Les grèves seraient une spécialité ringarde française : un mensonge d’Etat relayé par certains médias

jeudi 22 novembre 2007.
Source : Respublica
 

Avec le mouvement social que nous connaissons en cette mi-novembre, revient le cortège de désinformations que l’on nous livre en jet continu.

« La France est un pays continuellement en grève - Les méchants salariés font grève car ils prennent un malin plaisir à nuire aux gentils usagers - Ces mêmes salariés se payent le luxe de faire grève car ils n’ont rien à perdre pour leur emploi - Ces mêmes méchants grévistes n’ont qu’une idée en tête : paralyser l’activité économique du pays - Sur le principe du c’est toujours mieux ailleurs, la France gréviste est en tête du hit parade des pays les plus industrialisés ».

De « micro-trottoirs » en reportages d’une minute ou deux aux journaux télévisés de 20 heures, nous sommes continuellement abreuvés par ce flot continu de contre-vérités.

Le citoyen lambda ferait bien d’aller y voir d’un peu plus près, afin de fuir la doxa et de se forger sa propre opinion, de la manière la plus éclairée possible.

En l’occurrence, il ne fallait pas aller chercher bien loin pour sortir de ces lieux communs qui constituent la « machine à fabriquer l’opinion » comme le disait si bien Pierre BOURDIEU, notamment au travers des sondages. Pas étonnant peut-être que ce même Pierre BOURDIEU vienne de se faire traiter, avec d’autres, de fasciste par Bernard-Henry LEVY dans son dernier livre et à tous ses plateaux de télévision... pitoyable Mr LEVY !

Il suffisait donc de lire l’article de François DOUTRIAUX, dans la rubrique « Rebonds » de Libération du 14 novembre dernier. Article qui s’intitule : « le mythe d’un pays gréviste ». Ce monsieur, enseignant en droit privé et consultant juridique indépendant spécialisé en droit du travail et en droit pénal, y fait tomber quelques mythes.

NON, la France n’est pas un pays de grévistes.

Le nombre de journées individuelles non travaillées pour fait de grève était de 4 millions en 1976 ; en 2005, ce nombre est passé à 1 224 000. L’auteur explique : « l’ampleur et la fréquence des mouvements sociaux ne cessent de diminuer alors même que la population active ne cesse d’augmenter ». Sans commentaire.

NON, la France n’utilise pas davantage la grève que la plupart des pays industrialisés.

C’est même tout le contraire puisque nous apprenons qu’elle se situe en 11° place sur les 18 pays les plus industrialisés, en termes de journées non travaillées pour fait de grève. Autre mythe qui tombe, chiffres à l’appui : les modèles nordiques, cités régulièrement en exemple par rapport à la qualité du dialogue social qui y régnerait, se situent en tête du classement. Ainsi, « la flexisécurité tant vantée par les dirigeants français, semble caractérisée par un niveau de conflictualité plus important, notamment au Danemark, en Norvège et en Finlande ». Sans commentaire.

NON, « les grèves françaises ne se caractérisent pas par des journées nationales destinées à paralyser l’activité économique ». Nous apprenons, par exemple, que, « pour la période 1990 - 2005, les conflits localisés représentent 85 % des grèves, pour 14 % de conflits généralisés, et seulement 1 % de journées d’action nationale ! » Et l’auteur de terminer cette partie de son article par : « Que pouvons nous en conclure ? Pays le plus faiblement syndicalisé de l’union européenne, marqué par un taux de chômage élevé (là aussi, il convient de remettre fortement en question les chiffres officiels dont on nous abreuve, en particulier ceux de l’INSEE. Ces chiffres sont tellement problématiques que l’on n’a pas jugé bon de les publier pendant la dernière campagne présidentielle) et une hostilité croissante des médias à l’égard des mouvements sociaux, la France n’est pas un pays de grévistes ».

Cet article est beaucoup plus complet, et nous y apprenons bien plus d’informations précieuses que la synthèse quelque peu réductrice de ce texte. Pour preuve cette dernière citation : « Sur une carrière professionnelle de quarante années, un salarié français du privé fera donc grève moins d’une demi-journée, un fonctionnaire moins de quatre jours. Des chiffres à comparer avec les 33 millions de journées non travaillées pour cause de maladie (eh oui, c’est une certitude, le travail peu certes être un facteur d’épanouissement, mais trop souvent il rend malade et il tue, revenant ainsi à son étymologie latine issue du mot « tripalium » signifiant « instrument de torture » ...) en 2005. La grève apparaît 147 fois moins pénalisante pour notre économie que les arrêts maladies. La réalité est donc fort éloignée des phénomènes massifs souvent évoqués ».

La grève dans le quotidien

Étant moi-même syndicaliste depuis plus de quinze ans, je n’ai jamais rencontré un salarié faisant grève par plaisir. Rappelons qu’un gréviste n’est pas rémunéré, ce qui veut dire que cela lui coûte de l’argent de défendre des acquis sociaux ou d’en revendiquer des nouveaux. La grève est toujours un pis aller que les salariés, et les syndicats qui les représentent, utilisent toujours en dernier recours, et jamais de gaieté de cœur.

Faisons un peu de sentimentalisme compassionnel personnel, puisque c’est la spécialité de notre hyperprésident (bien que lui ne le fasse que dans certains cas et toujours de manière très ciblée ! ). Je suis un père qui élève seul ses deux enfants. Je travaille dans la fonction publique hospitalière (d’ailleurs, à ce titre là, je pense que je dois faire partie de ces privilégiés payés à ne rien faire si ce n’est à fomenter et à ourdir des complots grévistes ...) et je gagne, en moyenne, deux fois moins que dans le privé. Quand un mot d’ordre de grève survient - et comme nous l’avons vu plus haut ce n’est pas si souvent - ma première question n’est pas sur la défense de mon « outil de travail » et des conditions qui vont avec, mais financière car une journée de grève me coûte environ 80 €, ce qui est un quart de mon budget mensuel d’alimentation. Pour être clair, mon choix de faire grève ou non sera d’abord conditionné par cette approche financière et non sociale. Je suis vraiment très loin de me considérer comme un « acharné irresponsable » de la grève. Loin des fantasmes et des mensonges des média : telle est la réalité.

Mais ne nous y trompons pas ! Une grève c’est fait pour « importuner » le peuple et les décideurs quels qu’ils soient, car le but est bel est bien de créer un rapport de force quand nous pensons ne pas être entendus et quand nous pensons qu’il n’existe pas de véritables négociations. Par ailleurs, à l’hôpital, nous sommes soumis à réquisition pour assurer la continuité des soins (et c’est tout à fait normal, loin de moi l’idée de remettre ce point en question). Mais la conséquence est que lorsque nous faisons grève, qui cela gène t-il ? Pas grand monde ! et de ce fait, bon nombre de nos revendications ne sont quasiment jamais entendues. Si une grève n’importe pas, elle n’a en pratique que peu d’effets.

L’article paru dans Libération nous donne la possibilité de passer du mélange fait de ressentis irrationnels prédigérés, de doxa sociale, d’opinion publique savamment entretenue par nombre de médias (mais pas tous, et c’est important de le dire ! ) et nombre de politiciens (là aussi pas tous, et, là aussi, c’est important de le dire ! ), à une approche scientifique et statistique, objective et chiffrée - et qui plus est, dépourvue de toute dimension politicienne et syndicale ! Dommage, il n’a pas fait la « Une ». Même s’il est déjà bien qu’un tel article paraisse dans un quotidien à grand tirage tel Libération, ne cessons jamais d’être exigeants, soyons toujours réalistes : demandons l’impossible !

Au final, les questions que nous, citoyens, pouvons légitimement nous poser sont une série de « pourquoi ? ». Pourquoi toute cette désinformation récurrente ? Pourquoi vouloir dresser une partie de la population contre une autre ? Pourquoi continuer à désigner des boucs émissaires qui seraient responsables de tous les maux de notre société ? Nous pouvons, bien sûr, nous poser la même question concernant l’immigration car si nous connaissons bien les « étrangers comme boucs émissaires » - pour quasiment paraphraser Albert CAMUS - nous connaissons à présent les « fonctionnaires boucs émissaires », et si en plus ils sont grévistes ils changent immédiatement de statut pour obtenir de « grands Satans » ou de « grands Lucifers sociaux ». Heureux fonctionnaires ! Ils bénéficient d’une promotion (toujours sans augmentation de salaire...). Ici l’étymologie renseigne. Lucifer est « celui qui apporte la lumière ». Mais n’oublions que pour cela, le prix à payer est souvent la déchéance ...

Pourquoi tous ces mensonges qui sonnent comme autant de mensonges d’état ?

Hervé BOYER


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