Les armées improvisées dans l’histoire : l’exemple de la Révolution française

mercredi 4 novembre 2020.
 

Face au nationalisme et au militarisme de la droite liée au capitalisme, face au risque de voir d’intervention de l’armée contre le peuple, le mouvement socialiste et les intellectuels de gauche ont oscillé entre d’une part la revendication d’une armée populaire d’autre part l’antimilitarisme.

Durant les 25 années avant 1914, un débat permanent a opposé les partisans de l’armée permanente, fortement encadrée par des professionnels, aux défenseurs d’une armée de masse, défensive, constituée du peuple armé, de miliciens. Tous les théoriciens de ce deuxième point de vue s’appuyèrent sur les exemples de la Révolution anglaise et surtout de la révolution française.

Ci-dessous, un texte de Gaston Moch, soutenant une armée de miliciens comme les socialistes Bebel et Jaurès.

... Tout permet d’affirmer que le moral des miliciens, combattant pour leurs foyers serait incomparable. D’ailleurs, où trouverait-on cette puissance invincible qui résulte de la conviction de défendre une cause juste, sinon chez un peuple obligé de défendre son territoire, après avoir prouvé au monde entier qu’il ne pouvait même pas songer à attaquer ses voisins ?

Reste la question du haut commandement : une armée de milices peut-elle espérer qu’au moment du danger il se trouvera parmi ses cadres un général en chef capable de la mener à la victoire ?...

Si l’on cherche à reconnaître quel caractère commun distingue les grands capitaines (et l’on rencontre parmi eux des hommes de toute provenance) des autres généraux, il en est un qui saute aux yeux : ils étaient tous fort jeunes.

Je ne veux citer qu’un exemple, celui des généraux de la Révolution, qui commandaient des armées à l’âge où aujourd’hui, un officier ne songe même pas encore à passer capitaine. Bonaparte, en Italie, avait 27 ans. Marceau était du même âge que lui, Hoche avait un an de plus, et toute la pléiade de maréchaux et de généraux... étaient à peu près du même âge.

Tels ces maréchaux de 1804 : Ney, Soult et Lannes, nés en 1769 comme Napoléon ; Davout et Suchet, d’un an plus jeunes ; Murat, né en 1771. Par contre, les généraux de la coalition étaient plutôt âgés (à l’exception) de l’archiduc Charles (25 ans en 1796).

C’est que les qualités d’un général en chef sont essentiellement celles de la jeunesse. Le chef d’armée est un agent d’impulsion qui doit avoir avant tout la vigueur, l’énergie, la rapidité de jugement et de décision. Quant à l’expérience, il suffit qu’à son côté quelqu’un l’ait pour lui ; j’entends par là qu’il doit être doublé d’un bon chef d’état-major... qui doit être un homme d’expérience et posséder, à la suite d’une bonne pratique, le "côté métier" de la guerre...

M Auguste Bebel, le député socialiste au Reichstag, a publié, au printemps dernier, sous le titre : Pas d’armée permanente, mais une milice une brochure très étudiée et très documentée. Le général Bogulawski, un des théoriciens les plus connus de l’armée allemande, répondit par une brochure intitulée Pas de milice mais une armée, dans laquelle il crut en imposer au public en le prenant de très haut à l’encontre de M Bebel, comme une "Excellence" se croit en droit de le faire vis à vis d’un député socialiste. "M Bebel, dit-il avec une exquise urbanité, prétend que le plus grand nombre de généraux de la Révolution française étaient dépourvus de toute expérience militaire. Cela est absolument faux". Et, pour corroborer cette opinion bien inattendue, il cite quelques exemples plus inattendus encore. Carnot et Berthier, dit-il, étaient officiers ; Dumouriez et Kellermann étaient généraux au début de la Révolution ; Bessières, Moncey, Lefebvre, Grouchy, Macdonald, Bernadotte, Augereau, Ney servaient alors comme "simples soldats". Quant à Davout, il était officier dès 1785 ; et Soult et Mortier furent nommés officiers en 1791...

Karl Bleibtreu, un des historiens militaires les plus justement appréciés de l’Allemagne répondit par une brochure intitulée : "Le tsar libérateur, un mot pour la milice contre l’armée permanente"... Carnot fut, non pas un chef d’armée, mais un organisateur... Berthier... ; Dumouriez aurait achevé de moisir dans l’oubli sans la Révolution, et, au surplus, mieux eût valu qu’il ne devint pas général ; Davout était en 1785, non pas officier mais élève à Brienne et commença sa carrière comme volontaire, chef de bataillon de la garde nationale ; quant à Mortier et Soult... s’ils devinrent officiers en 1791, il est difficile de contester qu’ils fussent des fruits de la Révolution ; enfin, les autres généraux cités par Bogulawski n’étaient que des sabreurs, sauf Hoche, Masséna et Jourdan, "véritables talents" ; mais en tout cas, du moment qu’ils étaient simples soldats en 1791, la thèse de M Bebel subsiste en entier ; ils n’avaient aucune instruction militaire théorique lorsqu’ils furent littéralement improvisés généraux.

Je me bornerai à rappeler les exemples les plus caractéristiques.

C’est dabord Hoche, palefrenier des écuries royales, qui est trompé par un racoleur et engagé à son insu... il fallut la Révolution pour faire de lui un officier. Il en était de même de Marceau, clerc de procureur, engagé à 16 ans, congédié comme sergent en 1789, rengagé en 1792. De même encore Victor, Oudinot, Lecourbe, Jourdan, Masséna, Murat (un maréchal des logis cassé), Soult, Ney, Bernadotte, et d’autres qui furent plutôt des soldats heureux comme Lefebvre, Augereau ; tous ceux-là étaient quand la patrie fut déclarée en danger, simples soldats ou sergents, les uns au service, les autres déjà congédiés et n’avaient jamais entrevu l’épaulette dans leurs rêves.

Parmi les gardes nationaux de 1791 et les volontaires de 1792 qui n’avaient jamais porté le fusil, nous trouvons : l’avocat Moreau, l’apprenti teinturier Lannes, le peintre Gouvion Saint Cyr, le perruquier Bessières ; la série des grands cavaliers... Lassalle, le conventionnel Milhaud, l’étudiant Pajol, Caulaincourt, Laferrière ; puis l’étudiant Joubert, le fabricant Suchet, le publiciste Brune, le sculpteur Franceschi, l’aubergiste Decaen, le grainetier Leclerc, le professeur Duhesme, le valet de chambre Hulin, le fils d’artisan Sébastiani ; les étudiants Junot, Mortier, Morand, Maison, Molitor, Legrand, Dorsenne, Claparède, Lapisse, Dejean, Mouton, Clauzel, Drouet d’Erlon, Exelmans, Oudinot, Compans, Barbanègre, Cambronne, Daumesnil, Vandamme et Pacthod qui se couvrit de gloire à La Fère Champenoise avec sa division de garde nationale, tous ceux-là, et bien d’autres, s’engagèrent au début de la Révolution, quittant les carrières les plus diverses, et sans se douter eux-mêmes qu’il y avait en eux l’étoffe de grands généraux. Il est remarquable qu’il en fut de même de tous les grands artilleurs de cette époque...

Il en avait été de même de même de Washington, un planteur, qui se vit brusquement nommé général en chef à l’âge de 43 ans, et qui vainquit des généraux réputés.

De même lors de la Révolution d’Angleterre. Le brasseur Cromwell monta en selle pour la première fois à 42 ans. Il ne fut pas seulement un homme d’Etat, mais aussi un stratège de premier ordre, le véritable créateur de la tactique de cavalerie. Ses lieutenants Ireton et Lambert étaient étudiants : Harrison était boucher. Et que dire de ces colonels de son armée : Okey était chauffeur ; Pride, un charretier ; Fox, un chaudronnier ; Harvey, un marchand de soierie ; Blake, son grand amiral, était un professeur...

De même encore Goergei, le héros de l’insurrection hongroise de 1849, était un chimiste n’ayant jamais été officier...

Gaston Moch


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