Agriculture : La Banque mondiale fait-elle son mea culpa ?

dimanche 16 mars 2008.
 

"Il est indispensable de réaliser d’importants gains de productivité dans la petite agriculture et aussi de fournir un appui plus efficace aux millions qui survivent en pratiquant une agriculture de subsistance (...) Nous devons appliquer des règles du jeu équitables dans le commerce international, produire des biens publics mondiaux, comme les technologies relatives aux denrées alimentaires de base tropicales, aider les pays en développement à faire face aux changements climatiques, et surmonter les pandémies qui menacent les plantes, les animaux et les êtres humains." Robert B. Zoellick Président de la Banque mondiale

Dans son « Rapport sur le développement dans le monde 2008. L’Agriculture au service du développement » (Banque Mondiale, Oct. 2007) la Banque mondiale appelle à la défense des petits agriculteurs et de l’environnement. Que signifie une telle prise de conscience aujourd’hui ? Les conclusions et les préconisations de la Banque mondiale ont-elles réellement changé ?

Pourquoi une telle prise de conscience aujourd’hui ?

Les accords sur l’agriculture sont à l’origine de l’échec des négociations à l’OMC du cycle de Doha. La question agricole est donc un important frein à la mondialisation néolibérale qui se décide à l’OMC.

Une régulation mondiale des échanges agricoles est pourtant nécessaire

En effet, les accords bilatéraux de partenariats économiques (APE) qui se multiplient sont autant de cordes du néolibéralisme passées autour du cou des paysans et des pauvres du monde. Les mouvements d’agriculteurs (dont Via Campesina) pensent que l’agriculture n’a pas sa place à l’OMC et réclament que les décisions de régulation du marché agricole mondial se prennent à la FAO, l’agence spécialisée de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation, sur la base du principe de la souveraineté alimentaire.

Ainsi, la Banque mondiale se devait de réagir et de proposer sa vision des compromis nécessaires- ; pour sauver les pauvres (cette rhétorique n’est pas nouvelle), mais surtout pour sauver la mise en place de la libéralisation des marchés agricoles voulue à l’OMC. Pour la finance, il est essentiel de pouvoir investir « librement » dans l’agriculture, l’agroalimentaire, l’agro-fourniture... D’autant plus essentiel que les perspectives d’un marché de plus en plus juteux se manifestent aujourd’hui. Concrètement, l’augmentation durable et importante du prix des matières premières agricoles est la conséquence de l’explosion des agrocarburants.

Ce que la Banque mondiale entend par « des règles du jeu équitables dans le commerce international »

La Banque mondiale part du principe que- :

« selon les estimations une libéralisation totale des échanges aurait un impact relativement important sur le bien-être » ;

la libéralisation induirait une augmentation moyenne des prix agricoles de 5,5% mais permettrait également d’obtenir des denrées alimentaires moins chères pour les plus pauvres du fait de la suppression des droits de douane ;

mis à part ces estimations contestées et très idéologiques, elle admet néanmoins que de nombreux agriculteurs « se retrouveront perdants » et que « des programmes adaptés à la situation propre de chaque pays devront être formulés pour faciliter le passage aux nouvelles réalités ».

« En ajoutant un zeste d’incertitude dans la mécanique des modèles habituellement utilisés pour le calcul des bénéfices de la libéralisation, on trouve que celle-ci est bien moins avantageuse que ce que l’on croyait. (...)Ainsi pouvons-nous affirmer que la libéralisation agricole ne produira pas nécessairement une augmentation importante de la production, n’induira pas le développement dans les pays pauvres, n’améliorera pas de façon significative la répartition des revenus dans le monde et ne conduira pas à une baisse des prix des produits alimentaires pour le bénéfice des consommateurs. Elle aura plutôt les effets inverses ». Boussard, J.-M, Gérard F, Piketty M.-G, 2005 Libéraliser l’agriculture mondiale ? Théories, modèles et réalités. CIRAD.

Ces « nouvelles réalités » sont quelques peu décrites : « l’un des problèmes les plus épineux qui se posent sur les marchés des denrées alimentaires consiste à déterminer comment gérer la volatilité des prix de produits de base sensibles sur le plan politique » (...) ; « les défaillances de marché sont nombreuses, surtout dans les pays à vocation agricole, et il est nécessaire quel’action publique permette d’obtenir les résultats sociaux souhaitables ». L’Etat doit donc « accroître la qualité et le volume des investissements publics », sans bien sûr « tomber dans le piège des subventions et de la protection ». Cela pour « faciliter le passage aux nouvelles réalités » des nombreux agriculteurs perdants de la libéralisation des marchés agricoles.

Quels projets de développement pour les petits agriculteurs défavorisés ?

La Banque mondiale préconise donc de miser sur un « Accroissement de la productivité et de la durabilité de la petite agriculture », ainsi une large gamme de projets de développement agricole est proposée :

promouvoir l’innovation dans le développement des méthodes de production agrobiologique « la lutte phytosanitaire fondée sur la biodiversité et la lutte biologique de préférence à l’emploi de pesticides » (bien entendu également dans les OGM « qui pourraient aider les populations pauvres ») ;

redoubler d’efforts dans le domaine de l’éducation ;

renforcer la performance des organisations de producteurs, en portant une attention particulière aux femmes et aux minorités ;

assurer des caisses de retraite rurales ;

renforcer l’accès à la terre des plus petits agriculteurs ;

ou encore pour l’irrigation- : « il existe de nombreuses possibilités d’accroître la productivité en rénovant les systèmes en place, en développant les petits systèmes d’irrigation et en intensifiant les activités de collecte de l’eau ».

Et bien entendu, « L’État doit contribuer au développement des marchés en fournissant des biens publics essentiels, en améliorant le climat de l’investissement pour le secteur privé (...) ». Les États devraient-ils donc relancer des campagnes d’endettement public importantes pour financer les contre-coups de la libéralisation, et à terme, attirer les investissements privés ? Cette recette n’est pas nouvelle ! Elle est d’autant plus grotesque que la finance privée ne se dirigera pas vers la petite agriculture alors qu’elle continuera à affluer toujours plus vers les acteurs du modèle agro-industriel. Est-il nécessaire de rappeler que la recherche privée de l’agro-industrie est en totale contradiction avec les projets de développement agricole de la petite agriculture ? Et pourquoi faire de la recherche sur les techniques de productions agro-biologiques qui ne nécessitent ni achat d’intrants chimiques, ni de variétés hybrides ou OGM qu’il faut racheter chaque année ?

La Banque mondiale explique que « c’est en grande partie parce qu’une attention insuffisante a été portée à ces problèmes d’économie politique et de gouvernance que plusieurs des grandes recommandations du Rapport sur le développement dans le monde 1982 sur l’agriculture n’ont pas été intégralement appliquées, notamment la libéralisation du commerce, l’aug-mentation des investissements dans l’infrastructure et dans la R&D [recherche et développement] en Afrique, et l’amélioration de la prestation des services de santé et d’éducation aux populations rurales ».

Faut-il rappeler que c’est à partir des années 1980 que les États ont été forcés de réduire drastiquement les investissements dans les infrastructures et les prestations publiques au nom des réformes néolibérales imposées par cette même Banque mondiale pendant, un certain nombre de constats nous éclairent sur les vraies préoccupations de la Banque mondiale : « De nouveaux et puissants intervenants se sont introduits dans les chaînes de valeur agricoles, qui ont un intérêt économique à promouvoir un secteur agricole dynamique et prospère et qui sont en mesure d’influencer les affaires politiques ».

Ou encore : « Étant donné l’intérêt accru qui est actuellement porté à la réalisation d’investissements dans l’agriculture et les nouvelles opportunités de succès, il est permis d’espérer que les plans d’action pour une agriculture au service du développement iront de l’avant ».

La rhétorique hypocrite de cette machine néolibérale schizophrène reste bien huilée

Le modèle destructeur agro-industriel n’est pas remis en cause même si la Banque mondiale déplore ses conséquences. Réaliser des expertises sur les questions environnementales et humaines de l’agriculture est une chose. Rester sur une vision purement idéologique d’un système économique en est une autre. La libéralisation des marchés agricoles par la mise en concurrence de producteurs totalement différents ne créera pas du « bien être » par l’effet des avantages comparatifs. Elle favorisera les plus gros acteurs en capacité de spéculer sur les ressources naturelles et les denrées alimentaires. Ces derniers tireront profit de la fluctuation croissante des prix agricoles en prenant par exemple la place des petits agriculteurs « perdants ». La stabilité des prix agricoles est fondamentale pour le développement agricole des petits agriculteurs qui nécessite une certaine prévisibilité pour envisager des investissements. Or, la finance internationale désire s’emparer de l’agriculture. Cela représente des investissements trop prometteurs pour les laisser à une multitude de petits paysans entrepreneurs. Il est en effet beaucoup plus facile pour la finance de ponctionner les gains de ce secteur avec un nombre restreint d’oligopoles privés et de quelques propriétaires fonciers qui resteraient. C’est pourquoi, après avoir réduit les capacités politiques et économiques des États, la Banque mondiale leur demande de jouer le rôle du mécanicien. Réparer vite les tracteurs ! Les 98% d’agriculteurs qui n’en ont pas attendront-ils ?

Un des points importants de l’analyse de la Banque mondiale sur l’augmentation de la productivité des petits agriculteurs est la préservation et l’amélioration de la qualité des sols. Un autre porte sur la taille des exploitations nécessaires pour être compétitif par économie d’échelle « Pour assurer le transfert des terres aux utilisateurs les plus productifs (...) ». Or, l’aspect accès à la mécanisation n’est pas abordé. C’est pourtant un point essentiel nécessaire à l’entretien des sols et à la productivité des agriculteurs. Dans le monde il y a 75% des agriculteurs qui n’ont même pas accès à la traction animale. La Banque mondiale ne nous explique donc pas comment apporter du compost ou du fumier, (à raison de 5 à 20 tonnes/hectare) à la main ou à la brouette ?


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