Louis Ménard : le cri du peuple des "quarante-huitards"

samedi 2 février 2008.
 

C’est l’histoire d’un jeune Parisien de 25 ans, chimiste un peu bohème, féru de littérature grecque, ancien condisciple de Baudelaire et ami intime de Leconte de Lisle, qui se lance dans une entreprise un peu folle : livrer à ses contemporains une chronique détaillée des quatre mois qui viennent de bouleverser la France.

Nous sommes en juin 1848. Les rues de Paris sont encore rouges du sang qui vient de couler sur les barricades. C’est le moment que choisit Louis Ménard pour commencer son enquête. Pendant des semaines, le jeune homme dépouille la presse, lit tout ce qui lui tombe sous la main, et sillonne la capitale à l’affût de témoignages. Il en collecte des dizaines, les recoupe, les soupèse, et va même jusqu’à se constituer un réseau de correspondants qui lui racontent ce qui s’est passé en province.

D’abord publié sous forme de feuilleton dans Le Peuple, le journal de Proudhon, le Prologue d’une révolution paraît en volume début 1849. C’est un texte superbe, qui emmène le lecteur partout où l’histoire s’écrit, aux Tuileries, à l’Hôtel de Ville, au Palais-Bourbon, et jusque sur le pavé des faubourgs. Un texte où bruissent les mille slogans du moment ("Vive la République universelle !", "A bas le drapeau rouge !"), où La Marseillaise résonne en toute occasion et où l’on croise la garde nationale à chaque instant. Un texte à l’éloquence un peu compassée, bien dans le style d’une époque qui aime écrire les mots "peuple" et "liberté" avec des majuscules et terminer ses phrases par des points d’exclamation.

Admirateur de Barbès et de Raspail, autrement dit d’extrême gauche mais prêt à accepter la République (pourvu qu’elle soit "sociale"), Ménard présente son récit comme le "cri de révolte d’une âme généreuse contre l’atroce répression d’une émeute volontairement provoquée". Cette émeute, ce sont les fameuses "journées de juin", qui virent une partie des ouvriers parisiens se soulever contre la fermeture des Ateliers nationaux. La répression fut effectivement terrible : des centaines d’insurgés fusillés sans jugement, et plus de 10 000 jetés en prison ou déportés.

"Au lieu de s’appuyer sur le Peuple, (le gouvernement républicain) semblait avoir pour unique préoccupation de se faire accepter par la bourgeoisie." En une phrase, et avec des mots que Marx emploie à peu près au même moment, Ménard trace ici les contours de toute une historiographie socialiste qui interprétera 1848 comme l’histoire d’une révolution trahie par une République dévoreuse de ses propres enfants.

Comme en 1871 lors de la Commune de Paris, le régime républicain s’est affirmé, en juin 1848, en étouffant une révolution dans le sang. Comme l’a récemment montré Louis Hincker, la seule arme autorisée du "bon citoyen" est désormais le bulletin de vote, la figure du "citoyen-combattant" devenant illégitime (1). Ce que Louis Ménard apprendra à ses dépens. A peine publié, le Prologue vaut à son auteur d’être condamné pour "excitation à la haine et au mépris du gouvernement de la République". Pour éviter la prison, le jeune homme choisit l’exil. Dix ans au total, d’abord à Londres, puis à Bruxelles. Le prix à payer pour avoir été l’un des premiers à oser dire la vérité sur les "saturnales de la terreur" de juin 1848.


PROLOGUE D’UNE RÉVOLUTION (FÉVRIER-JUIN 1848) de Louis Ménard. Présentation de Filippo Benfante et Maurizio Gribaudi. Ed. La Fabrique, 298 p., 18 €. (1) Citoyens-combattants à Paris (1848-1851), de Louis Hincker, Presses universitaires du Septentrion, 350 p., 24 €.


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