Libéralisme et Santé publique : Halte aux assassins ( La face cachée du « miracle irlandais » : mourir faute de soins)

mercredi 23 janvier 2008.
 

L’Irlande est parfois présentée comme la preuve du bien fondé des recettes libérales. Croissance forte, chômage bas seraient dus aux privatisations et à une imposition des bénéfices réduite à 12%. Mais le Tigre Celtique, comme ses admirateurs le surnomment, a une autre facette nettement moins avenante. Celle d’une société à deux vitesses où le fait de pouvoir ou non s’offrir une assurance santé se paie au prix fort. Celui de la vie.

Susie Long était atteinte d’un cancer, diagnostiqué seulement au bout des 7 mois d’attente qui ont retardé la coloscopie prescrite par son médecin.

Lors d’une séance de chimiothérapie, elle a rencontré un patient qui lui n’avait attendu que trois jours avant de passer cet examen. Cet homme, traité à temps, était en voie de guérison, alors que pour elle-même plus aucun espoir n’était permis.

La raison de cette différence ? L’un avait une assurance privée, l’autre pas.

En rentrant chez elle ce jour là, Susie Long a été saisie d’une colère froide en voyant à la TV une publicité du gouvernement expliquant que le cancer se soignait à condition d’être détecté à temps.

Elle a alors décidé d’écrire à un animateur radio pour raconter son histoire et accuser le système de soins qui ne lui a pas donné la chance de guérir.

La lettre de cette jeune mère de famille est un témoignage qui s’adresse à nous tous. En dénonçant avec rage parfois, mais avec humour aussi, l’injustice qu’elle a subie, ainsi que les politiques les électeurs qui l’ont rendue possible, jamais elle ne s’apitoie sur son sort.

Mais elle rappelle à chacun d’entre nous que les économies obtenues en abandonnant le principe de l’égalité devant les services publics de soins se payent parfois au prix fort. Celui de la vie.

Susie Long est morte le 12 octobre dernier.

Lettre à Joe Dutty, animateur de la radio RTE, janvier 2007

Cher Joe,

J’ai fait aujourd’hui ma douzième séance de chimiothérapie. J’ai discuté avec la compagne d’un patient qui allait aussi avoir la sienne. Elle m’a raconté que lorsque le médecin traitant de son compagnon lui avait prescrit une coloscopie, il avait été placé sur une liste d’attente. Elle a alors téléphoné à l’hôpital et les a averti qu’il avait une assurance privée. L’examen a eu lieu trois jours plus tard. (...) Dieu merci il a été pris à temps et va guérir.

Je suis ensuite rentrée chez moi, me suis couchée, et allumé la TV. La première chose que j’ai vue, c’est une publicité du gouvernement disant que le cancer des intestins peut tuer, mais pas s’il est traité à temps. Si Bertie Aherm (premier ministre), Mary Harney (ministre de la santé) ou Michael McDowell (ministre de la justice et de l’égalité) avaient été à portée de main, je les aurais tués. Littéralement. Je ne plaisante pas.

Je n’ai pas d’assurance santé privée. C’est une longue histoire, donc commençons par le début.

Je souffrais de douleurs digestives depuis des années. Cela a commencé par impossibilité de m’alimenter le matin. (...) Je suis allé consulter mon médecin à l’été 2005, sans doute deux mois après que des saignements soient apparus. Je me sens idiote rétrospectivement d’avoir attendu, mais je croyais être atteinte d’ hemorrhoides, comme ma mère. (...) Mon médecin était en vacances mais son remplaçant a immédiatement prescrit une échographie et une coloscopie. (...) J’espérais être convoquée rapidement pour la coloscopie... J’ai attendu jusqu’à l’automne, puis au début de l’hiver. (...)

En novembre, j’ai commencé à avoir de sérieuses douleurs abdominales après les repas. J’ai appelé le secrétariat de la clinique pour savoir si j’étais sur la liste d’attente. On m’a assuré que j’étais inscrite et que je serais convoquée rapidement. En décembre, j’ai commencé à perdre rapidement du poids. (...) J’ai rappelé l’hôpital après Noël. Encore une fois on m’a dit que j’étais sur la liste et que je serais contactée rapidement. Joe, de novembre à fin février j’étais à l’agonie. J’étais fatiguée en permanence. Je me tirais du lit pour aller travailler à 16 h 30 l’après midi jusqu’à 22h30, mangeais mon dîner (je ne pouvais manger avant de travailler parce que cela me rendait trop malade ) rangeais la cuisine et retournais me coucher à nouveau. J’étais dans un état lamentable.

Finalement, le 28 février 2006, 4 jours après mes quarante ans j’ai été appelée pour ma coloscopie. (...)

[La coloscopie permet de diagnostiquer un cancer du colon. Susie Long subit alors une première opération, suivie par une rémission.]

Je m’étais sentie suffisamment mal pour aller voir le docteur. Elle a fait ce qu’il fallait. (...) Aurait-il fallu que je passe devant tous ces gens présentant les mêmes symptômes ? Je ne crois pas. Devrait-il y avoir une liste d’attente aussi longue qui mette en péril la vie des gens ? Non, sûrement pas.

Je sais au plus profond de moi qu’au moment ou j’ai commencé à me sentir vraiment mal, de décembre 2005 à février 2006, c’est lorsque le cancer a commencé à s’étendre. Bien sûr je ne peux le prouver. Mais je le sais. Puisque le cancer s’est généralisé, ont ne me donne que 2 à 4 ans d’espérance de vie. La chimiothérapie prolonge ma vie, elle ne la sauvera pas. (...)

[Mme Long décrit ensuite l’état de certains services de soins où elle a été traitée. Elle dépeint l’absence d’entretien des sanitaires, la qualité déplorable de l’alimentation servie aux malades, et incrimine la privatisation de la restauration des établissements.]

Dois-je blâmer quelqu’un pour mon sort ? J’y ai réfléchi durant l’année passée, et j’ai tenté de l’envisager raisonnablement. Après tout, j’ai attendu que passe Noël avant d’appeler l’hôpital une seconde fois pour demander à être examinée. Mais aujourd’hui, quand je vois cet homme charmant qui était autant, sinon plus, atteint que moi lorsqu’il est allé consulter, et qui lui, va vivre parce qu’il a une assurance privée, alors que moi je vais mourir parce que je n’en ai pas, je dois me mordre les lèvres pour ne pas crier. Je suis heureuse qu’il vive. Il mérite de vivre. Mais moi aussi. (...)

Je suis désormais en colère. Contre qui ? Je vais vous le dire, Joe. Le service de santé est entre les mains de Fianna Fail et du parti Progressiste Démocrate (PD) depuis des années et ils ne pensent qu’à le privatiser. Ils ne sont pas capables de transformer le secteur public pour que plus de ressources soient affectées aux soins des patients.

Mais il ne s’agit pas seulement des politiques. Je suis aussi en colère contre chaque électeur qui a voté pour le Fianna Fail et le PD, car ils pensent qu’ils auront plus d’argent dans leur poche, mais ont été trop stupides et avares pour comprendre que l’argent qu’ils ont gagné sur les cotisations sociales proviendrait d’ impôts dissimulés.

Nous savions tous avant les dernières élections quelle était leur politique de santé, et la majorité a choisi de ne pas en tenir compte et a voté pour eux malgré tout. Ils pensent sans doute que cela ne pourrait jamais leur arriver. Ou peut-être sont-ils nombreux à avoir une assurance privée et à ne pas s’en soucier parce qu’ils sont couverts. (...)

Je vous écris car la façon dont fonctionne ce pays me fait penser que prendre contact avec une émission de radio est le seul moyen pour tenter de changer des choses comme celles-la. J’espère que lorsque les possesseurs de 4x4 et les gens fortunés iront dans l’isoloir, ils penseront à moi, mon mari, et mes enfants.

Mon mari est un homme bien. Il travaille à plein temps et a un bon emploi. Je travaillais à mi-temps dans un boulot que j’aimais, à aider les femmes et les enfants en difficulté, donc évidemment, je n’étais pas très bien payée. Nous savons quelles sont les priorités de Bertie, Michael, Michael et Mary.

Bien que nous ayons un salaire et demi, nous ne pouvions pas nous payer la Volontary Health Insurance ou la Bupa (assurances complémentaires publiques et privées).

Mais même si nous avions pu nous ne l’aurions pas fait, parce que nous croyions ( et continuons de croire) que tout le monde devrait être soigné correctement quels que soient ses revenus. Nous pensions que passer devant les files d’attentes était mal.

Nous sommes socialistes.... Tout comme Bertie. Ha ! Ha !

Maintenant j’ai envie de vomir, et ce n’est pas à cause de la chimiothérapie.


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