Université : Marchandisation du savoir et loi Pécresse

samedi 25 avril 2015.
 

LA LOI PECRESSE et les mots

Sur le plateau de la 5, l’émission « Revu et Corrigé » a organisé une séquence sur le contenu de la loi Pecresse réformant l’enseignement supérieur. C’est déjà pas mal. Mais il n’y a pas eu le temps d’entrer dans le débat sur ce contenu. C’est pourtant indispensable. Car sinon les mots employés ne veulent rien dire. Par exemple : les universités pourront choisir librement leur enseignants et la rémunération de ces derniers. Elles pourront faire appel à des financements privés. Soit. Mais comment comprendre ce que ces mots impliquent quand on n’est pas un spécialiste de ces questions ? Je voudrai éclairer ici quelques éléments du contexte dans lequel intervient la réforme de l’enseignement supérieur en France.

Le premier élément de ce contexte c’est la poussée qui s’exerce en vue de la marchandisation du secteur du savoir. Il faut savoir qu’il y a ici un enjeu financier colossal. Les dépenses d’éducation dans les pays développés s’élèvent à 1 500 milliards de dollars. Seuls 21,9 milliards sont aujourd’hui captés par le marché privé de l’éducation. La perspective de gain de parts de marché est donc immense pour les marchands dans les systèmes éducatifs. Leur tache depuis près de vingt ans a été d’obtenir un consensus sur les principes à placer au poste de commande. Et la première d’entre elle : légitimer la logique de marché dans un domaine où personne n’avait jamais imaginé qu’elle aurait une place naturelle...

Les agents d’influence sont parvenus à leurs fins. En Europe aussi, l’affaire est dans le sac. Le modèle mondial de la concurrence entre universités est dorénavant la norme acceptée. En mars 2001 à Salamanque les principales institutions européennes d’enseignement supérieur ont créé l’Association Européenne de l’Université. La déclaration finale adoptée ce jour là est très claire sur l’objectif de création d’un marché des universités par leur mise en concurrence. Voyez plutôt : « Les institutions d’enseignement supérieur acceptent les défis de l’environnement concurrentiel dans lequel elles opèrent au niveau national, européen et mondial [...] La dynamique requise pour l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur restera inopérante, ou provoquera une concurrence inégale, si se maintiennent l’excessive réglementation et la mainmise financière et administrative qui pèsent actuellement sur l’enseignement supérieur en de nombreux pays. »

On voit que le moteur désigné est la concurrence et plus du tout l’émulation, la qualité de la transmission du savoir, l’élévation du niveau de formation de l’ensemble de la population. La Concurrence est bonne en soi et elle est une finalité de l’action universitaire. C’est cette logique dont se réclame la loi Pecresse : « Leur gouvernance renforcée, les universités seront en mesure d’exercer des compétences nouvelles leur permettant d’affronter dans les meilleures conditions la concurrence internationale » (exposé des motifs)

L’ARGUMENT DU DECLIN

Pour faciliter la manœuvre, la ministre a du faire elle-même un procès en règle des résultats de l’université française et jouer à fond de la fibre « décliniste ». On remarquera a quel point la méthode est la même dans tous les secteurs. La catastrophe en vue, le déclin engagé sont l’argument de départ qui justifie l’action et permet de stigmatiser les opposants. Le drame est que dorénavant personne ne réplique, ni l’homme politique sur le plateau, ni le journaliste. Tout se vaut, personne ne bosse les dossiers, le tout est de parler et de « débattre », même pour dire tous la même chose, sans rien vérifier des prémices de la discussion. Et pourtant...

« Le nombre d’étudiants étrangers a tendance à décroître » affirme ainsi la ministre dans le dossier de presse du projet de loi. La vérité est exactement à l’inverse. La France est dans le peloton de tête de l’OCDE pour l’accueil d’étudiants étrangers : largement au dessus des Etats-Unis, du Japon et des pays du nord. Le taux d’étudiants étrangers est passé de 7 % en 1998 à 12 % aujourd’hui. Pour les seules universités, on est passé de 8,5 % à 15 % d’étudiants étrangers. Au niveau doctorat, les universités françaises comptent 35 % d’étudiants étrangers. Le CNRS (certes hors université) compte 25 % de chercheurs étrangers. Et les résultats du système sont remarquables. Ainsi dans le secteur névralgique des diplômés en sciences, la France se place dans le peloton de tête de l’OCDE. Elle compte en effet 3 750 diplômés en science pour 100 000 actifs de 25/34 ans, dont 40 % de femmes. Nous sommes donc le troisième pays de ce classement, très largement devant les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, et devant le Royaume Uni. Les Etats-Unis comptent 2 200 diplômes en sciences pour 100 000 actifs de 25/34 ans : soit 40 % de moins que la France.

LE MODELE PECRESSE

Quelles sont les caractéristiques du modèle de marché que l’on retrouve dans le texte de la loi Pécresse ? J’en reviens aux mots que j’évoquais plus haut. Les universités seront « libres » de fixer leurs propres objectifs dans un encadrement national réduit, leur pilotage est « ouvert » à des personnalités extérieures, notamment issues du secteur privé, leur financement est ouvert au privé (via les fondations). Elles pourront recruter, gérer et rémunérer « librement » leurs personnels. Concrètement cela signifie la libération complète du recrutement de non titulaires et la fixation de la politique indemnitaire à la discrétion du président.

C’est exactement ce modèle qui a été adopté aux Etats-Unis et en Angleterre non seulement pour l’enseignement supérieur mais aussi pour le secondaire (trust college de Blair et charter schools américaines où les établissements sont affiliés à des financeurs privés). Les conséquences mécaniques du dispositif de concurrence entre universités installée avec ces règles de fonctionnement sont très bien connues. Pas de mystère ! C’est elles qui vont dorénavant se déployer en France.

La concurrence pour attirer les financements privés va conduire à une sélection et à un rétrécissement des champs de formation et de recherche en fonction de l’intérêt des financeurs.

La concurrence pour recruter les meilleurs professeurs produira une surenchère indemnitaire et un mercato des professeurs dans laquelle les petites universités seront incapables de suivre.

A terme ce sera aussi la concurrence pour sélectionner les étudiants. La pression pour sélectionner les étudiants sera d’autant plus forte que l’Etat attribuera les moyens en fonction des résultats.

Sarkozy l’a écrit noir sur blanc dans sa lettre de mission à Pécresse datée du 5 juillet 2007 : « allouer les moyens attribués aux établissements d’enseignement supérieur en fonction de leurs résultats, en matière d’accès de leurs étudiants au diplôme et d’insertion de leurs diplômés sur le marché du travail ».

Au total toutes ces nouvelles « libertés » sont de la même eau que celles appliquées à tous les secteurs avec le même dogmatisme au nom d’une vision idéologique fanatisée d’après laquelle seul le marché est source de progrès et de dynamique. Dans ce domaine comme dans tous les autres c’est le contraire qui va se passer. Le gâchis à venir c’est la sélection à l’entrée de l’université et à la sortie sur des critères non éducatifs donc la restriction de la ressource intellectuelle du pays. C’est l’orientation de la recherche vers les champs de mode ou d’intérêt provisoire des financeurs de fondation, donc son rabougrissement. Et ainsi de suite. L’esprit n’est pas une marchandise et le savoir ne le devient qu’en s’appauvrissant. Et la France n’a pas d’autre matière première pour rester la cinquième puissance du monde...


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