Zapatero : un libéral cohérent (Par Philippe Marlière)

vendredi 14 mars 2008.
 

Moins en vue que Blair, moins commenté que Royal, Zapatero est, nous dit Philippe Marlière , l’incarnation la plus convaincante d’une sociale-démocratie pragmatique, centriste et libérale.

Sans faire de bruit, José Luis Rodríguez Zapatero est devenu un leader crédible de la social-démocratie européenne. Sur un plan personnel, Zapatero est l’anti-Blair ou l’anti-Royal : il est effacé, simple, modeste. Cette « authenticité » qu’il cultive à l’envi lui vaut la sympathie de la plupart des Espagnols. À l’inverse de ses deux collègues, Zapatero n’est pas un personnage autoritaire. Il a certes su placer des hommes liges aux postes-clés du PSOE, mais sans heurter les militants comme ont pu le faire Tony Blair ou Ségolène Royal. Zapatero est celui qui incarne le mieux aujourd’hui la « Nouvelle social-démocratie » : un courant pragmatique, centriste et résolument libéral.

Sur le plan économique, le premier ministre espagnol ne se distingue guère des autres partis de centre-gauche au pouvoir. Son action s’inscrit dans le cours d’une politique modestement redistributrice, reposant sur un « Etat allégé » et faisant la part belle à l’initiative privée. À l’instar du blairisme, les résultats macroéconomiques apparaissent bons, mais sont assez trompeurs : 2,88 millions d’emplois ont été créés et le produit intérieur brut a progressé pendant quatre ans d’environ 3,5% chaque année. Le revers de la médaille de ce néolibéralisme de gauche a été l’aggravation de la précarité et l’augmentation du nombre de travailleurs pauvres. Dans ce domaine, le zapatérisme ne se démarque pas du blairisme, même si l’Espagnol ne se hasarde pas, comme l’a fait le Britannique, à vanter la supériorité tout terrain du secteur privé sur le public ou encore à tresser des lauriers aux entrepreneurs, aux stars du show-biz ou aux joueurs de football...

José Luis Rodríguez Zapatero est aussi un vrai libéral sur le plan politique et culturel : légalisation du mariage homosexuel, lois accélérant la procédure de divorce, facilitant l’avortement et pénalisant davantage la violence contre les femmes. Avec le très timide Pacs, le PS est en retard sur le PSOE en ce qui concerne l’égalité entre les sexes. Ni Jospin, ni Royal, très conservateurs sur ces questions, n’auraient fait ce que Zapatero a achevé sur ce terrain. L’« Espagne catholique » est aujourd’hui un pays plus pluraliste et plus tolérant que la France laïque.

Le gouvernement socialiste a entrepris de réviser le Statut d’autonomie de la Catalogne. Le nouveau texte, approuvé en 2006, a fait l’objet de critiques très vives de la part du Parti populaire et du PSOE, ainsi que dans les médias proches du premier ministre (El País ou les radios de la SER). Cette mesure fut prise en dépit d’une réaction hostile de la population dans un climat catalophobe quasi-général. Ce nouveau Statut prévoyait initialement de se référer à la Catalogne comme une « nation » (article 1, Titre I), et non plus simplement comme une « nationalité ». La droite espagnole et une partie de la gauche ont dénoncé une attaque contre la nation espagnole unifiée. Certains critiques ont estimé que cette inflexion ouvrait la porte de l’autodétermination et donc de l’indépendance de la Catalogne. Le statut adopté par les députés, en retrait, ne parle plus que de « réalité nationale ». Il prévoit également de confier à la Generalitat, (l’exécutif catalan) des prérogatives élargies en matière d’immigration, d’éducation ou encore une plus grande autonomie linguistique.

En octobre 2007, les députés ont approuvé la loi dite de la « mémoire historique ». Celle-ci condamne expressément la dictature franquiste (un « régime totalitaire contraire à la liberté et à la dignité des citoyens »). Elle demande à l’Etat et aux collectivités locales de retirer de l’espace public les symboles et les monuments qui font référence au franquisme. Zapatero a remis en cause le « pacte de l’oubli » qui a permis l’avènement de la Constitution de 1978. En échange de la démocratie, le procès du franquisme n’a jamais été mené. Les responsables des crimes de ce régime n’ont jamais été jugés et la mémoire des républicains a été enterrée par le consensus politique qui en a découlé. Cette décision a été violemment condamnée par le PP, l’héritier du franquisme. Il s’agit d’une leçon de courage politique qui tranche avec l’attitude des socialistes français, incapables de reconnaître la responsabilité de la France dans les crimes vichystes (Chirac l’a fait) ou de la République dans les colonies.

Pied de nez aux rodomontades étatsuniennes sur la « Guerre contre la Terreur », Zapatero a négocié avec l’ETA. La reprise des hostilités de la part des nationalistes basques ne désarçonna pas le premier ministre espagnol. Il affirma ne rien regretter et se félicita d’avoir choisi la voie des pourparlers plutôt que l’engrenage de la violence.

Zapatero a tenu sa promesse : il a effectivement retiré les troupes espagnoles en Irak. On pourra considérer qu’il n’avait pas le choix ayant été élu dans le contexte des attentats de Madrid en 2004. Mais une telle décision n’allait pas de soi pour un social-démocrate nouvelle manière, car l’une des particularités de la Nouvelle sociale-démocratie est son alignement sur des positions ultra-atlantistes. En outre, Zapatero a régularisé plusieurs centaines de milliers de travailleurs étrangers clandestins. L’ex-gouvernement de la Gauche plurielle pourra méditer cette décision humainement et économiquement sensée !

Zapatero ne saurait constituer un modèle pour une gauche française de gauche, car sa politique sociale et économique ne rompt pas avec le consensus néolibéral qui prévaut au sein de la social-démocratie européenne. Son action s’inscrit dans le cours catastrophique de politiques qui, sur le plan national ou dans l’Union européenne, appauvrissent les peuples et défont progressivement les Etats sociaux. Néanmoins, on peut saluer son action concrète pour l’égalité entre les sexes qui devrait faire rougir de honte les conservateurs du PS en France. La social-démocratie européenne nous offre le spectacle égotique de ses dirigeants droitiers, hier Blair, Jospin et Schroeder, aujourd’hui Royal, Brown, et Veltroni. Conservateurs et frileux sur les questions qui touchent aux libertés individuelles, condescendants et autoritaires dans leur manière de diriger leurs partis et de s’adresser aux peuples, ils apparaissent comme des libéraux contrariés : libéraux sur le plan économique, ils sont illibéraux sur le versant culturel et politique. José Luis Rodríguez Zapatero est pour sa part doublement libéral. Cette cohérence dans la pensée et dans l’action ne réjouira pourtant que modérément une gauche socialement exigeante. Dans la Nouvelle social-démocratie au pouvoir, Zapatero est un pis-aller. Il n’y a peut-être pas mieux, mais il y a assurément pire que lui.


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