Pourquoi les bac pro se mobilisent pour leurs diplômes ?

jeudi 6 décembre 2007.
 

Par Aline Louangvannasy, professeure de philosophie au lycée Rive-Gauche de Toulouse, secrétaire régionale de la CGT éduc’action Midi-Pyrénées.

Jeunes ouvriers de demain

Cette semaine, les élèves des lycées professionnels, ceux qui n’aiment pas l’école et que l’école n’aime pas toujours, étaient dans les rues pour défendre leurs diplômes menacés par l’activisme mimétique de notre ministre de l’Éducation. Cet événement mérite qu’on s’y arrête. Au-delà du fait qu’il signale que l’incendie couve dangereusement dans les lycées professionnels, il témoigne d’une prise de conscience politique d’une nouvelle frange de la jeunesse. Une jeunesse oubliée, invisible, qui fournira le gros des troupes des ouvriers et des employés de demain. Leur préoccupation ce n’est pas la réforme des universités, c’est le BEP. BEP que M. Darcos veut supprimer. Alors ils font comme les autres, ils manifestent, ils bloquent. Mais sans succès, ils n’intéressent personne. C’est dommage car du haut de leur BEP, ils sont à l’avant-garde des préoccupations étudiantes concernant la revalorisation des diplômes, la création de filières professionnalisantes, et ils sont aussi à l’avant-garde des mutations qui affecteront dans les années à venir le statut des salariés.

L’enseignement professionnel est souvent considéré à tort, comme une filière de relégation. Depuis vingt ans il a mauvaise presse. On accuse régulièrement l’école d’être en inadéquation avec les besoins du marché. On lui oppose le savoir-faire de l’entreprise. La réforme proposée est l’aboutissement de cette bataille idéologique.

Le bac pro a été créé en 1985. Dans son principe, il devait posséder une dignité égale aux autres baccalauréats. Mais il n’a pas atteint ses objectifs ambitieux en terme de poursuite d’études. Il est très difficile pour un élève de l’enseignement professionnel de poursuivre en BTS ou en IUT, quasi impossible de suivre des études à l’université. Cependant, ce baccalauréat a contribué à une élévation du niveau, à la formation de diplômés plus qualifiés et à une meilleure insertion professionnelle des jeunes. Il a aussi conduit à l’abandon progressif des formations peu qualifiées comme le sont les CAP. Le baccalauréat professionnel peut être préparé en trois ans ou en quatre ans. Cette différenciation des rythmes de progression permet non seulement de prendre en compte les capacités individuelles de chaque élève, mais aussi la complexité plus ou moins grande des savoir-faire à acquérir selon les métiers. Or M. Darcos, pour des raisons budgétaires et idéologiques, a décidé, sans aucune concertation, de généraliser les baccalauréats professionnels en trois ans. Cette généralisation aura des conséquences désastreuses pour les jeunes. Cela renforcera l’exclusion des élèves les plus en difficulté, ceux pour qui l’enseignement professionnel constituait une réelle chance d’insertion. Le contenu des programmes étant pour l’instant inchangé, qu’adviendra-t-il des élèves qui ne peuvent suivre le rythme des trois ans ? On ne sait pas ! Ce qui est sûr, c’est que les entreprises ne voudront pas prendre en charge la formation d’une main-d’oeuvre sous-qualifiée.

La réforme se traduira ensuite par une diminution du nombre de formations offertes. La formation scolaire sera plus généraliste, et la spécialisation professionnelle repoussée à plus tard lors de l’embauche dans l’entreprise. Les conséquences de cette conception de la formation professionnelle sont extrêmement graves. La collectivité se déchargeant sur le jeune, et sur les entreprises, de ses responsabilités en termes de formation professionnelle, c’est la fin annoncée d’un service public de la formation. Le jeune (stagiaire, apprenti) construira son parcours de formation. La professionnalisation, la validation et l’insertion professionnelle dépendront du secteur privé. De même la qualification du salarié et les droits qui en découlent ne seront plus liés à la personne du salarié, mais de fait au poste de travail occupé. Le principe est la volonté d’une plus grande adaptabilité de la main-d’oeuvre aux besoins du marché du travail, les jeunes en étant le principal facteur d’ajustement. On aurait presque l’impression de voir ressurgir le CPE par la fenêtre.

À une période où s’ouvrent des négociations sur les conditions de travail, où circule l’idée d’une sécurité sociale professionnelle, la résistance de nos élèves n’est donc pas dénuée de fondement. Ils sont déjà de plain-pied dans le monde du travail. Nous devons être fiers d’eux, ils nous ont ouvert la voie. Il est maintenant de notre responsabilité d’être à leurs côtés.


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