Kurdistan : l’armée turque à la manoeuvre

dimanche 16 décembre 2007.
 

Depuis plusieurs semaines, l’armée turque masse des troupes à la frontière du Kurdistan d’Irak, en proclamant son intention d’en finir avec la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Ces vingt dernières années, l’armée turque a procédé à de nombreuses incursions dans la montagne de Qandil, à la frontière entre l’Iran, l’Irak et la Turquie. Toutes se sont soldées par des échecs, les camps des Kurdes du PKK étant inaccessibles aux blindés et, en hiver, inaccessibles tout court. Aujourd’hui, il faudrait de plus que le gouvernement turc s’affronte directement aux États-Unis et aux forces kurdes du Kurdistan autonome d’Irak. Pour le gouvernement américain, l’ouverture d’un nouveau front, dans la seule région d’Irak à peu près stable - à part l’enclave de Mossoul, soumise aux attentats dus à la présence d’Al-Qaida -, serait un scénario catastrophe. Pour les Kurdes d’Irak, qui viennent d’obtenir une très large autonomie, une invasion turque serait inacceptable, même visant uniquement les camps du PKK. Tout cela rend l’entrée des troupes turques improbable.

Les roulements de tambour turcs ont un autre objectif. Le gouvernement turc doit hausser le ton pour montrer aux nationalistes que les récents accrochages avec la guérilla kurde ne resteront pas impunis. Le principe de l’intervention armée a été voté par le Parlement turc, à l’unanimité, moins les dix-neuf voix des députés kurdes du Parti pour une société démocratique (DTP), que la justice cherche à interdire. Mais l’enjeu principal réside dans le statut de Kirkouk, ville située au nord de l’Irak et limitrophe du Kurdistan autonome d’Irak, qui suscite toutes les convoitises. Kirkouk a été arabisée par Saddam Hussein et est revendiquée depuis toujours par les Kurdes. L’article 140 de la nouvelle Constitution irakienne prévoit le règlement de la question par référendum, avant la fin de l’année. La région de Kirkouk produit près de la moitié du pétrole irakien et son passage sous contrôle kurde transformerait le Kurdistan autonome en grande puissance régionale. Cette perspective n’inquiète pas vraiment les chiites iraniens, de nombreux nouveaux gisements de pétrole ayant été découverts au sud de l’Irak et sous contrôle chiite. La Turquie, en revanche, ne supporte pas l’idée que Kirkouk puisse passer aux mains des Kurdes, même si elle a renoncé à ses revendications sur la région où vit une minorité turcomane.

Le PKK semble avoir changé de stratégie. Après des années de cessez-le-feu unilatéral, leurs modestes demandes d’exercice des droits des minorités, en conformité avec les critères de Copenhague, se sont heurtées au mur du nationalisme turc, quel que soit le gouvernement. La reprise d’actions de guérilla meurtrières pour l’armée turque en est le signe le plus visible. Murat Karayilan, le chef militaire du PKK, parle maintenant de confédéralisme dans la région. Ce retour au projet initial du PKK ne peut se faire sans composer avec la nouvelle donne politique. Les Kurdes d’Irak travaillent main dans la main avec l’occupant américain, allant jusqu’à prendre des cours de lutte antiterroriste avec des conseillers israéliens. La branche iranienne du PKK, le Pjak, est en guerre active contre les troupes de Téhéran à la frontière irano-irakienne. Les Kurdes d’Iran, sunnites et non chiites, Kurdes et non Persans, ont toujours été une minorité sans droits dans l’État iranien. Qu’ils aspirent à l’autonomie du Kurdistan irakien n’étonnera que certains nostalgiques, très attachés aux frontières arbitraires tracées par l’impérialisme franco-britannique dans la région. Le problème se situe dans le prix à payer pour cette autonomie. La récente scission du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), entre courants de gauche et nationalistes, montre que ce n’est pas si facile. Le PKK, qui est en fait un mouvement, est lui-même traversé par des courants. Sa dernière manifestation, début novembre à Paris, avait pour slogan : « Le Kurdistan sera le tombeau du fascisme. »

Mireille Terrin


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