Lecture pour tous : "Les Années », d’Annie Ernaux

jeudi 27 mars 2008.
 

Annie Ernaux, c’est cette écrivain magnifique, qui a raconté depuis pas mal d’années une vie de provinciale, après la guerre (elle est née en 40, en Normandie, du côté de Rouen). Une sorte de grande sœur qui nous suivrait depuis...

On a lu déjà l’enfance, l’adolescence et le savoir qui crée la distance avec la famille modeste, les études, les événements qui jalonnent cette vie-là (le récit d’un avortement, on ne disait pas encore IVG, en ce temps-là, la sécheresse du mot dit assez la dureté des faits, on y reviendra une autre fois...), les parents éloignés de la culture, la famille éclaboussée du mérite de celle-ci, qui réussit à l’école.

Elle nous offre cette fois-ci une remontée dans l’histoire, ou une redescente, c’est selon. On part des premiers souvenirs, tout ceci en photos, des photos qu’on ne verra jamais, à nous de les imaginer, ou de les revoir, puisque, chez vous, chez nous, on a les mêmes, au fond de boîtes à chaussures débordantes. D’une petite fille en bord de mer à l’enseignante parisienne, c’est l’histoire de notre pays, de notre vie, via ce qu’on appelle des morceaux de vie, dans les magazines branchouilles, mais Annie Ernaux, elle est tout sauf branchouille.

On suit les mutations d’une société en marche, les trente glorieuses, l’arrivée de la publicité, de l’électroménager, et Moulinex qui libère la femme (tu parles ! Une belle supercherie, ce truc encore, ce sont les femmes qui se libèrent et l’écrase-patates n’a rien à voir avec ça !). Ça n’a l’air de rien, dit comme ça, mais c’est aussi une remontée dans tous les moments politiques qui ont fabriqué notre vie : retour sur l’Indochine, l’Algérie, les avancées, les reculades, les libérations successives, celles des corps et des esprits et des peuples aussi, les repas de famille, comme on en a tous connu, obligatoirement, de l’ennui au désintérêt poli, mais qui reflètent parfaitement ce qui se passe dans la société. La guerre s’estompe, les bâtiments se reconstruisent, les maisons s’équipent, les cabinets deviennent commodes, et intérieurs. Et il n’y aura un jour plus personne pour se souvenir qu’il fallait soulever sa jupe derrière la maison... On est à la fois dans l’intime et l’universel, sans trop savoir lequel l’emporte.

C’est une femme qui raconte et ce n’est pas indifférent. Les femmes, par leur condition, sont peut-être plus près du réel ? Plus à l’écoute ? Je n’ai jamais beaucoup cru aux films de femmes, pas plus aux livres de femmes. Modiano me parle infiniment plus que Gavalda, mais ce n’est pas un bon exemple, n’est-ce pas ? Oser faire se frôler le génie absolu et la littérature de TGV... faut être gonflée.

Et pourtant ici, on ne pourra pas faire l’impasse. Un homme n’aurait pas pu écrire ces pages. Et si vous êtes de cette vie-là, si vous avez vécu, un peu plus tôt, un peu plus tard, ces émancipations, ces bouleversements, ces conquêtes et bien entendu, tant de désillusions, et surtout si vous êtes un homme, ne laissez pas passer ces pages. Annie Ernaux parle d’elle. Annie Ernaux parle de nous, de nous tous, et on est drôlement contents de trouver quelqu‘un qui nous connaît si bien.


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