Municipales et gestion de l’eau (3) : les documents à recueillir (par Marc Laimé)

vendredi 29 février 2008.
 

Citoyens, usagers, élus et collectivités qui souhaitent promouvoir le retour à une gestion publique de l’eau et de l’assainissement doivent impérativement s’atteler, plusieurs années avant l’expiration d’un contrat de délégation de service public confié à une entreprise, à rassembler un certain nombre de documents clés dont l’étude est indispensable afin d’établir sans équivoque que le choix de la gestion publique sera bénéfique sur tous les plans : technique, financier, économique, environnemental, social... Recueillir les documents clés de la gestion de l’eau c’est déjà initier une démarche politique, tant l’opacité recouvre le fonctionnement des services confiés aux entreprises privées, qui devrait pourtant être transparent, et ne l’est jamais...

Les services publics locaux de l’eau et de l’assainissement sont de la compétence des maires et des collectivités intercommunales lorsque les communes leur en ont délégué la compétence. La gestion déléguée peut l’être sous diverses formes juridiques, dont les plus couramment rencontrées sont l’affermage et la concession.

On peut aussi rencontrer, de manière marginale, la régie intéressée ou le marché d’entreprises de travaux publics.

Et désormais les nouveaux Contrats de partenariat public-privé, créés par voie d’ordonnance en 2004, qui sont en passe d’être réformés afin d’en multiplier le champ d’application, et surtout d’en faciliter la mise en œuvre.

Attention toutefois, au fil du temps on assiste à une hybridation croissante des modes de gestion.

Sur un territoire donné les différentes étapes du cycle de l’eau potable et de l’assainissement peuvent, d’une part être répartis entre plusieurs collectivités et syndicats, qui en exercent la compétence. Et ces différentes compétences peuvent elles-mêmes être conjointement exercées sous différents modes de gestion.

Un même usager peut ainsi, sans le savoir, dépendre de 4 ou 5 collectivités, et d’autant de modes de gestion, ce qui n’aide guère à clarifier les enjeux...

Un document de base : le contrat de délégation

Il s’agira donc le plus fréquemment d’un contrat d’affermage ou de concession. Que contient-il ?

- un exposé des buts du contrat, ce à quoi il s’applique ;

- des clauses financières : ce que le déléguant reçoit du délégataire et ce que le délégataire peut prélever sur l’usager ;

- des clauses de rupture ;

- des clauses de révision. Le contrat de délégation est une sorte de cahier des charges entre le délégataire et le déléguant. Il doit être étudié en premier.

Les délibérations de la collectivité déléguante

Pour que le contrat puisse être établi, il aura fallu, tout d’abord une première délibération du Conseil de la collectivité (municipal ou communautaire) pour autoriser le maire ou le président à entamer une négociation et une étude. Il aura fallu ensuite une autre délibération pour mandater le maire ou le président pour signer le contrat avec le délégataire. La délibération doit être envoyée au préfet qui la légalise. Le contrat ne pourra être signé qu’à la suite de toutes ces démarches. Si l’une de ces étapes n’est pas chronologiquement franchie, le contrat peut être annulé puisqu’il a été signé par quelqu’un qui n’était pas mandaté pour cela. Il est donc très important de se procurer les originaux des rapports signés par tous les conseillers) et de vérifier leur contenu et les dates. Les rapports annuels permettant de contrôler la gestion des services

- Le budget primitif et ses annexes. Très aride, la lecture de ce document doit être effectuée avec l’assistance d’un spécialiste de la comptabilité et de la gestion publique. Il est important de l’analyser dans un but de consolidation de l’ensemble des services. Il est aussi très utile de lire les délibérations de l’assemblée qui l’a adopté. On peut se les procurer en demandant communication des pages correspondantes du registre des délibérations auprès de la collectivité compétente : commune, intercommunalité, syndicat : SIVU, SIVOM. Si l’on est méfiant, on peut demander à consulter le registre original.

- Le compte administratif du service. Avec un décalage dans le temps, c’est la présentation de la réalisation du document précédent. Mêmes commentaires.

- Le(s) compte(s)-rendu(s) technique(s) et financier(s) du(des) délégataire(s) qui devront être rapprochés de ceux du services . L’étude de ce document est essentielle pour contrôler une gestion déléguée puisqu’il est réputé décrire par le menu l’activité du délégataire durant l’année écoulée. Le compte d’exploitation doit faire l’objet d’une étude très fouillée. On devra rapprocher les données qu’il contient des clauses du contrat de délégation qui doivent être scrupuleusement suivies et dont il devrait être la traduction. Les points à surveiller tout particulièrement sont :

- les « frais de siège » qui résultent en général d’un calcul de répartition rarement objectif et établi sur une base invérifiable et souvent sans justificatif. Il sera opportun de demander des explications précises sur les services rendus ainsi que sur l’activité des personnels facturés en répartition.

- les travaux de renouvellement souvent confondus avec ceux d’entretien ou même comptés deux fois et dont les listes respectives sont données dans le contrat ;

- le montant de la garantie dite de renouvellement qui correspond à une réserve non rémunérée pour la collectivité auprès de laquelle elle est prélevée via le prix de l’eau de manière illégale et même souvent non contractuelle. On obtient son montant en différence entre le montant inscrit au compte d’exploitation et celui des travaux réellement effectués.

- l’amortissement du parc des compteurs est également très utile à la réalisation de superprofits. Il faut donc, en particulier, veiller, par mise en parallèle des contenus des contrats et des contenus des règlements de service ainsi que de leur application (y compris comptable), qu’il n’existe rien de contradictoire entre eux ; et là des surprises apparaissent.

- il faut aussi veiller sur les amortissements liés à des investissements effectués par le délégataire pour le compte de la collectivité et qui s’avèrent finalement plus coûteux que si la collectivité les avait réalisés directement, en empruntant l’argent sur le marché, comme tout un chacun. Sachant aussi qu’il est interdit à l’exécutant d’un marché public d’en être aussi le banquier.

- autre curiosité : vérifier l’emploi réel des personnels facturés par le délégataire sur un service donné. Rien n’empêche, en effet, le délégataire de facturer le même salarié sur plusieurs chantiers simultanés. Rien de plus simple pour une collectivité d’exiger que le délégataire lui transmette ses DADS, or cela ne se produit quasiment jamais !

- il est aussi très important de noter le résultat du compte d’exploitation (en général un bénéfice et un montant d’impôt), sachant que cette somme serait automatiquement économisée en régie directe (municipale ou intercommunale) donc sur le montant de la facture payée par l’usager à travers le prix de l’eau qu’il consomme.

Le rapport dit " Barnier " du maire ou du président à l’assemblée délibérante

Ce rapport répond à l’obligation de transparence contenue dans le décret 95-635 du 6 mai 1995. Il donne aux usagers de l’eau (abonnés et raccordés au réseau d’assainissement communautaire), des informations sur le prix et la qualité des services publics de l’eau et de l’assainissement.

Etabli à partir du compte administratif et des comptes-rendus techniques et financiers des délégataires, il comporte un explicatif sur le détail de la facture d’eau. Il comprend, en général deux parties : une pour l’eau potable et une pour l’assainissement. Chaque partie décrit le service : régie directe, délégations. Le rapport contient aussi des données techniques : captages, distribution, des données sur la qualité : résultats d’analyses, protection de la ressource. L’aspect financier n’est pas oublié avec une présentation de la tarification, du prix du m3 d’eau, du montant et de la nature des investissements, des renouvellements sur les installations. Le tout est accompagné d’un état de la dette et de son coût. La lecture de ce document doit être méticuleuse et très critique puisqu’il a pour objectif de valider la réalisation effective du contrat.

Les résultats des analyses de la qualité de l’eau

Les usagers sont à juste titre très préoccupés par la qualité de l’eau qui leur est délivrée. Les collectivités doivent une transparence totale et les résultats des analyses effectuées par les DDASS doivent être affichés en mairie, même et surtout s’ils sont négatifs sur un point seulement et sur une très courte durée. Tout manquement à ces principes est une faute. Les comportements "cachottiers" étant criminels non seulement vis-à-vis des droits des citoyens mais aussi vis-à-vis des études épidémiologiques dont ils sont susceptibles de rendre les résultats faussement optimistes, avec toutes les conséquences sur la protection des populations. Il faut en effet savoir que la plupart des médecins praticiens, ne remettant jamais en doute les résultats sur la qualité de l’eau, peuvent de ce fait arriver à de mauvais diagnostics sur une affection collective due à la mauvaise qualité de l’eau.

Les règlements des services de l’eau et de l’assainissement

Ces documents méconnus sont très importants puisqu’ils définissent les rapports entre les usagers et les services, soit les droits et obligations des deux parties. Ces règlements, approuvés par les élus en assemblée délibérante et dont il faut également se procurer les comptes-rendus originaux, comportent parfois des clauses abusives qu’il convient de dénoncer car elles pénalisent lourdement les usagers (droits d’entrée, avances sur consommations, etc...)

Que faire si la collectivité de communiquer ces documents ?

Il faut tout d’abord signifier au maire ou au président de la structure intercommunale (syndicat ou autre) que l’on est au courant de l’illégalité de son refus et que l’on va agir en conséquence .

- Lui en faire la demande par courrier recommandé avec accusé de réception ;

- L’informer que l’on va saisir la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) ;

- Et que, si dans le délai légal, une réponse positive n’a pas été obtenue, le Tribunal administratif sera saisi et après, au besoin, le pénal, pour faire appliquer le jugement du tribunal administratif. Il existe aussi d’autres moyens qui consistent à passer par l’intermédiaire d’élus, à qui la collectivité ne peut, bien sûr, rien refuser. Ce qui peut permettre d’éviter les poursuites en diffamation, parfois engagées à titre dilatoire.

Les suites judiciaires

Les services publics relèvent des tribunaux administratifs. C’est d’ailleurs ce qui permet de les définir en tant que tels. L’action judiciaire peut être entreprise, sans avocat, et pour la somme modique de 15 euros, en se rendant au siège du Tribunal administratif dont relève la collectivité responsable du service de l’eau et de l’assainissement en question. Dans tout ce que l’on dit et surtout écrit, ne jamais oublier que le délit de diffamation n’est jamais bien loin lorsque l’on cite des noms aussi bien de sociétés, de syndicats (SIVOM ou SIVU ) que de personnes.

La responsabilité de la collectivité

Une partie de la rétribution des entreprises délégataires trouve sa justification dans le fait que les collectivités leur font jouer un rôle de tampon entre elles et les usagers pour les faire se tromper de cible. Il faut garder à l’esprit que la délégation de service public telle qu’elle est appliquée à l’eau et à l’assainissement n’est pas une privatisation de la compétence, mais seulement un transfert très limité de la gestion du service, sous l’autorité politique du déléguant qui garde d’ailleurs la propriété des patrimoines et la responsabilité pénale des résultats de sa gestion. Il arrive par contre fréquemment que les collectivités elles-mêmes soient abusées par les grands distributeurs mais ne veulent pas le reconnaître, soit par fierté, soit pour ne pas se voir reprocher leur incompétence. Il convient alors de les mettre en demeure de dénoncer les pratiques du délégataire qu’elles ont mis en place. Les contrats eux-mêmes peuvent comporter des clauses léonines. L’analyse de leur mise en œuvre peut révéler que le délégataire ne respecte pas ses engagements contractuels. L’actualité récente témoigne que les tribunaux se révèlent enclins à débouter les entreprises de leurs prétentions exorbitantes quand une collectivité décide de rompre unilatéralement un contrat, s’exposant à être poursuivie par l’entreprise. Ce point devra être désormais pris en considération et examiné de beaucoup plus près que par le passé.

Les éléments à surveiller

- les durées trop longues de contrat : vingt, vingt-cinq, trente ans, alors que la norme s’établit désormais à la dizaine d’années ;

- les ententes lors de la passation du marché ;

- l’absence manifeste de concurrence ;

- la prise d’intérêt de la part d’élus eux-mêmes prestataires du service ;

- le versement de droits d’entrée à la collectivité pour financer d’autres budgets que celui de l’eau ou de l’assainissement ;

- le versement de « redevances pour occupation du domaine public » sans aucune proportion avec un service rendu ; là encore pour financer le budget principal, et c’est interdit.

Les documents des Chambres régionales des comptes

Ne jamais oublier d’interroger les tribunaux dont les jugements sont publics, sur d’éventuels jugements qu’ils auraient prononcé vis-à-vis de tel ou tel distributeur ou collectivité sur l’initiative d’un particulier ou d’une association de consommateurs.

Ces documents officiels sont souvent révélateurs des pratiques frauduleuses de tel ou tel et peuvent alors faire l’objet, sans crainte, de la publicité qu’elles méritent.

Le rôle des CRC est quelquefois mal exploité. Elles peuvent, de leur propre initiative, entreprendre une enquête et épingler le service, mais en général elles laissent à d’autres le soin de porter plainte, ce que personne ne fait, malheureusement.

Le compte - rendu de ces enquêtes est pourtant public et peut être trouvé sur internet ou sur simple demande écrite à la CRC locale.

Un dossier peut être ouvert à la demande d’une association de consommateurs.

L’action des associations d’usagers

Le nombre des associations d’usagers de l’eau se chiffre aujourd’hui à près de 200 en France, et cet état de fait démontre à lui seul que le système ne fonctionne pas.

Ce sont en effet des regroupements d’usagers tellement mécontents du service délégué qui leur est imposé qu’ils décident de résister aux abus du marché captif et monopolistique qui les exploite.

Ces associations créées localement sur des problèmes souvent vécus comme particuliers, ont commencé à se regrouper. Il va sans dire que leur influence ne pourra que croître et qu’il importe que chacun, dans son action, aille dans ce sens.

La Coordination des associations de consommateurs d’eau regroupe plus de 120 d’entre elles autour d’un mot d’ordre fédérateur : le retour à la régie directe.


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