Lettre ouverte aux cadres et cadres supérieurs de la SNCF par quelques-uns de leurs collègues qui s’estiment rémunérés pour défendre le rail et leur entreprise

mercredi 22 décembre 2010.
 

Lettre ouverte aux cadres et cadres supérieurs de la SNCF ... , par quelques-uns de leurs collègues qui s’estiment rémunérés pour défendre le rail et leur entreprise mais pas forcément la politique ferroviaire et sociale du gouvernement

Il est des moments plus propices que d’autres pour prendre un peu de recul sur les conditions de son engagement au travail, sur le sens de celui-ci et sur la façon dont la haute hiérarchie nous considère. Sans doute sommes-nous dans un de ces moments.

Les « consultants mercenaires » qui nous dirigent de leur tour d’ivoire du 34 rue Mouchotte nous demandent de monter au créneau pour défendre la contre-réforme la plus sévère envisagée contre les cheminots depuis qu’existe le chemin de fer, contre-réforme emblématique de la politique de régression sociale généralisée de Sarkozy. Beaucoup d’entre nous s’interrogent ; n’est-il pas temps de le faire savoir, de poser publiquement quelques bonnes questions ?

Au quotidien, la pression sur nos épaules est de plus en plus forte. On nous impose des objectifs de plus en plus difficiles à atteindre, compte tenu de la pénurie de moyens et de l’extrême complexité du fonctionnement du système ferroviaire : l’éclatement de l’entreprise et l’explosion des coûts de transactions entre RFF et la SNCF en sont des causes majeures.

Le choix très volontariste de nos dirigeants d’accentuer la gestion par activité a semé, au sein même de notre entreprise, un vent de forces centrifuges qui transforme toute démarche transverse, intégrant l’intérêt de l’ensemble de la SNCF et du mode ferroviaire, en un parcours du combattant de plus en plus vain et démoralisant. Combien d’entre nous passent des journées entières à essayer de recoller les morceaux cassés du fait de l’usine à gaz que les tenants de la privatisation du chemin de fer ont construit avec un seul véritable objectif : casser la SNCF pour en livrer les morceaux les plus juteux aux « forces du marché », c’est-à-dire en réalité aux propriétaires du capital privé !

Cette énergie considérable que nous dépensons pour parvenir malgré tout à faire avancer le système, ou malheureusement et plus prosaïquement pour le maintenir en état de fonctionner, est niée par la direction. Ramenés au coût horaire réel, nos salaires sont bien loin des ponts d’or que les « consultants-mercenaires » s’attribuent en se recrutant par cooptation dans des postes stratégiques. Pour se faire une idée de la question, il suffit d’analyser le Bilan social de la SNCF sur quelques années : de 1996 à 2006, donc en 10 ans, le montant moyen annuel des dix plus hautes rémunérations, calculé en euros constants de 2006 pour appréhender le gain réel de pouvoir d’achat, a augmenté de 67% ! Durant ces mêmes 10 années et toujours en euros constants de 2006, la rémunération moyenne de l’agent SNCF (y compris les cadres supérieurs et les cadres contractuels) n’a crû que de 6,5%.

La reconnaissance financière n’est donc pas au rendez-vous. Mais c’est plus largement que l’on peut affirmer que les « consultants-mercenaires » n’ont aucune autre forme de reconnaissance, ni même de bienveillance, vis-à-vis de l’encadrement. Ils ont une mission : ils l’accomplissent ; qu’importent les dégâts humains et même économiques, qu’ils ont appris à nier par les ritournelles rhétoriques de la psychologie de bazar apprises dans leurs écoles de gestion, publiques ou privées !

Ainsi, au détour d’une réunion, nous avons tous eu l’occasion d’observer la morgue avec laquelle le haut dirigeant exécute le cadre qui a eu l’audace de poser une question qui fâche ou de faire connaître une simple divergence d’analyse... Il suffit de se remémorer la violence de certaines décisions de la direction générale, par exemple, quand il s’est agi de licencier un cadre du SRA de Reims qui avait eu le malheur de faire une erreur de procédure sur un marché, sous la pression du planning du TGV Est... Il suffit de décompter le nombre de « placardisés », poussés au désespoir en dépit (ou peut-être à cause ?) de leurs compétences, par le seul « fait du Prince »...

« (...) quand ceux qui commandent ont perdu la honte, (...) c’est justement le moment dans lequel ceux qui obéissent perdent le respect ; et c’est dans ce même moment où l’on revient de la léthargie, (...) »

Cardinal de Retz, Mémoires, 1675

Et le culot des « consultants-mercenaires » est sans limite, puisqu’ils ont décidé d’envoyer en missi dominici de Sarkozy les cadres qui ont pourtant beaucoup à perdre si notre régime spécial de retraite est aligné sur celui en vigueur dans la fonction publique, après la contre-réforme qu’elle a elle-même subie à partir de 2004.

Beaucoup d’entre nous, en effet, sont rentrés tard dans l’entreprise, parce qu’ils ont fait des études longues et/ou parce qu’ils ont travaillé quelques années dans le secteur privé avant de faire le choix du secteur public : à 55 ans, ceux-là ne compteront en général que 25 à 30 ans de cotisation à la caisse de retraite de la SNCF. La baisse de leur pension de retraite par rapport au mode de calcul actuel, sera comprise entre 3% (s’ils ont déjà plus de 50 ans) et 25% ou plus (s’ils ont aujourd’hui 40 ans ou moins et se voient lors de leur départ appliquer « plein pot » la décote de 5% de leur pension par année de cotisation manquante), soit des pertes de pension comprises entre 100 et 1 000 euros, voire plus, chaque mois !

Ils ne pourront compter en contrepartie ni sur le rachat d’années d’études, qui devrait être très onéreux s’il est autorisé (de l’ordre de 20 000 euros par année rachetée), ni sur leur éventuelle retraite du régime général s’ils ont travaillé avant d’entrer à la SNCF, car elles sera ridiculement faible et ils devront attendre 65 ans afin qu’elle ne subisse pas elle-même de décote, ni sur la possibilité qui pourrait leur être laissée de travailler jusqu’à 65 ou 70 ans (mais le pourront-ils alors, physiquement et psychologiquement ?).

Il est en outre parfaitement légitime, notamment pour ceux qui d’entre nous qui ont plus d’une douzaine d’années d’ancienneté (car depuis, les salaires d’embauches à la SNCF ont eu tendance à se rapprocher de ceux du secteur privé), d’avoir le sentiment amer d’une rupture unilatérale de contrat. En effet, nous sommes nombreux à avoir accepté, à l’embauche, des salaires parfois très inférieurs à ceux du marché, en ayant cru au discours de l’entreprise qui affirmait que nous devions tenir compte des « avantages du statut », en particulier ceux découlant du régime spécial de retraite des cheminots.

Le fait d’être cadre ou cadre supérieur fait-il de nous de simples valets de nos « consultantsmercenaires » ? Eh bien, nous sommes sûrs d’être de très nombreux cadres et cadres supérieurs à répondre fermement : NON ! A dire que nous en avons plus qu’assez d’être soumis à des exécuteurs de basses oeuvres grassement payés pour casser le système public ferroviaire national que nous nous efforçons, pour certains d’entre nous depuis des dizaines d’années, de faire fonctionner au mieux, malgré toutes les modes managériales et les tocades de politiques et de « serviteurs de l’Etat » parfaitement irresponsables !

Et nous parions que, conscients de nos intérêts, nous serons nombreux à agir collectivement à partir du 18 octobre, avec l’ensemble des cheminots !

Des cadres et cadres supérieurs de la SNCF [1]

Lettre du 17 octobre 2007


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