Suharto, dictateur sanguinaire de l’Indonésie, est mort : 42 ans d’injustice et d’impunité

vendredi 13 juillet 2012.
 

L’Indonésie, archipel de 17 000 îles qui compte 230 millions d’habitants et comprend près de 400 groupes ethniques, commémore en cette année 2005 d’importants évènements, notamment la proclamation, en 1945, de l’indépendance du pays colonisé par les Hollandais pendant 350 ans et la tenue, en 1955, de la Conférence Afro-Asiatique de Bandung à l’instigation du Président Sukarno, combattant anti-impérialiste très remarqué dès sa jeunesse.

Septembre 2005 est également le 40e anniversaire du massacre de millions de communistes et de sympathisants du président Sukarno par l’armée indonésienne. Septembre 1965 a marqué le début du coup d’Etat dirigé par le général Suharto pour liquider politiquement et physiquement le président Sukarno et minimiser son rôle dans l’histoire du pays comme père fondateur de la nation indonésienne. Le président Suharto, qui a régné comme dictateur durant 32 ans, a été forcé d’abandonner son pouvoir en 1998 suite, entre autres, aux mouvements contestataires des étudiants à l’échelle nationale.

L’année 2005 marque aussi le 30e anniversaire de l’agression du régime militaire indonésienne contre Timor Oriental en décembre 1975. Après 3 siècles de colonisation portugaise et plus de 25 ans de lutte armée contre la puissante armée indonésienne, la République Démocratique de Timor Oriental (800 000 habitants) a célébré son indépendance en mai 2002.

Les quatre années 1945, 1955, 1965 et 1975 constituent d’importants piliers dans l’histoire moderne du peuple indonésien. Mais 1965 est la plus douloureuse. Non seulement le père fondateur de la nation, Sukarno, a été trahi et renversé par l’armée qui a comploté avec les forces impérialistes et colonialistes occidentales (notamment américaines), mais un très grand nombre de communistes et de personnes de gauche (environ 3 millions d’innocents ) ont été massacrés ou incarcérés durant des dizaines d’années.

Après la Seconde Guerre Mondiale, sous la direction du Président Sukarno et avec le fort soutien du Parti communiste d’Indonésie (PKI) l’Indonésie était une des forces anti-impérialistes et anti-colonialistes importantes dans le Tiers-Monde. La dictature farouche exercée par Suharto pendant 32 ans a transformé l’Indonésie qui est alors devenu un pays profondément anti-communiste, anti-chinois et anti-Union Soviétique. La chute du Président Sukarno et l’écrasement du PKI ont eu de graves conséquences sur les luttes des peuples du Tiers-Monde.

Le PKI qui était un parti politique très puissant (environ 3 millions d’adhérents et 20 millions de sympathisants) constituait la principale force de soutien aux politiques progressistes et anti-américaines du Président Sukarno (voir la conférence de Bandung, la politique des pays non-alignés, la solidarité afro-asiatique, le fort soutien aux peuples palestinien et vietnamien) C’est sans doute pourquoi la destruction du PKI a été une grande perte pour toutes les forces démocratiques en Indonésie.

Les conséquences des événements de 1965 et 1975 sont encore aujourd’hui profondément ressenties en Indonésie. Les forces armées (surtout l’armée de terre) qui ont complètement écrasé la vie démocratique à partir de 1965, jouent aujourd’hui encore, 40 ans après, un rôle important dans les affaires du pays.

L’armée (qui est un des secteurs les plus rétrogrades et les plus corrompus de la nation) et une partie importante des groupes musulmans de l’Indonésie constituent les forces anti-communistes et anti-Sukarno les plus déterminées du pays. Cela signifie que l’armée restera encore longtemps un handicap ou une entrave à la marche de l’Indonésie vers la démocratie, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’Homme.

Les dégâts faits durant plus de trente ans de dictature militaire de Suharto sont si énormes et si graves dans les domaines politique, social, économique, culturel et moral que les quatre présidents de la République qui ont succédé à Suharto (les présidents Habibi, Abdurrahman Wahid, Megawati, et maintenant Susilo Bambang Yudoyono) n’ont pas réussi à éradiquer les fléaux et vestiges de l’ancienne dictature. Sous le gouvernement de ces quatre présidents les militaires ont gardé des cartes importantes pour sauvegarder ou préserver leurs intérêts, très souvent au détriment de ceux de la nation. Les militaires sont opposés à l’aspiration générale du peuple à des réformes politiques et économiques.

Pendant plus de 30 ans, la dictature militaire de Suharto a gravement bafoué les droits de l’Homme. Par exemple, bien que 3 millions de personnes innocentes aient été massacrées en 1965 par les militaires et leurs complices dans certains milieux islamiques, rien n’a été fait jusqu’à aujourd’hui pour examiner les plus grands massacres de notre histoire contemporaine. Deux millions de personnes innocentes ont été emprisonnées arbitrairement pendant des dizaines d’années, y compris plus 10 000 dans l’île de concentration de Buru.

Conséquence de ces massacres et arrestations, un grand nombre des 20 millions de membres de leurs familles vivent encore dans des conditions psychologiques graves, restent traumatisées, persécutées, isolées ou terrorisées. Ces personnes subissent encore des discriminations et des mauvais traitements de la part des autorités et d’une partie de la société . Malgré les profondes souffrances de ces millions des personnes (y compris des 1,5 million d’ex-prisonniers politiques), rien de tangible n’est fait sur le plan juridique pour leur réhabilitation ou leur compensation. L’impunité des autorités pour les crimes commis contre des millions de personnes perdure encore aujourd’hui.

Le problème des droits de l’Homme en Indonésie mérite l’attention de l’opinion internationale. De graves violations des droits de l’Homme persistent, par exemple à Aceh (Sumatra du Nord), aux Moluques et en Ouest Papouasie. Beaucoup des violations commises par le régime militaire restent des problèmes non-résolus. Aucune démarche ou action officielle n’a été lancée par les gouvernements successifs pour examiner les faits concernant les massacres de 1965 et la longue détention de centaines de milliers de prisonniers politiques.

Durant des décennies, des centaines de milliers d’ex-prisonniers politiques ont été obligés de se présenter régulièrement aux postes militaires après leur libération. Ils ont rencontré de grandes difficultés pour s’insérer dans la société et certaines professions leur étaient interdites, notamment celles d’enseignant, de fonctionnaire, de journaliste, de médecin, d’avocat et d’autres professions libérales.

Les membres de leurs familles avaient eux-mêmes des difficultés à trouver des emplois. Le régime militaire avait promulgué des lois et réglementations stipulant que toutes les personnes désirant travailler dans les services gouvernementaux ou des entreprises privées devaient être munies d’un certificat de non-implication dans les « affaires du 30 septembre ». Des réglementations inhumaines frappaient notamment leurs enfants qui étaient victimes de discriminations telles que interdiction de faire une carrière militaire, de s’inscrire dans les écoles secondaires et les universités,

Un événement important pour les victimes de l’Ordre Nouveau (essentiellement les anciens membres du PKI ou personnes « de gauche », et les sympathisants du président Sukarno) a eu lieu à Jakarta le 9 mars 2005. Une plainte contre les cinq présidents de la République a été déposée au Tribunal de Jakarta par 12 juristes, membres de l’Institut d’Aide Légale (Lembaga Bantuan Hukum) de Jakarta.

Dans un document juridique de 35 pages, ces juristes accusent le président Suharto d’avoir violé les droits fondamentaux de millions indonésiens. Ils écrivent que sous le commandement de l’ancien général Suharto, non seulement des cadres et des dirigeants communistes ont été massacrés mais qu’aussi environ 20 millions de membres de leurs familles et autres sympathisants du président Sukarno ont été emprisonnés, persécutés, terrorisés et privés de leur droits élémentaires de citoyens.

En raison de cette stigmatisation comme sympathisants du PKI, nombre de ces personnes ont été chassées de leurs lieux de travail (sur-le-champ et sans rémunération) et privées de leurs terres et maisons. Il a été interdit à un grand nombre d’artistes d’exercer leur métier et beaucoup de membres des forces armées (et de la police) ont été licenciés. Il a été interdit aux jeunes étudiants universitaires et stagiaires de poursuivre leurs études.

Les quatre présidents de la République qui ont succédé à Suharto n’ont pas apporté de grands changements pour améliorer le sort de ces millions de personnes.

Pour que soit mis fin aux traitements injustes ou inhumains subis durant de si longues années, l’Institut d’Aide Légale de Jakarta a demandé au Tribunal de juger ces violations des droits de l’homme. Mandatés par les victimes de l’Ordre Nouveau, les juristes de l’Institut réclament aussi la réhabilitation des personnes accusées d’être communistes et demandent une compensation matérielle ou financière. L’Institut a également demandé l’abrogation de toutes les lois et réglementations qui violent les droits des victimes de l’Ordre Nouveau.

Cette action judiciaire est un événement important pour les millions des personnes qui souffrent depuis si longtemps et une réelle avancée pour l’instauration de réformes.

Pour raviver la mémoire collective, un grand nombre d’organisations et d’associations indonésiennes envisagent d’organiser plusieurs activités politiques et culturelles durant les mois de septembre et octobre 2005 : des colloques et séminaires à Jakarta, Bandung, Jogya, Solo, Semarang, Makasar, Medan sur différents aspects des massacres commis et l’arrestation arbitraire de centaines de milliers de personnes et des activités culturelles (programmes musicaux, expositions de peintures et de photos) sur des thèmes concernant la défense des droits de l’homme et la lutte contre la tyrannie et l’injustice.

Ces commémorations des massacres en 1965 seront, pour beaucoup des victimes du régime militaire, l’occasion de réclamer le rétablissement de leurs droits fondamentaux et d’exiger la punition des autorités militaires impliquées dans les crimes contre l’humanité perpétrés pendant de si longues années. Elles seront également un bon moyen de rappeler à la nation tout entière la grave injustice qui frappe encore durement des dizaines des millions des personnes depuis bientôt 40 ans.

Vu les graves tortures psychiques et physiques infligées à un si grand nombre de personnes innocentes le gouvernement d’Indonésie actuellement dirigé par le président Susilo Bambang Yudoyono a le devoir de respecter les droits de l’homme et l’obligation d’annoncer le plus rapidement possible la réhabilitation des droits des victimes du régime militaire de Suharto.

Notes

(1) Le nombre de victimes, estimées entre 1 et 3 millions, a été indiqué par différentes sources indonésiennes et étrangères mais, jusqu’à aujourd’hui, le chiffre exact n’a pu être précisé. Sous la dictature militaire évoquer publiquement les massacres de 1965 était un sujet tabou et représentait un risque majeur.

(2) Pendant de longues années les familles des victimes des massacres et des prisonniers politiques étaient sous surveillance. Le régime militaire a lancé des campagnes intensives et de grande envergure pour stigmatiser les communistes et leurs sympathisants.

AUMARS André


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