Interview de Rajaa Berrada, féministe marocaine

lundi 3 décembre 2007.
 

Riposte Laïque : Peux-tu nous présenter l’association CIOFEM : centre d’information et d’observation des femmes marocaines ?

Rajaa Berrada : je suis membre du bureau du CIOFEM, chargée des activités culturelles. Le Ciofem est un centre d’information et d’observation des femmes marocaines qui fait partie de la ligue démocratique des droits des femmes : LLDF. La ligue est une grande association qui a plusieurs structures de différentes activités : espace jeunes, Ecole de l’Egalité et la Citoyenneté, Fondation de l’Action solidaire, centres d’écoute.

Le CIOFEM s’occupe de la documentation, de la formation aux formateurs en matière d’écoute, d’alphabétisation, d’organisation des ateliers d’écriture, de la mise en place des tables rondes, des journées d’étude et des colloques dont les thématiques s’inscrivent dans le cadre du renforcement des dossiers revendicatifs et de plaidoyer. La dernière manifestation culturelle est le colloque qui a eu lieu le 3 novembre ici à Casablanca portant sur genre, culture, société au Maghreb. Le prochain colloque est programmé sur : la violence à l’encontre des femmes et la loi cadre.

Riposte Laïque : Quelle analyse as-tu sur les premières mesures prises par le nouveau roi du Maroc, Mohamed VI, au lendemain de son couronnement, qui sont apparues comme un progrès vis-à-vis des droits des femmes marocaines ? Quelles autres mesures attends-tu ?

Rajaa Berrada : Il est indéniable que le premier discours du roi Mohamed VI au lendemain de son couronnement a été salué par toutes les femmes en général et par les associations de lutte contre les discriminations à l’encontre des femmes en particulier. Dans ce discours, le roi a appelé les partis politiques, le gouvernement et la société civile à oeuvrer pour le développement des femmes qu’il a lié à celui du pays.

Dans ce sens, le code de la famille qui a fait l’objet de controverse entre :

* les partis politiques se réclamant de la modernité, les associations de femmes réunies dans Le Printemps de l’Egalité et le gouvernement dit d’alternance conduit par un socialiste, M. El Youssefi d’un côté,

* les partis islamistes, les conservateurs de l’autre,et tous ceux qui résistent au passage à la démocratisation réelle de la société.

s’est retrouvé confié au roi pour avoir l’ultime arbitrage. La monarchie tiraillée entre la tradition et la modernité a constitué une commission composée de 12 hommes et de 3 femmes en mars 2001 afin qu’elle prenne le temps de cueillir les doléances des associations et des institutions concernées par la question. Cette commission a apporté une modification des lois concernant le statut de la femme dans tous les arrêts relatifs aux : mariage, divorce, garde d’enfant...

A mon avis, le roi a composé avec les éléments disparates de la société marocaine qui oscille entre modernisme prônant la démocratie et traditionalisme qui s’appuie sur l’Islam. Il a pu décider des lois novatrices qu’il a soumis au parlement, concernant la majorité des femmes qui étaient avant mineures dans l’acte de mariage qui se concluait entre deux hommes : le père ou le tuteur et le mari. Cette majorité est fondamentale dans la mesure où la femme devient responsable de la famille au même titre que l’homme.

Quant à la polygamie, elle est devenue difficile par la mise en place d’un certain nombre de contraintes dont la principale est l’autorisation dûment signée par l’épouse. Par contre, le divorce juridique est nouveau au Maroc puisqu’il n’ y avait que la répudiation auparavant qui était unilatérale c’est à dire entre les mains du mari sauf dans des cas hautement justifiés où l’épouse peut demander le divorce.

Notre combat futur va être orienté vers deux axes principaux à savoir l’interdiction de la polygamie et l’abrogation de toute loi discriminatoire. Ce sont deux points essentiels qui touchent l’égalité de la femme dans la famille vu que la polygamie donne lieu à des marchandages insupportables de la part du mari et dans la société puisque la femme y a une image de subalterne.

Riposte Laïque : Beaucoup pensaient que les islamistes allaient faire un score beaucoup plus important, lors des dernières élections marocaines. Leur semi échec te rassure-t-il ?

Rajaa Berrada : Tout d’abord, tous les Islamistes ne se sont pas présentés aux élections. Le parti Adl Wal Ihssan : Justice et Probité, parti non reconnu, a boycotté les élections. Ensuite, les partis islamistes qui ont participé aux élections sont tous pour la monarchie et se déclarent pour la démocratie. Par conséquent, les Islamistes voulaient devenir plus visibles sur l’échiquier politique et arriver à influencer l’Etat par leur idéologie.

Pour moi, le PJD n’a pas connu aucun échec, ni petit ni grand. Ce sont les Occidentaux et particulièrement les Américains qui ont donné l’illusion aux Islamistes qu’ils pouvaient remporter les élections. En réalité, les Islamistes sont loin de constituer une force majoritaire dans la société, sachant que seulement 35 pour cent ont participé aux élections dont 10 pour cent ont voté blanc.

A mon avis, c’est un parti qui n’offrait aucun programme qui pouvait le distinguer des autres. IL se réclamait de la mouvance islamique qui ne le démarquait pas non plus de l’Autorité religieuse du roi et ne répondait pas aux aspirations du peuple marocain, musulman dans sa grande majorité, mais sans extrémisme.

Riposte Laïque : Ce parti, le Parti de la Justice et du Développement, apparaît modéré. Nadia Yassine, une des figures de ce parti, se dit même féministe. Qu’en penses-tu ?

Rajaa Berrada : Il y a une petite confusion qu’il faut lever. Nadia Yassine est la fille de Cheikh Yassine du parti ADL WAL Ihsaan : parti de Justice et de Probité non reconnu.

Le PJD : parti Justice et Développement est un parti reconnu et a participé aux élections ; il est considéré comme un parti modéré par rapport au premier et à certains mouvements islamistes. Nadia Yassine ne parle au nom d’aucun parti. Elle est concernée par la question de la femme et s’en fait le porte parole. Cependant, elle ne présente pas de projet d’égalité et de citoyenneté, elle a manifesté contre le projet de la réforme du code de la famille dont j’ai parlé plus haut, faisant partie du mouvement conservateur.

Riposte Laïque : Tu es enseignante à l’université. Il t’arrive de faire cours devant des élèves voilées. Comment réagis-tu ?

Rajaa Berrada : Devant les élèves voilées, je fais cours d’une manière ordinaire vu que le Maroc est un Etat musulman par ses institutions. Les jeunes de 18 ans, 20 ans se voilent et se dévoilent selon des facteurs multiples mais ne sont pas pour autant islamistes. Souvent, elles portent le voile comme un effet de mode, par une pression exercée de famille, de voisins, etc. Le port du voile fait objet de débat partout dans le monde, ici au Maroc, dans les différents espaces associatifs et culturels. Il suscite de nombreuses polémiques : Il soulève d’abord la question de la liberté de la femme ; est-ce que le voile diminue, entrave son émancipation ? Faut-il interdire aux voilées certains espaces publics et de fait les condamner à l’exclusion ? Et de là découle le débat sur la laïcité des espaces.

Propos recueillis par Pierre Cassen

samedi 24 novembre 2007


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