Santé : libéralisation, renchérissement, élitisation, destruction et Casuistique du jésuite

samedi 1er mars 2008.
 

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... Plus on invoque le spirituel, plus on risque de s’éloigner du rationnel. Cela peut devenir une stratégie. Quels stratagèmes utiliser en effet pour dissimuler de lourdes réalités ou cacher les sombres desseins d’une politique cynique ? User des mensonges, c’est un peu gros, mais ça marche ; utiliser des concepts séduisants mais ambigus comme la « liberté » ou la « responsabilité » ; désigner des boucs émissaires pour masquer les vrais coupables et lancer la meute à la chasse aux « zabus », des autres bien entendu ; utiliser, attiser le réflexe sécuritaire en gesticulant avec des simulacres policiers, abuser le badaud en le focalisant sur l’étalage de l’intime des vedettes de la politique... Indécent !

Devant les dégradations économiques et sociales, le « je crois, donc j’espère » de N. Sarkozy est destiné à les diluer. C’est le contraire de « je pense, donc je suis ».

Nous assistons actuellement à cette mauvaise comédie. Et derrière le décor, les « termites » s’attaquent aux structures que notre société a secrétées par un lent processus de maturation en transformant des rapports sociaux fondés sur la force individuelle en mécanismes de solidarité capables de réparer, imparfaitement sans doute, les handicaps originels.

La santé, condition prioritaire d’une vie normale, est un révélateur de ce que nous venons d’exprimer. C’est pourtant l’un des exemples les plus frappants d’une dégradation programmée.

On doit tout d’abord observer que cette santé a un coût considérable (près de 200 milliards d’Euros en 2006). Sous l’effet de multiples facteurs cette dépense est en expansion continue.

Comment rendre la santé malade

Certains de ces facteurs sont légitimes : sophistication et renchérissement des techniques, vieillissement de la population, élévation des besoins, etc...D’autres sont contestables : production sanitaire anarchique, absence de régulation entre financement public et production largement privée, laxisme, pour ne pas dire lâcheté politique, organisation de l’appareil sanitaire déficiente, système de financement complexe, opaque, etc... En tout état de cause, sans une protection sociale efficace, l’accès aux soins est plus que problématique.

Si la collectivité ne se substituait pas aux personnes en assumant la charge des dépenses, ce coût rendrait la santé inaccessible à une grande majorité d’individus, surtout ceux qui cumulent les handicaps financiers et les carences sanitaires. C’est sur ce mécanisme de solidarité que notre dispositif de sécurité sociale a été érigé. Chacun participe selon ses moyens et consomme selon ses besoins.

La politique actuelle conduit à retourner la proposition : en réduisant le collectif aux individus, ils ne pourront plus consommer que selon leurs moyens. C’est l’avènement de la santé dans le magnifique concert du marché. Avec quelques superbes lapsus de nos responsables politiques : « Existe-t-il des assurances (automobiles et autres) sans franchise... » proférait récemment le futur Président de la République pour justifier les dernières réductions infligées aux prestations des assurés sociaux.

Une politique inspirée par quelques principes fondateurs dont le cynisme est éclairant. Toutefois, n’omettons pas de citer l’idéologie loin d’être absente de ce concert dissonant. La mode « intellectuelle » en quelque sorte qui constitue pour ses laudateurs, une confortable appartenance à la catégorie des modernes, des réalistes progressistes. Cette modernité qui rejette les contestataires dans « les poubelles de l’histoire » : archaïques, ringards... : le marché tout puissant, la liberté d’entreprendre, moins d’Etat, etc... tous ces slogans qui s’installent progressivement dans les normes sociales.

Mais ne soyons pas naïfs, derrière cette idéologie, se profilent des intérêts très concrets.

Car les stratégies de ce libéralisme là sont beaucoup plus « réalistes » qu’idéologiques. Elles reposent sur l’évidence, maintes fois démontrée, qu’en « libérant » l’individu de sa protection collective, on l’abandonne à sa capacité personnelle dans un univers régi par le pouvoir de chacun. Dans ce combat inégal, le pouvoir se concentre sur une « élite » restreinte au détriment de la grande majorité des autres.

Quelle démonstration peut on faire de cette analyse dans le domaine de la protection sanitaire et sociale ?

Prémices et perspectives d’une dégradation de la protection sanitaire et sociale

Au regard des tendances qui se sont affirmées depuis 2002, il est possible de formuler quelques paris sur les mesures qui risquent d’être prises dans un avenir plus ou moins proche Elles s’inscrivent dans trois objectifs étroitement imbriqués qui sous-tendent ce que certains appellent la réforme :

Réduire l’intervention du collectif dans la prise en charge du coût de la santé et, en conséquence, limiter, voire diminuer, une masse financière qui se comptabilise dans les dépenses publiques.

Mais il ne s’agit pas de réduire la dépense des malades qui alimente les acteurs de la production sanitaire. Au contraire, tout sera fait pour favoriser la consommation médicale. On veut réduire le budget de la Sécurité Sociale, pas les dépenses de santé des citoyens.

Une couverture sociale qui rétrécit entraîne mécaniquement un transfert vers des solutions assurantielles privées. On sait à quel point les assurances complémentaires lorgnent sur la gestion du pactole que nous évoquions ci-dessus. Les résultats de cette stratégie sont évidents. Un tel système existe. Les Etats Unis offrent à cet égard un champ d’analyse édifiant. Les dettes contractées pour se soigner y sont le premier motif de faillite personnelle. Dans les populations défavorisées, les indicateurs sanitaires (mortalité, espérance de vie, etc...) approchent celles du tiers monde. Et c’est au moment où émerge dans ce pays une revendication à la protection sociale collective que notre président américanophile manœuvre pour détruire la nôtre !

La réduction continue des remboursements de la Sécu. Depuis quelques années, on assiste à une lente érosion de la couverture des dépenses de santé. Progressivement, la part qui reste à la charge des ménages augmente. On réduit le taux de remboursement, des médicaments notamment. On instaure des « franchises » qui s’ajoutent au ticket modérateur (qui n’a jamais modéré que l’accès aux soins). A l’instar du forfait hospitalier, on peut prévoir que ces franchises s’alourdiront. C’est pour « responsabiliser » le malade dit le gouvernement. Ces pénalités seraient alors une sorte de thérapeutique ! Comme cela ne convainc guère de monde, on entonne le couplet compassionnel : « C’est pour financer la lutte contre la maladie d’alzheimer » ,[1] ...Ce qui revient à réduire la prise en charge des soins consacrés aux autres maladies.

A propos de ticket modérateur, les affections de longues durées (ALD) sont la cible des projets gouvernementaux. Ces maladies graves entraînent une exonération du fameux ticket (remboursement à 100% des tarifs). Avec l’augmentation des personnes atteintes d’ALD (8,2 millions en 2004, presque 9 millions en 2006), les dépenses engagées en remboursement de leur traitement progressent vivement (5,2% par an entre 2003 et 2006). Jusqu’à présent, compte tenu des déficiences de l’état général que provoquent un cancer ou un sida par exemple, le cadre de l’exonération tenait compte de ce phénomène. Demain, il est vraisemblable que l’on ne prendra plus en charge à 100% que le produit ou la prestation uniquement destinés au traitement de la pathologie. Les cancéreux ou les sidéens devront assumer un ticket « modérateur » ( !) pour les frais de santé occasionnés par les maladies opportunistes...D’autres projets visent les affections de longues durées. On veut en réduire la liste (une trentaine actuellement). Certains souhaiteraient limiter l’exonération à un stade de gravité avéré de la maladie. Une prime de fin de vie... ?

Bien entendu, augmenter le « reste à charge » pour le malade (le « RAC », contraction évocatrice utilisée dans les rapports officiels) entraîne mécaniquement un transfert vers les assurances complémentaires... lorsqu’on a les moyens d’y souscrire.[2]

Limiter la prise en charge collective (la Sécu) aux soins considérés « efficients » : le « panier de soins »

Pour faire court, c’est le « panier de soins » dont l’intitulé connaît quelques évolutions et qui s’introduit maintenant sous le vocable de « panier de biens et services médicaux ». Au nom d’une logique purement comptable, après s’être appesanti sur l’irrépressible augmentation des dépenses de santé jugée insupportable pour les finances publiques, en ayant lourdement suggéré les abus perpétrés par les assurés sociaux, on se propose de limiter le périmètre des soins remboursables dans le cadre de la solidarité nationale à ceux qui seraient jugés indispensables.

Indispensables non pas sur des critères d’utilité et d’efficacité scientifiquement démontrés, mais sur des choix concernant « l’efficience » de la thérapeutique. Ce qui veut dire que l’on introduit un paramètre d’appréciation totalement subjectif de ce qu’une collectivité accepte d’assumer. Imaginons en les conséquences selon le type de pouvoir aux commandes ! Toutes les déviances sont alors possibles. Celle qui vient en premier est rapidement identifiée : la Sécu ne rembourse plus que les soins dispensés pour quelques maladies graves (le gros risque). Pour le reste, voyez avec votre régime complémentaire, si vous en avez un, si vous pouvez encore le payer, et si votre police d’assurance prévoit la couverture de cette maladie. Mais ça pourrait être encore plus féroce : pourquoi dialyser les personnes de plus de 70 ans ? Pourquoi rembourser les soins consécutifs au cancer du fumeur ? A qui la charge des accidents sportifs ou de loisirs ? Et ainsi de suite... !

Qu’on ne s’imagine pas que cette vision relève du catastrophisme ou de la paranoïa. Ces conceptions ressortent des suggestions d’organes aussi officiels que le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, la notion d’efficience y est développée en toutes lettres dans le rapport de 2004. Compte tenu de quelques réactions défavorables, elle est reprise, mais de façon beaucoup plus discrète dans le rapport de juillet 2007 (P. 17). Elle ressort dès la page 18 à propos des médicaments à vignettes bleues « ...dont l’utilité est faible (?)... pour qu’on puisse en laisser la charge aux ménages. »[3]

En fait, le panier de soins existe déjà : dans les soins indispensables, scandaleusement abandonnés par la sécu, les plus connus et les plus criards concernent l’optique, les prothèses dentaires et auditives. Mais il y en a bien d’autres, dont la liste s’allonge en permanence[4]. En attendant le grand soir... ?

Pendant ce temps, en l’absence d’une politique authentique de contrôle, la production sanitaire génère des soins inutiles, voire dangereux (que le rapport Beraud estimait à 1/5 des dépenses il y a quelques années) et les professions de santé libérales bénéficient de générosités sans précédent. (+ 31,2% pour la consultation des généralistes entre 2002 et 2008, + 25,2% en secteur 1 et + 13,7% en secteur 2 pour la chirurgie).

Les maladies graves pour la sécu, les autres pour les régimes complémentaires

Arrêtons nous un instant sur cette logique. En la poussant à son extrême, cela entraîne un profond changement auquel rêvent depuis longtemps les ultra libéraux. Comme nous l’évoquions précédemment, il s’agit de consacrer la prise en charge collective (la Sécu) à ce qu’on appelle « le gros risque » (les maladies graves). En abandonnant la couverture du « petit risque » à la prévoyance individuelle privée. Petit risque, soit dit en passant, qui constitue aujourd’hui un moyen de prévention essentiel, dans la mesure où le recours rapide au médecin sur des symptômes apparemment bénins, révèle parfois une pathologie grave qu’il convient de traiter avec célérité.

Moduler la prise en charge des soins en fonction des revenus

A propos de franchise (quel drôle de nom pour une pénalité !), Monsieur Attali rejoint un autre transfuge du parti socialiste, M. Hirch, sous ministre des solidarités, ou le rapport Briet/Fragonard sur le « bouclier sanitaire », pour proposer une réforme qui, en résumé, l’un avec des franchises proportionnelles aux revenus, les autres avec une prise en charge des frais médicaux elle aussi modulée selon les revenus, proposent une couverture différentiée. Cette forme de sélection des malades rompt évidemment avec le principe d’égalité devant la santé édicté en 1946.

Or, s’il est normal que la contribution financière soit adaptée aux revenus des assurés, est-il acceptable qu’en cotisant davantage on perçoive des prestations inférieures ? Bien entendu, une couverture sociale réduite en fonction des ressources entraînerait rapidement des obstacles financiers majeurs pour ceux qui devraient affronter des frais considérables au moment où la maladie frappe et réduit les moyens de ceux qui en sont victimes, et ce, quels que soient leurs disponibilités antérieures.

En outre, on peut imaginer que les populations affectées par la réduction des prestations collectives et obligées de recourir davantage aux couvertures assurantielles, n’accepteraient plus de cotiser dans les mêmes proportions au régime collectif. Le rêve ! Enfin, la fin de la solidarité... !

La désagrégation de l’encadrement du prix des prestations sanitaires

Compte tenu du coût des soins, sans une protection sociale collective couvrant la dépense des malades, l’accès aux traitements serait très problématique pour la majorité d’entre nous. Afin que la collectivité maîtrise (relativement) le budget qu’elle y consacre, dans la mesure où le système sanitaire marchand fonctionne sans les régulations nécessaires d’un marché sain : consommateurs compétents et libres de leurs choix (peut-on renoncer à la santé ? Est-on en mesure de sanctionner le médecin dans ses diagnostics et ses pratiques ?) et producteurs subissant une réelle concurrence (le magnétiseur ne présente pas vraiment une alternative), la puissance publique à, sous des formes diverses, fixé un prix pour les prestations sanitaires et mis en place un certain nombre de règles pour protéger les consommateurs.

C’est ce qui insupporte les ultra-libéraux, gêne les stratégies commerciales auxquelles ils aspirent et confère à la collectivité une charge dont ils voudraient la débarrasser.

La libéralisation des honoraires médicaux

Le prix des soins de ville est à cet égard significatif : Dès la réforme (1946) de l’assurance maladie, les pouvoirs publics ont instauré le principe de contrats (les conventions) entre les professions de santé libérales et la Sécu, pour définir les rapports entre l’ordonnateur des dépenses (médecins) et le payeur (la Sécu), notamment, pour fixer des tarifs opposables qui constitueraient la base de remboursement de l’assurance maladie.

En échange, on accordait aux professionnels conventionnés de multiples avantages (la prise en charge au 2/3 des cotisations sociales par la collectivité par exemple) qui s’amplifièrent au cours des décennies suivantes. Jusqu’en 1960, ces conventions non respectées par le corps médical (déjà !) n’eurent guère d’application. De nouvelles dispositions (les décrets de 1960) édictées à cette époque firent entrer dans les faits le respect des tarifs fixés par la convention. En conséquence, la couverture des dépenses de santé devint substantielle et l’on peut dire qu’elle est l’un des facteurs essentiels d’un progrès sanitaire et social important. En 1980 (gouvernement Giscard/Barre), intervient une réforme qui va dégrader la couverture des dépenses de santé. Au sein de la convention, on met en place une option (le secteur 2) qui permet aux médecins de s’affranchir des tarifs opposables, à condition de fixer leurs honoraires « avec tact et mesure ». Ultérieurement, la loi « Douste Blazy » (2004) autorisera les spécialistes du secteur 1, consultés directement sans l’avis du médecin traitant, à dépasser les tarifs... !

En dix années, l’offre de soins pratiquant les tarifs opposables (secteur 1) se réduit dans de telles proportions qu’au début de la décennie 1990 on ne permet plus aux praticiens, à l’exception des spécialistes possédant des titres universitaires, d’opter pour le secteur 2, tout en laissant ceux qui y avaient adhéré précédemment pratiquer les honoraires libres.

Bien que la convention prévoit les procédures et les sanctions en cas de non respect du « contrat », l’assurance maladie dont c’est pourtant la mission reste totalement impassible devant la montée progressive d’une inflation des honoraires incompatible avec l’obligation de respecter scrupuleusement les tarifs en secteur 1 et le respect du « tact et de la mesure » en secteur 2.

L’Inspection Générale des Affaires Sociales à publié en avril 2007 un rapport alarmant sur ce quelle considère comme un obstacle à l’accès aux soins et un recul de la solidarité. Les dépassements augmentent de 10% par an depuis 25 ans et, dans certaines régions (Ile de France, PACA, ...) et certaines spécialités (la chirurgie notamment), ces dépassements, non pris en charge par le régime général et peu couverts par les régimes complémentaires, deviennent insupportables pour la plupart des malades. En 2005, ce sont 6 milliards d’Euros de dépassements (médecins + dentistes) qui pèsent en grande partie sur le budget des ménages.

Or, cette situation qui entraîne un recul considérable de la protection sociale résulte d’une véritable stratégie. Stratégie d’un cynisme effarant de la part d’un gouvernement qui ne cache pas son intérêt pour ce genre de solution (Cf. les déclarations du candidat Sarkozy). De plus, ces manœuvres rencontrent peu d’obstacles. A l’exception de quelques pétitions de principe des partis « de gauche » et des syndicats (qui participent pourtant à la gestion de l’assurance maladie), une étrange inertie affecte ceux qui devraient défendre l’intérêt collectif. Cette stratégie est absolument conforme au triptyque que nous énoncions précédemment : 1) favoriser les dépenses de santé des malades obligés de subir des honoraires en constante augmentation ; 2) ne pas alourdir les dépenses de la Sécu puisqu’elle ne rembourse pas les dépassements ; 3) pousser les assurés vers les régimes complémentaires de plus en plus onéreux et de moins en moins généreux, et, enfin, cerise sur le gâteau, satisfaire les corporations médicales libérales très proches du pouvoir en place.

Malgré tout, la succession de rapports alarmants (IGAS, Cours des Comptes, Haut Conseil) et quelques campagnes de presse (notamment une série d’articles du « Parisien » en 2007) ne peut qu’entraîner quelques aménagements dans cette situation anarchique. Les projets du gouvernement sont assez clairs : Sous prétexte de réguler les dépassements en les limitant en nombre et en pourcentage, on va les pérenniser, peut-être même les généraliser[5]. A titre d’exemple, si les médecins sont autorisés à fixer des dépassements jusqu’à concurrence de 100% des tarifs de remboursement, alors qu’aujourd’hui pour une consultation de généraliste, le remboursement s’effectue sur la base de 23 E., soit 16,10 E., demain, pour une dépense de 46 E., avec une base de remboursement qui n’aurait pas progressée, le reste à charge serait de 29,90 E. au lieu de 6,90 E actuellement.

Si on en arrive à ce résultat, on aura dissout la notion de tarifs opposables pour les actes médicaux et on aura quadruplé le reste à charge des ménages !

Quant aux limites que les textes pourraient définir, les médecins savent par expérience (Cf. rapport de la Cour des Comptes 2005), qu’elles n’engagent que ceux qui ont la naïveté de les respecter.

Les grandes manœuvres pharmaceutiques

Près de 32 milliards d’euros, c’est ce que nous dépensons au cours d’une année pour acheter les médicaments qui doivent être prescrits par un médecin et délivrés par un pharmacien, gage d’une relative sécurité puisque, malgré ces précautions, les effets indésirables de ces produits provoquent plus de morts que les accidents de la route.

En France, la pharmacie est l’exemple d’une hallucinante gabegie, largement organisée par une industrie qui a su s’infiltrer dans la plupart des organes de décisions : les structures publiques qui autorisent les médicamentss au remboursement et qui en fixent les prix, les prescripteurs (les médecins), pour lesquels elles investissent des moyens marketing considérables.

Résultat, des prescriptions foisonnantes et inappropriées, une pharmacopée considérable composées de multiples copies d’une même molécule et la plus grosse consommation mondiale.

Confrontés à une inflation financière considérable, les pouvoirs publics ont pris un certain nombre de décisions dont quelques unes sont justifiées. A cet égard, on comptera la volonté d’exclure du remboursement des produits totalement inutiles, voire, dangereux. Mais, première interrogation, pourquoi ne pas en avoir interdit la commercialisation ? Seconde préoccupation, sous couvert de cette légitime intention, on en profite actuellement pour éliminer des médicaments à « SMR insuffisant » (Cf. chapitre sur le panier de soins), c’est-à-dire des médicaments dont on ne conteste pas l’efficacité, mais que l’on considère insuffisamment importants (?) pour être pris en charge par la solidarité. Certaines décisions sont d’ailleurs totalement scandaleuses. Ainsi, la réduction (à 35%) du remboursement des antihistaminiques indispensables pour soulager les troubles consécutifs aux maladies allergiques qui se développent, n’est motivée que par de bas calculs économiques.

Autre mesure destinée à réduire les dépenses de l’assurance maladie pour les produits pharmaceutiques, depuis plusieurs années, les pouvoirs publics ont engagés de considérables efforts pour développer l’utilisation de génériques tombés dans le domaine public et donc moins chers que les multiples copies que l’on continue à produire. Pour y parvenir, compte tenu de la faible contribution des médecins, on a autorisé la substitution par les pharmaciens que l’on a intéressés à l’affaire en revalorisant le remise légale qu’ils perçoivent et en laissant augmenter les marges supplémentaires que leurs accordent les fabricants. Ces ristournes perçues par les officines auraient dû être répercutées sur le prix de vente et, en conséquence, elles auraient diminué les dépenses de l’assurance maladie. En fait, ces réductions n’ont pas eu lieu et les pharmaciens ont conservés le pactole. La Direction de la concurrence était en train d’instruire une action contentieuse, lorsque le gouvernement est intervenu pour faire cesser toute velléité à l’encontre de cette corporation très protégée. Qu’en pensent les malades soumis à une rigueur opiniâtre ?

Ces patients qui deviendront peut-être malades, lorsqu’ils auront accès à des produits mis en vente libre et distribués sans prescription médicale. Car c’est l’une des stratégies d’un couple gouvernement/industrie pharmaceutique qui voit dans « l’automédication », non remboursée bien entendu, le moyen particulièrement pervers de diriger des patients forcément incompétents, livrés aux tentations de la publicité, vers un marché libre où les prix flambent[6].

Nous pourrions développer bien d’autres exemples d’une remise en cause globale des mécanismes de solidarité de notre système de protection sanitaire et sociale. La dégradation de nos hôpitaux publics au bénéfice des cliniques privées étant l’un des exemples les plus inquiétants. Devant ces tristes réalités, on comprend la volonté des promoteurs du dieu « marché » de nous conduire vers un « ailleurs » que nous aurions gagné à force de pénitences.

Notes

[1] En fait, d’après les déclarations du Président de la République, seul 1/3 des 850 Millions de « recette » des nouvelles franchises sera consacré à quelques nouvelles dispositions sur le sujet

[2] Les complémentaires ne couvrent pas la totalité du RAC. 8% de la population n’a pas d’assurance complémentaire. Les cotisations complémentaires ont augmenté de 25 à 60% en quatre ans.

[3] On appréciera les précautions sémantiques du Haut Conseil : « Pour améliorer la prise en compte du critère d’efficience, le haut Conseil estime que la réflexion pourrait utilement être menée pour envisager le panier de biens remboursables de manière moins cloisonnée afin de mieux prendre en compte les stratégies de soins définies pour les pathologies » ... ?

[4] C’est le cas pour les médicaments jugés comme ayant un Service Médical Rendu (SMR) insuffisant. La Haute Autorité de Santé qui prononce ces jugements définit le SMR insuffisant comme suit : « insuffisant pour justifier une prise en charge financière par la solidarité nationale. C’est parfois compris à tort comme synonyme d’inefficace. »

[5] Au cours de l’année 2007, le gouvernement s’est acharné à instaurer une nouvelle possibilité de dépassements tarifaires, « le secteur optionnel ». Pour le moment, ce secteur n’est pas mis en place, mais...

[6] le prix des médicaments déremboursés flambe. On observe des augmentations jusqu’à 5 fois le prix initial.

Raymond MARI


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