Les dangers du libéralisme dans le domaine sanitaire

samedi 9 février 2008.
Source : Respublica
 

Bien que l’on s’évertue à le faire croire, la santé ne constitue pas un « marché » où les prix peuvent se constituer librement entre l’offre et la demande.

Le « produit » lui-même n’est pas banal. La santé représente la condition sine qua non d’une vie normale. Elle dépasse largement le facteur individuel prépondérant pour chacun d’entre nous. Elle est une donnée sociale essentielle à l’efficacité d’une collectivité. Sans s’appesantir sur la nécessité de constituer une société heureuse et donc, harmonieuse, le niveau de santé d’une population évitera par exemple l’expansion des épidémies. En se plaçant sur le seul terrain de l’économie, c’est ce niveau de santé général qui garantira la capacité de consommation et de production de cette population.

Autour de ce « produit » très particulier, la relation entre producteurs et consommateurs est elle aussi spécifique.

Les producteurs (les praticiens, plus particulièrement les médecins et les dentistes) détiennent un pouvoir considérable. Ils possèdent le savoir, donc le pouvoir, d’influencer ce qu’il y a de plus précieux pour le malade. Leur science est hermétique pour ce dernier. Il en résulte un rapport de subordination pour « le client » dont la capacité critique est réduite à des impressions peu rationnelles. Le « libre choix du malade » énoncé comme un principe intangible de l’activité médicale est donc pour le moins relatif.

Comble de surréalisme, le corps médical libéral, arc bouté sur ce statut qu’il a réussi à imposer, est sans doute la corporation la moins libérale qui soit :

Le revenu des professionnels de santé est assuré par la collectivité qui solvabilise la clientèle. Si la protection sociale ne se substituait pas aux individus en remboursant les frais médicaux, on peut parier qu’il y aurait beaucoup moins de monde dans les salles d’attentes. Les frais de fonctionnement des diverses professions conventionnées sont largement pris en charge par l’assurance maladie et donc financés par le collectif : les 2/3 des cotisations sociales, la formation permanente, les assurances en responsabilités civiles pour certaines spécialités, les gardes et astreintes - si souvent négligées -, jusqu’à la subvention des matériels informatiques ou la rémunération des transactions électroniques pour l’envoi des feuilles de soins, etc, etc, ... L’influence du corps médical est considérable. Elle impose à la collectivité des contrats léonins (les conventions) dont la Cour des Comptes ne cesse de dénoncer le caractère totalement illusoire pour ce qui concerne les objectifs sanitaires et sociaux visant la population. En revanche, ces contrats garantissent aux professionnels de santé un niveau social satisfaisant que leur investissement personnel en termes de formation et leur rôle dans le domaine de la santé publique justifie[1].

Ce qui se justifie moins, c’est le chantage permanent de ces professions qui crient à la paupérisation, réclament et obtiennent l’augmentation très conséquente des barèmes conventionnels (4 augmentations du tarif de la consultation depuis 2002, la mise en place d’une nouvelle nomenclature généreuse et une cascade ininterrompue des suppléments divers et variés) qui fixent les tarifs de remboursement de l’assurance maladie, alors même que les prestations des assurés sociaux sont en constante régression.

Ce qui est encore plus injustifiable, d’un cynisme effarent, c’est l’exigence opiniâtre des syndicats médicaux pour s’émanciper de la seule véritable contrainte que l’évanescente convention formalise (les tarifs opposables en secteur 1 et le « tact et la mesure » dans les secteurs à tarifs « aménagés ») en contrepartie, rappelons le, de considérables avantages. Le beurre et l’argent du beurre en quelque sorte !

Or, la libération des honoraires serait une catastrophe pour les consommateurs. Des consommateurs captifs, nous l’avons vu. Assujettis à ce besoin prioritaire, dépourvus de capacité critique, confrontés à des producteurs non concurrentiels tout puissants, ils subiraient alors un marché libre de toute régulation, ce qui provoquerait une inflation exponentielle des honoraires médicaux et, en conséquence, l’incapacité pour beaucoup de se soigner.

La réaction du lecteur septique est ici prévisible : cette sombre perspective sera sans doute taxée « d’apocalyptique » et la catégorie de l’auteur raillée, fustigée : « combat d’arrière garde », « passéisme », « ringard ». Comment oser aujourd’hui contester les bienfaits de « la main invisible du marché » ?

Et bien, c’est cette « main invisible » qui étreint au collet des dizaines de millions d’Américains parvenus, faute de soins, au bout des souffrances, alors contraints de se soigner - souvent trop tard - et qui pousse une grande partie d’entre eux dans une situation de faillite personnelle consécutive aux crédits considérables qu’ils sont obligés de souscrire pour régler leurs dettes sanitaires (sans argent, pas de soins - hors de prix - aux Etats-Unis) et qu’ils ne peuvent plus payer.

Le paradoxe du système américain est assez fascinant. En réalité, pour résumer, les citoyens de ce modèle de libéralisme sont répartis eu deux populations :

La première est composée de trois catégories : les actifs travaillant dans de grandes entreprises qui assument une partie des cotisations exigées par les compagnies d’assurance, les retraités assurés par le système fédéral du « Medicare », les populations pauvres prises en charge par un second dispositif fédéral : le « Medicaid ». Pour ces assurés, les assurances et les systèmes fédéraux passent des contrats avec les producteurs de soins (hôpitaux et praticiens). Dans le cadre de ces conventions, les frais médicaux sont encadrés et les remboursements plus ou moins garantis. La seconde concerne tous les autres, en premier lieu bien entendu les quelques 50 millions de personnes qui n’ont aucune couverture sociale et ceux - jusqu’aux catégories de cadres - qui travaillent dans des entreprises moyennes et de petites tailles ne contribuant pas, ou peu, à des polices d’assurance devenues inaccessibles pour beaucoup des particuliers. Et c’est à ceux là, dépourvus de protection collective, que les prestataires de soins infligent sans vergogne des tarifs prohibitifs très supérieurs à ceux qu’ils sont obligés de respecter lorsqu’ils sont contraints dans le cadre des contrats collectifs qui protègent la première population. La « main invisible » est sans pitié... ! Mais il n’est pas nécessaire d’aller si loin pour vérifier le mécanisme que nous avons dénoncé. En France, certaines prestations qui échappent aux tarifs régulés et qui ne sont pas ou très peu remboursées (les prothèses dentaires et auditives, l’optique, ...) sont facturées aux patients à des niveaux très éloignés du coût de revient de ces fournitures. Dès que certains médicaments sont radiés de la liste des produits remboursables (pas seulement parce qu’ils seraient inefficaces, mais parce qu’ils sont considérés « inefficient »... !), leur prix bondit de 30% à 500% (constat dénoncé par les pharmaciens eux-mêmes). Un exemple significatif du phénomène de dérive des honoraires non encadrés concerne le scanner prescrit dans le cadre d’un traitement d’implants dentaires. Cet examen (indispensable) n’est pas pris en charge par la Sécu...Il est tarifé par les radiologues entre 200 et 500 Euros Le même type d’examen (scanner du crâne), pris en charge par l’assurance maladie, est facturé 45 Euros... !

Dans le domaine sanitaire, la démonstration est donc faite des conséquences inévitables de l’absence d’un système de régulation lorsque les conditions d’un marché « sain » (des consommateurs avisés et donc critiques, devant des producteurs en concurrence) ne sont pas réunies.

Or, c’est vers ce type de situation que la politique menée actuellement nous conduit. La dégradation de l’encadrement des tarifs médicaux s’accentue. Dans certaines régions (Ile de France et PACA notamment), les médecins (les spécialistes en particulier) pratiquant les tarifs opposables sont en minorité. Les dépassements tarifaires (médecins et dentistes) représentent en 2006 six milliards d’euros. Ils augmentent de plus de 10% par an depuis 25 ans. La presse dénonçait récemment des honoraires multipliant par 10 les tarifs de remboursement !

Comment ne pas s’insurger devant ce phénomène, favorisé par le gouvernement actuel et négligé par l’assurance maladie qui à pourtant la mission de faire respecter les clauses de la convention médicale ? Si ne se produit pas une réaction déterminante des forces sociales (que font les partis politiques « de gauche » ? Les syndicats ? Les citoyens ?), nous entreront rapidement dans une civilisation de « la sélection naturelle » dont on connaît la cruauté.

Bonne année, bonne santé disiez vous ?

Notes [1] Revenu annuel individuel moyen net d’activité libérale pour un médecin (toutes spécialités confondues) se situe à 80 600 E. en 2005. Il progresse d’environ 3% par an entre 2000 et 2004. A comparer avec le salaire moyen net de l’ensemble de la population (22 132 E.) qui n’augmente que de 0,4% par an sur la même période.

Raymond MARI


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