Chirac, un justiciable ordinaire

vendredi 23 novembre 2007.
 

Les affaires « abradacabrantesques » devaient faire « pschittt... ». Mais elles ont fini par rattraper Jacques Chirac. L’ancien président de la République usait de ces formules pour faire diversion et se soustraire à la justice du temps où il bénéficiait d’une immunité liée à sa fonction. Il a été mis en examen hier pour « détournements de fonds publics » dans le dossier des chargés de mission de la mairie de Paris. La juge Xavière Simeoni le lui a signifié au terme de trois heures d’audition au pôle financier du palais de justice de Paris, où il avait été convoqué comme n’importe quel citoyen ordinaire. Le juge Philibeaux de Nanterre, en charge des emplois fictifs du RPR, s’était, lui, personnellement déplacé en juin dans le bureau de Chirac pour l’entendre comme simple témoin assisté. L’ex-chef de l’Etat n’a hier en revanche été soumis à aucun contrôle judiciaire.

Jacques Chirac, qui attend l’avis du Conseil d’Etat pour bénéficier d’une déclaration d’utilité publique pour le financement de sa fondation, a accusé le coup. Son avocat, Me Veil, a eu beau tenter de minimiser la portée de cette première inculpation pour un ancien président de la République, elle a fait l’effet d’une bombe suscitant des tombereaux de réactions. Choqué d’être ainsi convoqué, l’ex-chef de l’Etat s’est attaché, dans le bureau de la juge, à démontrer sa bonne foi. « Il estime très naturel de s’exprimer pour rétablir la vérité et son honneur », indiquait son entourage. « Jamais les moyens de la ville de Paris n’ont été mis au service d’autre ambition que de servir les Parisiennes et les Parisiens. Jamais il n’y a eu d’enrichissement personnel. Jamais il n’y a eu de système », a indiqué Jacques Chirac dans une tribune au Monde destinée à prendre les devants. Bref, l’ancien maire de la capitale et président du RPR se défend.

Copinage. Sous son règne municipal (1977 à 1995), 460 personnes ont pourtant bénéficié d’un contrat de travail de complaisance. Tous ne relèvent pas d’un emploi fictif, la plupart ayant seulement été recrutés par copinage. L’enquête pénale ne pointe d’ailleurs que 26 cas litigieux, « rattachés au cabinet du maire, n’ayant fourni aucune prestation pour la commune ou sans rapport avec leur rémunération, ayant travaillé exclusivement pour d’autres employeurs que la ville de Paris : associations, élus, partis ou organismes privés ayant les mêmes visées politiques ». Suffisant pour que Chirac se retrouve comme ses anciens directeurs de cabinet (Robert Pandraud, Daniel Naftalski, Michel Roussin et Bernard Bled), mis en examen. Eux l’étaient depuis cinq ans, faute de bénéficier d’une immunité présidentielle.

Croyant prévenir le prévisible emballement juridico-médiatique, l’ex-président a confirmé hier sa vocation à prendre ouvertement ses concitoyens pour des cons. « Je me suis entouré d’équipes compétentes et animées d’un exemplaire esprit républicain », écrit-il dans le Monde. Il veut sûrement parler des femmes, filles ou nièces de ténors politiques (Balladur, Pasqua, Perben, de Charette...), bénéficiaires d’un salaire confortable. L’une d’elles a dit aux enquêteurs : « Je n’ai jamais occupé de bureau à la mairie de Paris, je relevais uniquement de l’autorité de Jacques Chirac. Je lui faisais parvenir des notes manuscrites ou sommairement tapées avec une petite machine ; il téléphonait s’il avait quelque chose à me demander. »

Chirac dit aussi s’être entouré « d’hommes de qualité traversant une période professionnelle difficile et à qui [il] a voulu redonner une chance » : peut-être est-il ici question de ces naufragés du suffrage universel (Laurent Dominati, Jean de Gaulle, François Baroin...) qui, en panne ponctuelle de mandat électif, pouvaient se ressourcer à l’Hôtel de Ville. L’un d’eux, maire et sénateur du Nord, a expliqué aux enquêteurs : « J’ai postulé pour l’un de ces postes de manière à obtenir une fonction plus souple quant à l’emploi du temps. Je n’avais pas de bureau à la mairie de Paris mais je venais chaque semaine dans la capitale. »

L’ex-président en vient quand même à l’essentiel, le mélange de ses différentes casquettes de maire de Paris, député de Corrèze et de président du RPR, affirmant le plus sérieusement du monde : « L’exercice conjoint de ces responsabilités, tout à la fois locales et nationales, m’a permis d’agir plus efficacement encore au service des Parisiennes et des Parisiens. » On songe immanquablement à ce militant corrézien, qui a expliqué aux enquêteurs : « Je travaille depuis cinq ans à la fédération départementale du RPR en Corrèze, sous couvert d’un contrat de chargé de mission auprès du maire de Paris. Je m’y rends trois ou quatre fois par an. »

Ironie de l’histoire, le grand pourfendeur du système chiraquien, le socialiste Arnaud Montebourg, portait hier un regard amer sur cette « réaction judiciaire bien tardive ». Comme pris de compassion pour un « homme âgé, retiré des affaires publiques et en mauvaise santé », il a trouvé, sur RTL, « quasiment fictif » que la justice passe à l’action avec dix ans de retard. En attendant, Jacques Chirac n’entend pas se mettre en congé du Conseil constitutionnel, où il a siégé pour la première fois la semaine dernière. Aucune disposition légale ne l’empêche d’assumer ses fonctions au sein de la plus haute juridiction française, dont il est membre de droit en tant qu’ancien président.

de Antoine Guiral et Renaud Lecadre


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