Les primaires aux USA ou l’illusion démocratique (Philippe Marlière, Maître de conférences à Londres)

dimanche 9 mars 2008.
 

Jamais les élections primaires américaines n’avaient suscité un intérêt aussi vif et soutenu dans le monde. La couverture médiatique du premier vote qui s’est tenu dans l’état d’Iowa a déclenché une frénésie médiatique sans aucune mesure avec l’importance de l’événement. Les candidatures hétérodoxes d’Hilary Clinton et de Barack Obama, côté démocrate, et de John McCain, côté républicain, n’expliquent qu’en partie un tel engouement.

Le public fatigue

Les primaires américaines seraient-elles aussi "addictives" que le Super Bowl ou la Coupe du monde de football ? Rien n’est moins sûr. Le site de la BBC a récemment été pris d’assaut par des membres du public qui se sont plaints de "primary fatigue". Certains, exaspérés, demandaient pourquoi la BBC devrait apporter une aussi coûteuse attention à des votes non décisifs, plus de dix mois avant le scrutin présidentiel.

On pourra rétorquer qu’il s’agit d’une étape fondamentale de l’élection la plus importante pour l’humanité. Elle justifierait donc un tel déploiement médiatique, quitte à négliger le traitement d’informations nationales et européennes de premier plan. Après tout, ne partageons-nous pas indirectement le destin de la plus influente démocratie du "monde libre" ?

Les partisans des primaires estiment que ces élections mettent en scène ce qu’il y a de meilleur au sein de la démocratie américaine. Les records de participation à ces primaires tranchent en effet avec la médiocre participation à l’occasion du vote présidentiel. Ces primaires ne constituent-elles pas un vecteur essentiel de politisation citoyenne ? Ne permettent-elles pas l’organisation de débats qui renseigneront sur les intentions des différents concurrents ?

Prime au consensus centriste

En réalité, les primaires n’ont pas, jusqu’à présent, rempli ces fonctions. La percée de l’évangéliste Michael Huckabee a amené John McCain à se repositionner sur les thèmes de la morale et de l’ordre chers à la droite républicaine. Les différences sont ténues entre Obama et Clinton sur les questions internationales (ex-partisane de l’intervention armée, Clinton promet vaguement de retirer les troupes d’Irak, tandis que Obama ne se démarque pas nettement du consensus inter-partisan sur la "guerre contre le terrorisme") et nationales (assurance santé). Les médias privilégient les tenants du consensus centriste et négligent les candidatures atypiques (Ron Paul ou Dennis Kucinich).

Les candidats rivalisent donc de prudence, s’engagent de manière floue et adoptent peu ou prou des positions identiques. Bon gré, mal gré, ces candidats deviennent les stars d’un feuilleton à forte densité humaine.

Prime aux clichés

Plus d’un mois après le début de ce divertissement médiatico-politique, qu’a-t-on retenu des primaires ? Les larmes d’Hilary dans le New Hampshire ; l’agressivité maladroite de Bill ; l’élégante gestuelle de Barack. Le débat "s’élève" par instants quand les commentateurs dissertent sur le sexe ou la couleur de peau des candidats. Le paroxysme de l’analyse va à ceux qui émettent quelques généralisations -souvent non fondées sur le plan scientifique- à propos du "vote Noir" ou "Latino". A quelques exceptions près, les primaires organisent une parodie démocratique, dont sortent renforcés les principaux clichés et préjugés socio-politiques.

Prime aux "faiseurs d’opinion"

Les primaires accordent une influence sur-dimensionnée aux "faiseurs d’opinion" : aux sondeurs qui prédisent les résultats état par état (dont la "large victoire" d’Obama dans le New Hampshire, alors qu’il fut finalement battu par Clinton) et surtout aux commentateurs qui décrètent sentencieusement les "moments décisifs" (le momentum) que la campagne serait censée avoir atteinte (attestés par des sondages souvent contradictoires, par le montant des sommes collectées par les candidats, par les discours d’auto-promotion des spin-doctors des candidats repris complaisamment par les médias, etc.).

Le tirage au sort serait moins coûteux

On le voit, un tel système gangréné par le pouvoir de l’image consensuelle et par l’argent ne peut traiter l’ensemble des candidats de manière égale et juste. Les primaires consacrent avant tout le triomphe de la forme sur le fond. Les électeurs sont amenés à trancher entre Clinton et Obama, deux candidats en apparence aussi capables et déterminés l’un que l’autre ; deux compétiteurs que rien de politiquement fondamental ne vient séparer. Les électeurs doivent choisir entre des personnalités qui viennent ni plus ni moins "vendre" leur récit de vie. Plutôt que de procéder à ces primaires si coûteuses en temps et en argent, Noam Chomsky a suggéré d’investir un candidat par tirage au sort.

Ce système rapide et économe ne serait pas moins aléatoire que les votes à répétition que l’on inflige aux américains et... au reste du monde par médias interposés. On pourrait sourire de telles pratiques si celles-ci n’étaient sur le point de faire leur apparition en Europe. Le système des primaires a déjà été adopté par le Parti démocrate italien (un regroupement post-social-démocrate et post-démocrate-chrétien). Ségolène Royal et la direction du Parti socialiste souhaitent introduire ce mécanisme de sélection en vue de la prochaine élection présidentielle. Si cette mesure était reprise à son tour par le PS, cela sanctionnerait la mort du parti d’Epinay comme lieu de débats sérieux, contradictoires et pluralistes.


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