QU’EST-CE QUE CONSTRUIRE UNE ALTERNATIVE ? (1et 2) par Patrick MIGNARD

samedi 5 avril 2008.
 

Constat d’un échec historique

Répondre à cette question est difficile, parce qu’elle renvoie à deux domaines complexes : la connaissance de l’Histoire et la place de l’Homme dans la "construction" de l’Histoire.

En vérité, nous ne savons pas ce qu’est construire une alternative, c’est-à-dire un passage radical d’un mode de production et de distribution des richesses, à un autre et comment s’y prendre... mais nous refusons de nous l’avouer.

Si l’on regarde l’Histoire, on ne peut que constater qu’il n’y a jamais eu de stratégie véritable en vue d’une alternative à un système et ce pour une raison simple : il n’y avait pas une connaissance de ce qu’est l’Histoire. Les actions entreprises tout au long des siècles n’étaient, en terme d’action, que de simples opportunités... y compris le passage l’Ancien Régime au capitalisme en Europe.

MECONNAISSANCE DE L’HISTOIRE ET OPPORTUNISME POLITIQUE

La tentative de compréhension de la dynamique des évènements historiques, de la recherche d’une logique dans le déroulement de l’Histoire, d’essayer de donner un sens à cette dernière, est tout à fait récente et peut-être datée du 19e siècle. Démarche héritière du Siècle des Lumières, elle se fonde sur la conception qui fait de l’Homme l’acteur de sa propre Histoire.

De fait, avant le 19e siècle, il n’y a aucune interprétation de l’Histoire qui, si j’ose dire, est laissée entre les mains de Dieu. C’est Dieu, ou les dieux, qui, pour nos ancêtres, fait/font l’Histoire. Conception, bien sûr, défendue par les possesseurs du pouvoir et les tenants des religions. Cette conception ayant l’avantage inestimable de prêcher, au sens propre, comme au sens figuré, la pérennité du système existant.

La plupart des changements politiques et sociaux, les vrais, ceux qui changent la nature des rapports sociaux, pas les évènements montés en épingle par l’Histoire officielle et qui n’ont vu que le triomphe d’arrivistes, assoiffés du pouvoir, ces changements radicaux donc, permettant de passer d’un mode de production à un autre, se sont fait sans plans, sans modèles, sans véritable volonté fondée sur une « science de l’Histoire ». De ce point de vue on peut dire, d’une certaine manière que l’Histoire s’est faite sans l’Homme-sujet, acteur de son Histoire.

De ce nouveau rôle, il a tout à apprendre et/ou à réapprendre, en ce début de 21e siècle, il se doit impérativement de faire le bilan de ces presque deux siècles d’erreurs.

Aujourd’hui, et jusqu’à aujourd’hui, on peut dire que l’Homme a été incapable d’assumer ce qu’il avait lui-même déclaré : être acteur de son Histoire. Il n’a maîtrisé ni le progrès technique issu de son cerveau - voir les questions d’environnement, les conditions de travail, -, ni l’organisation sociale qui devait être fondée sur une éthique respectueuse de toutes et tous présents et à venir,... et qui plus est fondée justement sur ce progrès technique.

Constat excessif diront certains. Pas du tout,... regardez le bilan du 20e siècle et ce que nous promet le 21e... et évaluez, l’efficacité et le résultat des stratégies de changements au siècle dernier et celles qui, aujourd’hui, existent.

Dans le premier cas, tout a échoué,...citez une seule expérience de dépassement du capitalisme qui ai réussi !...

Dans le second, « on ne sait plus comment s’y prendre »... les formations politiques qui ont la prétention de conduire le changement ne ressortent mécaniquement que les vieilles formules qui ont fait faillite.

UN FAUX DEPART

Dans la foulée des progrès de la Science, du développement du Progrès technique et scientifique, dans tous les domaines, des penseurs de l’Histoire, de l’Economie et disons, des Sciences Morales et Politiques, ont élaboré des théories, voire des « modèles scientifiques », ou déclarés comme tel, qui devaient tracer une bonne fois (foi ?) pour toutes, la manière de s’y prendre, d’agir, bref qui déterminaient la « juste stratégie » pour dépasser définitivement, et sans retour possible, le système marchand dominant.

Alliant la foi dans des valeurs proclamées et une rigueur « scientifique » empruntée aux sciences exactes, leurs ouvrages sont devenus plus que des ouvrages de références incontournables, mais carrément des textes sacrés, dont les adeptes ne pouvaient souffrir, et ne peuvent souffrir, la moindre critique - toute contestation étant considérée comme hérétique, antiscientifique ( ?) et pour couronner le tout « petite bourgeoise » ( ?).

La stratégie politique qui sort victorieuse de ce débat d’idées et qui se fonde sur un renversement radical du capitalisme par la classe la plus exploitée, a dominé, et domine la pensée politique depuis plus d’un siècle. C’est elle qui a inspiré, sous différentes formes, toutes les actions en vue d’une alternative au 20e siècle.

Avec le recul du temps, le bilan des analyses, prédications, et autres actions entreprises, est totalement négatif : toutes les tentatives ont échoué,... et pour celles qui avaient ouvert les plus grands espoirs, le retour en force du capitalisme - en principe définitivement vaincu -, dans sa phase la plus inhumaine, sonne le glas des théories qui les avaient fondé.

Malgré cela, et en dépit de toute logique, aucune véritable leçon n’a été tirée et n’est apparemment en passe de l’être, du moins de la part des organisations qui croient avoir le privilège du changement... des noms ?.

Les « théoriciens » et « stratèges », au lieu d’essayer de comprendre « où est l’erreur ? »... préfèrent triturer les textes sacrés pour leur faire justifier la situation présente et leur incapacité à penser une stratégie.

Mythifiant les expériences passées - et qui ont toutes échoué - ils les intègrent dans les fastes de leur liturgie politique. ... leur redonnant une vie non plus comme exemple à suivre mais comme symboles de ce à quoi ils ont cru.

Le constat de l’échec théorique et des pratiques n’a jamais été fait sérieusement, il a été éludé au nom de la « mémoire » ( ?), du « respect de celles et ceux qui ont lutté » ( ?), en fait au nom d’une mythification quasi religieuse du passé. L’erreur commise et qui devrait être un facteur de progrès est devenue une pièce de musée que l’on refuse d’examiner et qui peu à peu se recouvre de poussière faisant disparaître ses formes.

La démarche philosophique qui se voulait à l’origine, critique, a sombré dans un intégrisme qui ne dit pas son nom mais qui révèle une pseudo pratique qui en dit long sur l’obscurantisme de la pensée et l’impuissance qu’elle produit. La rhétorique radicale tenant lieu de prêche incantatoire. Incontestablement, et aussi dur que cela puisse être à admettre, la problématique de l’alternative - on n’employait pas ce mot à l’époque -posée dès le 19e siècle a été fausse.

Fausse dans ses prédictions : la classe ouvrière des pays industriels développés, n’a jamais renversé le capitalisme.

Fausse dans son application : dans les pays où cette théorie a été appliquée - essentiellement dans des pays sous développés, c’est-à-dire en contradiction avec la théorie - l’expérience s’est terminée dans un désastre économique, social et politique - avec retour au capitalisme.

C’est donc, à une révision radicale de la « dialectique de l’Histoire » qu’il faut procéder, et cela sans réticence et sans tabou... au risque, dans le cas contraire, à reproduire les mêmes erreurs et de se réduire à l’impuissance.

QU’EST-CE QUE CONSTRUIRE UNE ALTERNATIVE ? 2 de Patrick MIGNARD

- > Les raisons de l’échec historique

L’échec est patent et incontestable nous l’avons vu, même s’il est refoulé au plus profond de l’inconscient d’une bonne partie des militants qui « veulent changer le monde ». Il s’agit dés lors d’essayer de comprendre le « pourquoi » de cette faillite générale. Entreprise difficile car entravée par la pesanteur idéologique de la pensée « critique » officielle... celle justement qui est à l’origine du désastre.

Revisiter l’Histoire est un travail indispensable, et cela sans à priori, sans préjugés, sans tabou. Ne plus expliquer les faits par les textes, mais soumettre la critique des textes par les faits.

LA PROBLEMATIQUE CENTRALE

Elle est fort séduisante et peut se résumer : le capitalisme système d’exploitation asservi principalement la classe ouvrière qu’il spolie de plus en plus, la concentre dans les usines, en fait une force de contestation qui en s’organisant, prendra le pouvoir et instaurera une société sans classe débarrassée de toute exploitation.

Au premier abord rien que de très logique. C’est cette vision, avec quelques adaptations idéologiques, qui s’est imposé dès le 19e siècle.

Cette problématique a rapidement produit une nouvelle dimension de l’action politique : l’organisation. En effet, il peut apparaît logique que pour mener à bien cette action, forcément concertée, nécessitant des moyens logistiques, une organisation existe.

Or, toute organisation pose, et posera toujours deux problèmes : celui du pouvoir effectif et de son contrôle, et le détachement progressif de ses membres de la réalité qu’ils représentent... autrement dit pose le problème de ce que l’on nomme la bureaucratisation.

Cette problématique centrale va se déchirer dès le 19e siècle sur cette question et donner naissance à différents courants dont aucun d’entre eux ne réussira, au cours du 20e siècle à faire la preuve de la justesse de son choix.

Mais il y a plus grave : le système capitaliste n’a pas évolué dans le sens « prévu ».

« TRAHIS » PAR LA REALITE

Plusieurs facteurs imprévus, du moins dans leurs conséquences, vont entraîner la faillite de la problématique centrale.

La lutte des salariés, leur combat pour l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie, leurs revendications pour légaliser leurs organisations, vont, dans une certaine mesure, finalement aboutir.... entraînant non pas une aggravation des conditions des salariés mais une amélioration - augmentation du pouvoir d’achat, garanties sociales, légalisation des syndicats...

Pourquoi une telle évolution ? Parce que le système n’avait pas le choix, coincé dans ses Etats-nations industriellement développés, il devait pouvoir compter sur « sa » classe ouvrière qui représentait à la fois les producteurs et les consommateurs... et puis c’était l’époque où, à la tête de puissants empires coloniaux, le capitalisme avait les moyens de s’acheter la « paix sociale ».

Une telle situation a eu des conséquences incalculables, et en particulier l’effondrement de la problématique centrale. Même si « théoriquement » on parle toujours de « prise du pouvoir par les travailleurs », on ne passera jamais à la pratique dans les pays développés - cela même où devait, selon la théorie, se renverser, à brève échéance, le capitalisme ( ?). Les conditions de la classe ouvrière ne justifiant plus un passage en force pour l’accession au Pouvoir, la démocratie marchande ayant suffisamment donné de garanties (formelles et à peu de frais) quant à l’expression politique, on passera de la logique de la prise de pouvoir par la force à la logique de la prise de pouvoir par les urnes.

L’EXCEPTION SOVIETIQUE

On peut en effet parler aujourd’hui, d’exception, de parenthèse, à propos du « soviétisme »... et non d’une véritable alternative.

En effet, reprenant à son compte la « problématique centrale », les leaders soviétiques ont entraîné la Russie, plus tard la Chine,... dans une « marche forcée » vers ce qui devait être une « alternative au capitalisme » et qui s’est avéré être une impasse tragique. Pourquoi ?

La problématique centrale, inopérante dans les pays développés a été transposée mécaniquement dans des pays sous développés, croyant qu’ils constituaient des « maillons faibles » du capitalisme ( ?).

Sans préparation sociale, sans mise en place de structures de transition permettant d’établir une dualité économique, et par conséquent de pouvoir, par une simple pression idéologique, appuyée par une logistique militaire, une minorité, au regard de la population a fait une « révolution » qui s’est en fait avéré être un magistral et spectaculaire « coup d’Etat ». L’appareil du parti prenant le pouvoir et prétendant « faire le bonheur du peuple » a instauré un « ordre social nouveau »

Cette démarche s’est révélé rapidement absurde, irresponsable et à l’origine d’un véritable désastre social et politique... ceci étant aggravé par une situation internationale particulièrement défavorable (intervention étrangère).

Non contents d’assumer cette catastrophe, les « théoriciens révolutionnaires » du monde entier vont inciter les pays - sous développés - en voie de décolonisation à prendre la même voie qui finira inéluctablement dans le même désastre.

L’alchimie fatale, concoctée par ce que l’on appellera à l’époque le « mouvement communiste international » ruinera toute alternative au système marchand qui reprendra à la fin du 20e siècle toute la vigueur que nous lui connaissons aujourd’hui.

POURQUOI CET ECHEC ?

La raison tient probablement à une conception erronée de la « dialectique de l’Histoire », et remet évidemment en question la « problématique centrale » de départ.

Il n’y a aucun exemple dans l’Histoire d’une rupture radicale permettant de passer subitement d’un mode de production à un autre.

Il n’y a aucun exemple dans l’Histoire d’un changement de mentalité, de comportement de populations entières qui font leur des principes nouveaux de fonctionnement social.

Or, la problématique centrale est de fait fondée sur cette croyance. Ceci vient du fait qu’il y a une surdétermination aberrante de la logique de l’esprit humain qui consiste à croire que « si on veut le mieux, on le peut immédiatement », que l’adaptation et la mise en place de structures radicalement différentes peut se faire quasi instantanément si cette action est dirigée par une structure politique (le parti) qui en garantie la réalisation.

Une telle conception peut apparaître cohérente et satisfaisante sur le papier,... dans la réalité ça ne marche pas, et toutes les tentatives ont échoué.

Une société humaine ne se construit pas comme un moteur, c’est-à-dire en agençant logiquement des pièces en vue d’un mécanisme précis. Les relations sociales, les rapports sociaux sont le produit d’une évolution, d’une pratique sociale qui prend du temps (et oui !), passe par des échecs et des succès.

Ce n’est que lorsque l’ancien système est obsolète, a développé ses contradictions au point d’être insupportables et que les nouvelles structures sont opérantes, sont acceptées que le passage à un « autre monde » est possible.

Toutes les expériences de changement social au 20e siècle on fait fi de ces conditions, elles ont toutes brûlé les étapes et ont lamentablement échoué.

Toutes les stratégies des organisations politiques « révolutionnaires », altermondialistes, et autres fonctionnent, aujourd’hui, à quelques détails près sur ce modèle aberrant.... remplaçant la prise du pouvoir central par la violence (qui a échoué), par la prise du pouvoir central par les urnes (qui échoue toujours aussi systématiquement.

Si tout ceci est exact nos tâches sont claires :

déconstruire la vision naïve et simpliste que nous avons de l’Histoire héritée du 19e siècle,

- reconnaître, en dépit de toutes nos réticences, du moins de celles de certains, l’échec total de cette vision et les catastrophes qu’elle a entraîné ;

- repenser la « dialectique de l’Histoire » et y adapter une nouvelle stratégie.

Mars 2008


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