Pour une nouvelle République éducative ( Texte Trait d’Union)

vendredi 30 juin 2006.
 

La manière dont nous pensons l’école engage toute entière notre vision du socialisme et de la République. Pour deux raisons. D’abord parce que l’école républicaine de masse est le résultat d’un rapport de force construit par plusieurs générations de combats syndicaux et politiques de gauche. Le temps scolaire ne peut s’abstraire des rapports de forces sociaux qui lui préexistent et qui le prolongent. C’est d’ailleurs par là qu’une pensée politique doit commencer, si l’on ne veut pas une nouvelle fois limiter le débat sur l’école à une problématique para-syndicale dans laquelle la conscience de gauche s’est déjà profondément enlisée, chipotant sur les sempiternelles questions de structures et de moyens. Donc, la critique de l’école est la critique de la société et le projet pour l’école est toujours un projet pour la société. La longue durée des temps éducatifs à l’échelle de la société est la deuxième raison qui place l’école au coeur même de tout projet socialiste. Toucher à l’organisation de l’école, c’est manier les fils du temps long. Les bacheliers de 2020 (sans redoublement...) entrent aujourd’hui en maternelle, les retraités de 2044 sortent du bac. On ne peut donc passer à côté de l’école quand on poursuit la transformation durable et radicale de l’ordre des choses en tant que socialiste. On ne peut pas non plus passer à côté de l’école quand on travaille toujours à réaliser le programme émancipateur de 1789 en tant que républicain. Rien ne vaut donc au sujet de l’école qui soit seulement l’effet d’une inspiration tirée du moment qui passe ...

La mode dangereuse du dénigrement de l’Education nationale

Parmi les critiques qui pleuvent à propos des performances de l’école, il faut soigneusement distinguer entre ce qui tient du propos de comptoir et ce qui vient d’une enquête sérieuse. Exemple : se méfier des chiffres apocalyptiques concernant le nombre d’élèves sortant du système scolaire sans savoir « ni-lire-ni-écrire-ni-compter ». Il faut aussi toujours se demander qui a payé une enquête et qui l’a dirigée.

Pour les libéraux, ce dénigrement tient souvent lieu à lui tout seul de pensée pour l’école. On le voyait dès les premiers mots de l’exposé des motifs du projet de loi Fillon voté en mars dernier. Avec notamment la sempiternelle supplique selon laquelle le budget de l’éducation ne cesse d’augmenter depuis des années, ce qui est vrai, sans amélioration des résultats concrets, ce qui est faux

. Il serait d’autant plus dangereux de se laisser tenter par ce discours que ceux qui le professent ne le font nullement par souci d’améliorer le système mais seulement pour dégraisser le secteur public. Les réussites occultées de la loi de 1989

A l’inverse, nous ne devons donc pas craindre, par conformisme catastrophiste, d’accepter l’idée que notre école ait aussi réussi. Notamment quand des socialistes se sont occupés d’elle. En 1989, la loi d’orientation de Lionel Jospin a permis une élévation extraordinaire du niveau d’éducation des Français. La part d’une classe d’âge accédant au niveau du baccalauréat n’a-t-elle pas doublé en dix ans ? De 1985 à 1995, elle est passée de 35 % à 69 % ! Le précédent doublement avait nécessité quatre-vingts années d’efforts ! C’est donc bien que les moyens qui ont été mis en oeuvre ont rencontré le succès. Le plus remarquable, depuis 1989, ce sont les résultats considérables atteints dans la professionnalisation durable des jeunes. Le nombre de bacheliers professionnels a quadruplé. Celui des titulaires de diplômes universitaires technologiques et de brevets de technicien supérieur a doublé. Celui des titulaires de diplômes supérieurs d’études spécialisées a triplé. Même succès pour la licence professionnelle, que nous avons créée il y a quatre ans.

Il y a eu une pause dans le progrès, certes, mais il n’y a pas eu de régression. Et ces années de pause ont également été les années les plus dures socialement. Pourtant le nombre des élèves qui sortent du système scolaire sans qualification a encore été réduit de plus de 35 % depuis 1989. Enfin, il ne faudrait pas nous plus oublier les remarquables réussites de la féminisation des bacheliers (de 10% d’une génération de fille à plus de 40%) et celui des effectifs de l’enseignement supérieur (plus de la moitié des diplômes sont à présent attribués à des filles).

La marchandisation aux portes de l’école

Au total, si nous pouvons espérer aller plus loin encore, c’est grâce à l’outil éducatif qui nous a déjà permis d’acquérir ces résultats et non en dépit de lui.

Car nous pouvons craindre qu’il se passe à propos de l’école ce qui s’est déjà passé avec tant de nos services collectifs. Le dénigrement a en effet préparé les esprits à la fatalité d’un recours élargi aux services marchands.

Nous ne pouvons ignorer la pression qui s’exerce dans ce sens concernant l’éducation à l’échelon international à la lecture des documents publiés par la Banque mondiale, par l’OCDE et par le Fonds monétaire international. Nous pouvons encore moins l’ignorer si l’on tient compte des analyses des investisseurs financiers qui pointent les 1 400 milliards d’euros de dépenses annuelles consenties par les Etats, dont 70 % dans les pays avancés, en faveur de l’éducation.

Capitalisation contre répartition

Ceux-là veulent de toutes leurs forces qu’un système par capitalisation vienne prendre la place de l’actuel système de financement par répartition, qui veut que l’éducation des jeunes générations soit payée par celles des actifs.

Mêlant une forte hausse des coûts d’accès à l’éducation, l’endettement rapide des jeunes les plus modestes et la substitution de crédits d’entreprises aux fonds publics, le financement par capitalisation est devenu la règle dans les pays anglo-saxon. Aux Etats-Unis, la dette moyenne d’un étudiant en médecine à la fin de ses études atteint ainsi 90 000 dollars. La privatisation des financements ne peut ainsi que bloquer la démocratisation des systèmes éducatifs.

Surtout, le financement par capitalisation coûte nettement plus cher à la société (près de 8% du PIB aux Etats-Unis) qu’un système public (environ 6% du PIB en France) : marges des entreprises éducatives, dépenses de publicité et de commercialisation sont autant de facteurs d’augmentation des coûts. Sans que cela se traduise dans les résultats : le niveau moyen de qualification et de productivité de la main d’œuvre française dépasse largement celui de la main d’œuvre américaine, déqualifiée et précarisée.

L’Education nationale dans la seringue libérale

On connaît exactement les moyens prescrits pour passer de l’un à l’autre de ces systèmes : ils figurent en toutes lettres dans les recommandations des organismes internationaux comme l’OMC, le FMI, la Banque mondiale ou encore l’OCDE et sont activement relayés au niveau national par les organisations patronales. Pour formater un marché des savoirs, il faut d’abord autonomiser toujours plus les établissements scolaires de tous niveaux, notamment en accroissant leur dépendance financière aux capitaux privés. Il faut ensuite les mettre en compétition en étalonnant leurs résultats. Il faut, enfin et surtout, cantonner les obligations de l’Etat aux seuls âges de la scolarité obligatoire. A l’aune de ce programme, le projet de loi Fillon était parfaitement cohérent. Il ne faut pas s’étonner que ce soit sur les voies technologiques et professionnelles que se concentre le non-dit le plus flagrant du texte voté par la droite. Ce sont, en effet, les premiers savoirs que le secteur marchand vise.

La première étape de ce programme libéral est déjà à l’œuvre dans notre pays avec l’emballement de la décentralisation et de l’autonomie des établissements. Des expériences qui ont rapidement fait exploser les inégalités scolaires.

Le nouveau désordre éducatif : l’école en mille morceaux

Dans l’enseignement scolaire, l’absence de toute péréquation dans la décentralisation livre les écoles et les établissements à une véritable jungle des financements publics et privés, au gré des politiques régionales, départementales et communales. Ainsi, si chaque élève du primaire reçoit en moyenne nationale 35 euros de crédits pédagogiques par an, les sommes réelles peuvent varier de 12 à 120 euros par élève et par an selon les écoles.

De son côté, l’enseignement supérieur prend de plus en plus des allures de maquis féodal. Ce n’est pas une nouveauté puisqu’existait déjà la sacro-sainte dualité de l’enseignement supérieur français qui veut que 5 % d’une classe d’âge scolarisée en classes prépa ou en grandes écoles bénéficie de 30 % de l’investissement national dans les études supérieures. Un dualisme qui survalorise l’excellence scolaire des grandes écoles et polarise tous les mécanismes de sélection et d’orientation du système éducatif par rapport à cette « voie générale des élites ». Au sein même de l’université, la différenciation des frais d’inscription devient extrême : par établissement, par cycle et par filières. D’autant qu’ils se doublent de la prolifération de frais pédagogiques et autres redevances (pour les bibliothèques ...) qui dépassent parfois les frais d’inscription eux-mêmes. Au nom de l’autonomie et d’une prétendue proximité, le contenu des formations et l’intitulé des diplômes qui les sanctionnent connaissent le même éclatement. Sous couvert de passage au LMD, le lien entre diplôme et établissement est devenu encore plus étroit sinon exclusif. Avec des résultats inverses aux effets recherchés puisqu’en s’éloignant de la valeur commune des diplômes au niveau national, on s’en éloigne d’autant plus au niveau européen. L’anarchie qui règne désormais dans le paysage des diplômes du supérieur ne peut que démultiplier les inégalités sociales dans l’accès aux formations. A rebours de la qualification efficace et reconnue du plus grand nombre.

Aux marges du système éducatif, le morcellement des opérateurs s’accroît aussi dans la formation continue et l’apprentissage. 23 milliards d’euros sont par exemple engloutis par les 38 000 opérateurs d’un système de formation continue qui bénéficie pour l’essentiel aux travailleurs déjà les mieux formés. Loin de produire de l’efficacité, ce fouillis concurrentiel empêche une mobilisation globale des services publics de formation au service de ceux qui en ont le plus besoin et multiplie les gaspillages d’argent public. Le ministère du travail soutient l’AFPA pour prendre des parts de marché aux GRETA qui sont eux-mêmes soutenus par l’Education nationale pour prendre des contrats à l’AFPA ! Les Régions construisent et équipent tout azimut des lycées professionnels et des CFA qui se retrouvent sous employés faute de pilotage global. Les usagers subissent de plein fouet les inégalités qui en résultent, comme dans l’apprentissage où l’affectation moyenne de taxe d’apprentissage est de 450 euros par apprenti dans les établissements publics et 2 200 euros par apprenti dans les CFA des Chambres de commerce et d’industrie.

Au total, c’est le pilotage global du service public d’éducation qui est en voie de démembrement. Au point qu’un ancien Recteur a pu reconnaître que désormais dans l’Education nationale, « on ne sait plus si ce sont les responsables qui poursuivent les objectifs ou si ce sont les objectifs qui poursuivent les responsables. »

Le défi de la transition démographique

Nous allons entrer dans la seconde moitié d’une décennie marquée par l’amplification d’un choc démographique sans précédent. Entre 2001 et 2010 en effet, on devrait compter entre 4,5 et 5 millions de départs à la retraite, représentant le quart des effectifs employés dans l’industrie, le tiers dans les services et près de la moitié dans la fonction publique. De plus, même avec des hypothèses de croissance très variables, 2 à 3 millions d’emplois devraient être créés sur la même période. Au total, cela représente sur la décennie un besoin quantitatif de 7 à 8 millions de personnels nouveaux, c’est à dire environ le tiers de la population active au travail à renouveler.

Ce défi est aussi et surtout qualitatif en raison de l’élévation constante du niveau de qualification. 540 000 emplois non qualifiés ont été détruits sur la décennie 1990, tandis que sur les 2 à 3 millions d’emplois créés sur la décennie 2000, seuls 270 000 au maximum devraient être des emplois peu qualifiés. Les métiers sont ainsi devenus de véritables sciences pratiques, contrairement à ce qu’a pu prétendre par exemple le rapport Thélot misant sur la persistance d’un volant important de travail non qualifié dans les services.

Cette situation ne peut pas laisser le système éducatif indifférent, surtout quand dans le même temps plus d’un million de chômeurs sont toujours sans qualification. A moins de céder aux sirènes patronales de l’immigration sélective, discrètement rebaptisée « immigration choisie », alors qu’elle n’est en fait que le pillage organisé des qualifications des pays du Sud.

La bataille des qualifications

Ce défi de la qualification aiguise les appétits marchands et le MEDEF entend bien éviter que le service public d’éducation s’en empare. Pour cela il théorise le partage des responsabilités entre d’une part un service public dont la mission devrait se réduire à la certification des connaissances et d’autre part des entreprises qui assureraient elles-mêmes, via le marché, la certification des compétences. Exit au passage la notion de diplôme certifiant durablement une qualification professionnelle. Les compétences étant conçues comme étroites et périssables, cela accroîtrait en effet la dépendance du travailleur face à l’entreprise. Au contraire, en délivrant ses diplômes et titres, l’Etat assure la « bonne monnaie diplômante ». C’est une garantie de liberté pour le salarié qui peut négocier sa qualification sur l’ensemble du marché du travail, parce que sa valeur d’échange (le salaire) est reconnue dans les conventions collectives. C’est aussi une garantie de qualité pour l’employeur qui peut ainsi estimer la valeur d’usage du travail qui sera fourni par la personne embauchée. L’école doit affirmer sans faiblesse sa volonté d’être la gardienne intransigeante de ces garanties. Pour nous, le monopole de l’Etat sur les certifications n’est pas un privilège corporatif de l’Education nationale mais une sécurité collective.

Quand ils ne s’attaquent pas directement à la norme sociale qu’est la qualification, les libéraux sont aussi tentés d’utiliser l’apprentissage pour déstabiliser tout le système de formation professionnelle initiale. Concrétisée par le Plan Borloo visant au doublement du nombre d’apprentis, essentiellement au détriment de l’enseignement professionnel public, cette illusion du tout apprentissage est un non sens économique. Ce mode pédagogique n’est adapté qu’à certains métiers artisanaux où la formation peut se réduire à la reproduction du geste professionnel. Partout ailleurs, la qualification intègre un nombre croissant de savoirs généraux. L’opposition entre savoir et savoir faire recule avec l’élévation du contenu technique des objet produits et des services rendus. Mais cette priorité donnée à l’apprentissage est surtout un moyen pour les libéraux de désengager l’Etat de l’enseignement professionnel qualifiant. Les socialistes aux commandes des politiques de formation professionnelle dans la plupart des régions du pays ont donc une responsabilité particulière pour éviter ce recul du service public.

Un grand service public pour l’éducation et la formation tout au long de la vie

Face au défi démographique et à la pression marchande, il y urgence à redonner une cohérence de service public à l’ensemble du système d’éducation et de formation. Lisibilité de l’offre de formation, fluidité des parcours, égalité des jeunes et des travailleurs dans l’accès à la qualification. Autant de principes qui doivent guider ce réinvestissement du service public. Une ambition qui, contrairement aux idées reçues, est à même d’être soutenue dans le pays par une large base sociale. Les branches professionnelles dont l’activité inclut un niveau élevé de qualification de la main d’œuvre peuvent en effet converger avec les jeunes, les parents d’élèves, les syndicats ouvriers et les professionnels de l’éducation dans l’ambition d’accès du plus grand nombre au plus haut niveau de qualification. C’est cette convergence des productifs que le projet socialiste pour l’école doit s’attacher à susciter pour être en mesure de faire reculer les libéraux.

Dans ce grand service public, la formation initiale doit être en mesure de répondre à un double soucis en toutes circonstances : que le contenu de ce que chaque jeune reçoit l’aide de façon vérifiable à progresser intellectuellement et moralement, que chaque niveau de sortie du système éducatif corresponde à une qualification reconnue dans les conventions collectives. C’est cela le chemin scolaire de l’émancipation intellectuelle et sociale. Car une formation qui ne déboucherait sur aucune reconnaissance sociale et professionnelle est un non sens pour le service public d’éducation. Encore faut-il que l’élévation du niveau de qualification ne soit pas freinée par les problèmes criants d’autonomie matérielle auxquels sont confrontés de nombreux jeunes, lycéens ou étudiants, dans leur parcours de formation. Une situation que ne pourra que se dégrader encore tant que la gauche n’aura pas posé les bases d’un véritable statut social du jeune en formation.

Refonder le collège

Vouloir la qualification pour tous suppose d’identifier dans le système éducatif les verrous qui peuvent expliquer la persistance d’un nombre encore élevé de sorties sans qualification. A commencer par le collège où se préparent ces sorties directes vers la précarité. Cela s’explique par le fait que le collège unique a été pensé avant la massification du second degré à une époque où le lycée se réduisait à la voie générale. Le collège a alors été construit en miroir avec celle-ci. Il prépare à la voie générale et n’oriente vers les voies professionnelles que par l’échec et par défaut. A l’inverse des « filières » voulues par la droite, le collège devrait préparer tous les jeunes à une possible orientation dans les trois voies du lycée. Les contenus (relance de l’enseignement de la technologie devenu un gadget, enseignement de découverte des métiers pour tous) et les méthodes (rompre avec le primat du déductif sur l’inductif) doivent valoriser en chacun les créneaux de réussite permettant une orientation choisie et positive dans une des trois voies du lycée. Seule une telle refondation du collège est à même d’éviter que des jeunes soient traînés d’échec en échec jusqu’à la 3ème avant de sortir du système.

Pour un pilotage public unifié de l’accès à la qualification

Au-delà de la formation initiale, formation continue et validation des acquis doivent pleinement intégrer un service public d’éducation élargi. L’intention était déjà présente dans la loi de 1989 mais sans que l’on ait alors prévu les évolutions institutionnelles à même de permettre ce changement. La relation Education / Travail est encore aujourd’hui l’angle mort des politiques publiques. De multiples ministères pilotent des systèmes de formation initiale sans cohérence globale. Surtout, les ministères de l’éducation et du travail pilotent de manière cloisonnée, la formation initiale sous statut scolaire d’une part, l’apprentissage et la formation continue d’autre part. Avec les effets de concurrence stérile et de gaspillage que l’on a décrit. Un pilotage public unifié de l’ensemble des voies d’accès à la qualification s’impose aujourd’hui. Institutionnalisé sous la forme d’une délégation interministérielle ou même d’un nouveau département ministériel, ce pilotage unifié permettrait de garantir concrètement l’accès de tous à la qualification. Il permettrait de donner corps à l’ambition des lycées des métiers de fédérer dans un même service public formation initiale, formation continue et validation des acquis. Il offrirait aux collectivités locales et aux partenaires sociaux un interlocuteur crédible et efficace là où les responsabilités de l’Etat sont aujourd’hui diluées. Il donnerait enfin à l’Etat les moyens d’engager une vaste péréquation des financements publics destinés aux différentes voies de formation et notamment de faire le ménage dans le maquis des financements de la formation professionnelle continue.

Vers une nouvelle république éducative

Ces évolutions peuvent dessiner l’horizon d’une nouvelle République éducative qui mette pleinement l’école au service de l’émancipation de la personne, du citoyen et du travailleur.

Il faudra pour cela accepter de démasquer certaines mystifications libérales qui ont largement imprégné notre temps. La notion d’ « égalité des chances » en est une. Outre qu’elle porte une vision de loterie à propos de l’existence, elle ne peut avoir en réalité qu’un résultat : rendre les élèves et eux seuls responsables de leur situation scolaire. C’est ainsi faire passer les hiérarchies sociales qui en résultent pour le résultat d’une juste sélection des talents d’après le mérite de chacun. Bref : justifier l’inégalité sociale et pouvoir conclure que certains jeunes seraient inéducables une fois leurs « chances » gaspillées.

« L’ascenseur social » est aussi un concept libéral. Il idéalise la possibilité pour chacun de sortir de sa classe sociale pour exercer ensuite un des métiers reconnus comme supérieur par son milieu (docteur, avocat, journaliste, etc.) soit un « métier à vocation » qui excuse l’échec dans les voies susmentionnées (travailleur social, intermittent du spectacle, communicant, etc.). Cette pensée est incapable d’ assumer l’égal intérêt des parcours scolaires pour la société parce qu’elle n’évalue jamais leur utilité sociale mais seulement leur prestige symbolique et le niveau de salaire supposé auxquels ils conduisent. Supposé parce qu’un pigiste permanent dans un grand quotidien, sorte d’esclave de la plume payé à la pièce, gagne moins qu’un chef de rayon de charcuterie dans une grande surface, métier hautement qualifié qu’il serait pourtant horrifié de devoir avouer dans un repas de famille si jamais le pigiste était capable de l’exercer. Cette manière de voir à une racine que Diderot déjà pointait dans l’Encyclopédie : le mépris du travail, de son contenu et de ses servitudes dans le collectif humain. Pour un homme de gauche l’objectif n’est pas d’exfiltrer les travailleurs de leur classe mais d’ émanciper la classe salariée de ses servitudes matérielles et morales. Par conséquent, l’amélioration des conditions sociales des tra octobre vailleurs et de leurs enfants ne dépend pas que de l’école, loin de là.

L’émancipation des personnes comme horizon

Au total, la mission éducative de notre temps devrait consister à aider l’individu à devenir une personne. Il s’agit non seulement d’acquérir avec sérieux les savoirs et les qualifications qui permettent de trouver sa place dans l’univers social, civique et culturel qui l’entoure. Mais aussi de disposer des outils critiques pour incorporer consciemment ces acquis pour se construire une identité personnelle assumée. Ce personnalisme est « républicain » dans la mesure où il ne peut être construit à l’école que dans la pratique de la « prise de distance » à l’égard de tous les conditionnements sociaux ou communautaires. Cela implique par exemple d’armer l’école contre l’invasion mercantile de l’espace pédagogique par les marques. En affrontant ce mercantilisme, l’action laïque fait retour sur sa vocation initiale où les soins pour la liberté de conscience rejoigne la critique de l’inégalité fondamentale portée par la logique marchande. La République n’est pas que le contenant de l’école. Elle en est le projet.

(texte de la contribution socialiste Trait d’Union en date du 19 octobre 2005 pour le Congrès du Mans)


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