USA : Pourquoi les pauvres votent à droite

mardi 8 avril 2008.
 

Dans son dernier ouvrage, Thomas Frank délivre le portrait d’une Amérique en proie à un populisme d’un nouveau genre. Une analyse qui pourrait bien nous servir de leçon... Extraits.

Bienvenue au Kansas. C’est ici, dans les environs de Wichita, Kansas city, Mission Hills, que se joue peut-être le grand roman d’anticipation de l’Amérique néolibérale. C’est en tout cas, à écouter Thomas Frank, natif de la région, une très réelle fracture du continent. Rien de très géographique dans cette faille, à part peut-être un hasard, celui des grandes plaines du Midwest balayées par « le vent qui rend fou », celui d’une région trop éloignée des deux côtes pour leur ressembler.

Car on est bien loin de New York la flamboyante, patrie des avant-gardes culturelles et de la finance mondiale. Bien loin aussi de Los Angeles la dingue et de San Francisco la libérée. On est au milieu, c’est tout, au cœur d’une Amérique globalisée, à un endroit où justement on ne se reconnaît pas dans le portrait que l’Europe, le monde entier peut observer au prisme des grandes interfaces économiques, politiques et culturelles que sont ses mégalopoles côtières.

Au Kansas, donc, à écouter les habitants, on n’a que faire de la politique fédérale, du libéralisme -comprendre « gauchisme »-, de la haute finance dont l’Europe redoute tant les assauts. De l’Europe aussi, justement, que les « vraies gens » du milieu prennent pour responsable de la sophistication des étrangers de la côte Est.

Perte de vitesse et frustration

Parce que dans le Midwest, on a toujours préféré l’électricité aux Lumières, on ne comprend plus l’ « autre Amérique », et, dans son regard on lit le mépris. On ne s’y retrouve pas, mais après tout, est-ce si grave ? Ce n’était pas grave. Tant que le Kansas et son environnement avaient des raisons objectives, palpables, dures comme une Bible d’être fiers d’eux : industrie de pointe (l’aéronautique de Wichita), statut de grenier à blé de l’Amérique... Mais voilà, la globalisation, le rationalisme économique sont passés par là, au moins en tant que bouc émissaire des douleurs socio-économiques de l’Etat.

Car malgré les fortunes indécentes qui s’étalent en ces plaines, l’économie vacillante a tué le petit peuple, et paradoxalement ragaillardi le conservatisme républicain. Non pas que les politiciens confrères de George W. Bush fassent réellement quelque chose pour les classes populaires. Mais eux au moins ont su saisir les bruits de la frustration d’en-bas. Ont su les amplifier, les théoriser, et clamer avec force les rêves de purge d’une révolution conservatrice.

Plongée dans le phénomène populiste

Et les griefs sont nombreux, opposés au principe de réalité d’un peuple aux abois mais fier de sa culture. Dès lors, la bataille est engagée, celle du stock-car contre les sushis, du café latte contre la lavasse servie au litre dans les diners, de la bière contre le vin, de la Bible contre la perversion des grandes villes. Le tout encadré, encouragé par un Parti républicain pétri de populisme et de certitudes, prenant comme ligne politique des principes forts tels que le refus de l’avortement, de la finance abstraite, en faveur de la « vraie économie », celle qui consiste à faire pousser du grain. Pas celle de la concentration économique à outrance, même si celle-ci a assuré aux élites locales des fortunes colossales.

Cette dense somme résonne forcément aux oreilles françaises. On songe à l’antienne de la rivalité Paris / Province, et avec elle la somme des régionalismes bourrés de rancoeurs. Mais aussi, et surtout, Thomas Frank décrypte les phénomènes populistes. Pas au bout du monde, pas aux périodes les plus noires de l’histoire, non, maintenant, et dans un endroit qui nous ressemble. Il décrit, par mille détails signifiants, l’éclosion de l’œuf « frustration », non pas dans la violence du fait divers mais dans le silence qui précède l’explosion.


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