement d’un débat qu’on a réussi à clarifier mardi soir, donc tout cela est encore en cours. Et puis parce que, évidemment, les questions de fond peuvent apparaître très théoriques et je vais essayer de ne pas l’être trop.

Le premier accord, c’est sur l’intérêt même de questionner le rapport entre individu et société, pour deux raisons :

* d’abord, nous pensons que c’est un thème qui s’est imposé par le discours de la droite, et par l’idée finalement que l’individu et la société des individus seraient devenus un fait, que l’individualisation et la droitisation seraient rentrées dans le cadre de la société française et que, dans ce cadre-là, la gauche serait perçue avant tout comme égalitariste et comme niant toute approche individuelle et donc émancipatrice.

* La deuxième raison de l’intérêt de ce débat, c’est l’idée que le néolibéralisme qui est à l’oeuvre à notre sens ne produit plus véritablement de règlements, de normes et de morales et qu’il est donc important pour nous, au-delà de la riposte par rapport à ce constat soi-disant d’individualisation, d’aller au-delà et de produire de nouveau des repères collectifs sur le rapport entre individu et société.

Sur l’intérêt d’une clarification doctrinale, et pour reprendre ce que disait Anne Hidalgo sur la part de la sémantique et du politique, je crois que nous avons une approche un peu différente précisément parce que, comme le disait André Vallini, l’idéologie n’est pas un mot tabou, c’est un corpus d’idées que nous souhaitons mettre au clair. Et ce débat doctrinal est apparu très rapidement comme nécessaire entre nous, tout simplement parce qu’il y a de réelles ambiguïtés dans les textes que nous produisons, dans les discours que nous avons. Et, pour ne prendre qu’un seul exemple parmi plusieurs que nous avons évoqués, il y a l’idée de l’égalité des chances sur laquelle je reviendrai, qui est rentrée dans notre parti sans que véritablement nous en ayons analysé toute la philosophie sous-jacente.

Il y a évidemment toute la différence que nous devons faire et que nous avons fait dans les premières réunions entre les termes d’individu, d’individualisation (qui est un processus de fait) et celui d’individualisme qui serait évidemment le fait de promouvoir une certaine conception de l’individu. Quand on entre dans le débat sur la doctrine, et André y a fait allusion, plusieurs thèses sont apparues, je vais essayer d’en caricaturer deux et ceux qui les ont promues me pardonneront de les simplifier outre mesure.

1) Approche sociale

On a une première approche sur le lien entre individu et société qui finalement considère que le socialisme s’oppose d’abord à une conception individualiste, atomistique comme on l’a résumé, et à une démarche d’inspiration néolibérale. Dans cette thèse-là, nous rappelons que l’individu est avant tout un être social qui se fonde sur l’idée que, finalement, l’individu seul est une fiction, et que c’est avant tout par le lien social qu’il se construit et nous avons là-dessus pris l’exemple de nombreuses sciences sociales, que ce soit la linguistique, la psychanalyse, la psychiatrie, qui montrent que l’individu seul, déconnecté de son environnement, n’existe tout simplement pas et donc que le terme même d’individu pose problème.

Dans cette conception, qui revient sur ce qu’est l’individu au départ comme être social, il y a un refus, pour caricaturer là aussi, de la notion de responsabilité individuelle qui serait un renvoi à la seule personne, et puis évidemment la promotion d’une responsabilité toujours partagée avec la société. Il y a toujours dans cette première approche l’idée que les différences qui existent dans la société sont, à part quelques différences d’ordre naturel, toutes des inégalités d’ordre social. Et, enfin, il y a évidemment l’idée que la finalité du projet socialiste doit être la définition d’un progrès humain, d’une société de progrès humains et non pas, comme le pose la droite, d’une abondance matérielle.

2) Approche au travers du processus d’émergence de l’individu

Une deuxième approche, et encore une fois je simplifie beaucoup compte tenu du temps imparti, c’est l’idée de mettre d’abord en avant le fait que le socialisme est le produit du libéralisme politique et de l’émergence de l’individu depuis le XVIIIe siècle, ce qui est une approche différente évidemment, qui est davantage historique que philosophique.

C’est le fait libéral dans ce cas, au sens politique évidemment du terme, qui génère en partie notre socialisme démocratique, et cette approche qui nous a été présentée privilégie évidemment l’héritage des Lumières et l’héritage des primats de la raison sur la doctrine socialiste. Pour aller très vite, dans cette approche, l’objectif final de l’action politique et du socialisme est davantage que la définition d’une société de progrès humains, l’idée de l’émancipation individuelle.

3) Quatre points d’accord

Ce que nous avons essayé de faire, évidemment, c’est de faire converger ces deux tendances qui peuvent l’être autour de six points.

La première chose, c’est qu’il y a un consensus pour dire que, oui, l’individu, est un être social, que le socialisme le reconnaît comme tel, donc nous refusons l’idée d’une société des individus et en revanche nous reconnaissons l’importance de la singularité et l’importance de la prise en compte de l’aspiration des personnes. Mais il est clair que dans nos textes, dans nos écrits, nous pensons que le terme même d’individu devrait être récusé parce que c’est une première façon de rentrer dans le discours de la droite.

Le deuxième point d’accord important qui se dégage, c’est la clarté nécessaire sur l’utilisation du mot de libéralisme. Nous pensons que le libéralisme politique, qui est un des fondements du socialisme, et qui inclut la notion de lien social, doit être clairement distingué du néolibéralisme et de l’ultralibéralisme qui lui évidemment nie le lien social et la régulation.

Troisième point, qui a suscité des débats importants, et qui en suscitera encore, je pense, mais sur lequel on commence à avoir une clarification, c’est toute la notion de droits et devoirs ou de droits et contreparties. Là-dessus, je crois qu’on a un gros débat parce que vous voyez bien les répercussions politiques immédiates qui y sont liées, par exemple la question du RMI : est-ce un droit avec ou sans contreparties ? La question des allocations chômage. On voit bien que sur tous les sujets sociaux ce débat doctrinal est important. Là-dessus, nous sommes arrivés à une première convergence qui consiste à dire que le terme même de contreparties doit être récusé parce qu’il n’y a pas un rapport égal entre l’individu d’un côté et la société de l’autre. Et qu’en revanche, sur la notion de droit, il nous faut distinguer deux situations  :

* le socle de droits humains inaliénables, et là nous devons être en capacité de dire qu’il n’y a pas de contreparties sur ce socle de droits humains dans une société démocratique, aucune contre partie.

* ensuite les droits sociaux où là nous avons préféré parler, non pas de contreparties parce que, encore une fois, ces droits sont dus à l’individu et au citoyen, mais plutôt de conditions pratiques dans la mise en oeuvre de ces droits et de devoirs qui en sont la résultante et non pas la condition première.

Donc nous défendons les droits humains, nous défendons les droits sociaux, il ne s’agit pas de contreparties, mais tout simplement de mettre en avant la notion de dette sociale et donc de conditions dans la mise en oeuvre de ces droits.

Le quatrième point d’accord, c’est sur la notion d’émancipation et de responsabilité qui est un point important. Pour aller vite, là aussi, notre idée est évidemment que la responsabilité n’est pas simplement un devoir et que nous devons aussi l’affirmer comme un droit et donc comme la capacité de chacun à affirmer sa liberté personnelle.

Là-dessus, évidemment, on rebondit sur le débat que j’évo- quais un peu dans la première approche, sur : est-ce qu’on privilégie dans nos discours et dans nos politiques la responsabilité personnelle ou la responsabilité collective ? Évidemment, ce sont deux approches un peu tranchées, caricaturales, nous arrivons au fait de dire que le terme même de responsabilité individuelle, là aussi, nous pose problème parce qu’il tend à cautionner le fait que les individus seraient seuls responsables de leurs actes, et notamment on pense à la question de la délinquance quand on dit cela, qui ne peut pas être renvoyé au seul comportement individuel, et nous privilégions donc l’idée d’une responsabilité personnelle qui existe sans nier le fait qu’évidemment elle s’inscrit dans un contexte collectif.

Le dernier point, c’est sur la notion d’égalité. Là, nous sommes arrivés ce mardi soir à considérer que l’égalité des chances devait être récusée dans nos textes parce qu’elle comprend de nombreuses ambiguïtés, et surtout parce que nous savons que c’est avant tout un concept libéral qui met tous les individus sur la même ligne de départ sans leur assurer les conditions d’arrivées égalitaires et de moyens dans la façon d’y arriver. Là où on est moins bon, c’est qu’on n’a pas le concept substitutif.

On pense à l’égalité réelle, mais en retournant aux sources et à son opposition à l’égalité formelle, on pense à l’égalité des capacités qui est venue à l’égalité tout court, peut-être pour revenir à nos fondements. Mais en tout cas je crois que, là-dessus, nous avons eu un débat intéressant.

4) Des débats en suspens

Il reste trois points sur lesquels je ne peux pas vous en dire plus, sinon je trahirais les débats de la commission, * c’est la place respective de la loi et du contrat sur lesquels nous devons débattre,

* c’est la notion de classe sociale sur laquelle nous voyons bien qu’il y a un vrai débat à avoir : est-ce qu’on parle encore de classe au Parti socialiste ?

* Et puis le modèle républicain, la laïcité et finalement la part respective de l’espace privé et de l’espace public.

Tout cela nous montre, je crois, l’importance du fait du refonder notre doctrine qui peut apparaître très théorique dans ce que j’ai dit et fondamental pour la survie même du clivage gauche/droite. »


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