Grève et manif lycéenne en direct du lycée Jean Jaurès de Montreuil

vendredi 18 avril 2008.
 

1) Le mouvement lycéen en direct du lycée Jean Jaurès de Montreuil (93).

Par Asta Dembele, 19 ans et Marion Lefebvre, 17 ans, élèves en terminale au lycée Jean Jaurès de Montreuil (93)

La mobilisation au lycée Jean Jaurès de Montreuil a commencé par la traditionnelle Assemblée Générale, nous sommes fin Mars, tous dans la cour, il fait froid, on nous informe de la dernière trouvaille du gouvernement pour faire des économies : supprimer des postes dans l’éducation nationale, majoritairement de professeurs. Evidemment tout le monde est d’accord pour bloquer les jours de grande mobilisation nationale, et certains ont déjà peur que cela tourne en blocage continu, et que la préparation au bac se fasse plus difficilement que prévu...

(a) « Touche pas à mon prof ! »

Nous avions déjà été informés des 11.200 suppressions de postes par les professeurs, raison pour laquelle ils avaient déjà fait grève quelque peu avant le lancement du mouvement lycéen. Le jeudi de la même semaine, nous partons donc tous en manifestation, professeurs et élèves, nous sommes malheureusement moins nombreux que la veille à l’AG, mais toujours décidés à faire changer d’avis le gouvernement.

La semaine d’après le lycée est bloqué, du lundi au vendredi, une campagne d’information est faite auprès des élèves, ils prennent conscience du danger qui les guette : pas de place pour les redoublants, risque d’un changement de lycée au cours de leur scolarité, suppression d’options, classe surpeuplées... C’est à ce moment là que le mouvement a pris d’avantage d’ampleur, ainsi que les manifestations où se retrouvent de plus en plus de lycéens venus de tous les établissements parisiens, même ceux qui ne sont d’habitude pas des nôtres pour protester... En réponse à ces manifestations grandissantes, Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale, continue de minimiser les faits et à répondre par des chiffres à des lycéens qui contestent la réalité de l’enseignement du secondaire. La colère monte ; le gouvernement ne nous écoute pas. Nous voyons les médias commencer à s’intéresser au mouvement, même si ils paraissent plus à l’affût d’images de casseurs qui se font arrêter qu’intéressés par nos revendications.

Au lycée Jean Jaurès, nous décidons de mener quelques actions ponctuelles, ainsi nous allons au rectorat, accompagnés de nos professeurs, tenter désespérément d’obtenir un rendez-vous avec le recteur ou l’un de ses représentants. C’est peine perdue, nous apprenons qu’il accepte de recevoir des représentants du lycée seulement en présence de la proviseure de l’établissement, avant de se rétracter en ne disant qu’il ne recevra personne...

(b) « Nous avons peur que notre lycée se ghettoïse »

Le 10 Avril, la mairie nous prête une salle chauffée avec micro et chaises afin d’organiser une véritable assemblée générale où tout le monde arrivera à s’exprimer sans avoir à se casser la voix. Le micro passe de mains en mains et chacun exprime son opinion sur le mouvement, ses idées pour d’éventuelles actions à mener pendant la semaine, des élèves de la khâgne de notre lycée se proposent d’aider les élèves en difficulté scolaire qui ont du mal à travailler sur les nombreux polycopiés que nous donnent les professeurs afin de rattraper le retard. Beaucoup sont angoissés par le manque de cours, certains veulent un blocage filtrant, d’autres ponctuel... Un vote est organisé, c’est le blocage continu qui est majoritaire, avec une action organisée tous les jours, tout le monde est d’accord pour dire que le blocage est inutile si il n’est pas accompagné d’une mobilisation le même jour.

Dans le même temps, la proviseure du lycée, des représentants de parents d’élèves, de professeurs et d’élèves reçoivent un représentant du rectorat, qui se qualifie lui-même de « messager aux mains vides ». Il est officiellement là seulement pour écouter nos revendications, il n’a aucun pouvoir de décision, il nous garantit tout de même un maximum de 30 élèves par classes en seconde. Cependant nous apprenons qu’ils misent

sur un taux de 98% de réussite au bac, alors qu’il dépasse rarement les 80% dans notre lycée... Nous sommes consternés, ces chiffres nous paraissent totalement irréalistes, le redoublement est un droit et en cas d’échec au bac il nous sera impossible d’aller dans un autre lycée parce qu’ils sont dans la même situation.

De plus, ces réductions de postes s’accompagnent de la suppression des secteurs scolaires : les établissements seront mis en concurrence afin d’attirer les meilleurs élèves qui auront dorénavant pleinement le choix de leur lycée et se rueront sur les meilleurs parisiens, les établissements du 93 sont souvent peu prisés par les bons élèves car victimes de leur réputation, pourtant c’est l’académie de Créteil qui est la plus touchée par la réduction des postes. Nous avons peur, peur que notre lycée devienne un lycée de dernier choix, qu’il se « ghettoïse » ... Pour lutter contre cela, il doit garantir une grande diversité d’options, des classes aux bas effectifs, ou du moins pas surpeuplées, et non des demi groupes à 24 élèves alors que les salles spécialisées ne peuvent en accueillir que 18 et des options qui changent chaque année selon le nombre d’élèves qu’elles attirent. A la suite de cette AG, d’avantage d’élèves encore décident de s’impliquer dans le mouvement.

(c) “Ca tourne mal :4 élèves en comparution immédiate”

Nous en sommes déjà à la troisième semaine de mobilisation quand une action tourne mal : en apprenant que le recteur n’envisage pas de revenir sur sa décision, nous décidons d’aller au rectorat, munis d’œufs et de tomates, tout comme l’ont fait d’autres lycéens avant nous. Mais étonamment ce n’est pas le recteur qui nous reçoit, mais un convoi de CRS : ils attrapent avec violence six de nos camarades, dont un du lycée Condorcet de Montreuil, et se lancent à la poursuite du reste des lycéens. Quatre élèves passent en comparution immédiate et passent la nuit au poste, nous trouvons la réaction de la police démesurée par rapport à nos actes, nous avons tous eu très peur et sommes choqués de la violence avec laquelle ils agissent, certains dénoncent l’ « Etat Sarko ». Le lendemain nous sommes devant le tribunal de Créteil pour les soutenir, les professeurs arrivent en ordre dispersé ainsi que quelques parents d’élèves, nos camarades sortent finalement fatigués par une nuit très courte et passée dans de dures conditions. Le jugement est reporté pour le mois de Juin. Nous serons là.

Le lundi suivant nous nous sommes résolus à mener des actions moins risquées et allons simplement mener une campagne d’information par des tracts dans Montreuil. Il est difficile de trouver une action qui attire l’attention et qui comporte peu de risque, nous ne voulons pas être inutiles, rater des cours est pour nous, et spécialement pour les terminales, un sacrifice et non un divertissement comme certains aiment à le penser, nous voulons donc mener des actions efficaces. Nous essayons de contacter la presse qui s’intéresse d’avantage à ce mouvement.

Mardi, grande manifestation, nous sommes de plus en plus nombreux et il est plaisant de voir un grand nombre de lycées se rallier à la cause commune, nous sommes tous là pour la même chose : dire non au démantèlement de l’éducation et oui à la préparation de notre avenir et de celui du pays tout entier, se battre pour conserver une scolarité décente, se battre pour que l’argent de notre Etat ne s’écoule pas seulement dans les lois telle que le paquet fiscal, nous ne voulons pas vivre dans la peur de l’avenir, et souhaitons pouvoir continuer à suivre des enseignements aussi variés que le théâtre, la musique, l’arabe, le portugais, le russe, sans craindre de les voir disparaître l’année d’après.

Il nous paraît important de signaler qu’il n’y a pas de syndicats lycéens dans notre lycée et la mobilisation est véritablement née chez les élèves et non orchestrée par les syndicats et partis politiques comme le pense Xavier Darcos.

(d) « Le lycée est bloqué mais nous recherchons devoirs et corrigés »

Le problème récurrent qui se pose à chaque mouvement lycéen (et nous en avons l’habitude à Jean-Jaurès) est l’alliance entre cours et blocage, il est difficile de répondre aux angoisses des terminales qui voient le bac approcher à grand pas, nous essayons de rencontrer les professeurs devant le lycée, pendant les manifestations afin de recevoir les devoirs et leurs corrigés... Pour certains, poser ce problème c’est penser sur le court terme et nos motivations doivent être les conditions de travail des générations suivantes, c’est lutter contre la destruction par le gouvernement du fondement même de notre société : l’éducation, le développement de l’esprit critique face au travail, face au monde qui nous entoure, face aux politiques, apprendre à ne pas rester passifs devant les changements de notre société, à ne pas devenir docile. Le bac est bien sûr quelque chose d’important mais l’école nous apprend beaucoup plus, elle nous apprend à devenir des citoyens, à être autonome face à nos choix et nous ne voulons pas qu’elle abandonne ce rôle majeur. C’est à nous aujourd’hui de dire non à ces politiques, non à ces méthodes et non à la perte de savoir, réjouissons-nous que la jeunesse soit actrice de son pays, qu’elle se mobilise et qu’elle se sente profondément concernée par les changements qui affectent le quotidien de tous les français. Nous ne sommes pas de simples télespectateurs, nous avons d’autres envies que celles que l’on nous vend à la télévision, qui peut s’en plaindre ?

Aujourd’hui, contrairement aux mouvements avec lesquels certains essaient de nous comparer comme Mai 68, nous ne nous battons pas pour obtenir de nouveaux droits, mais pour préserver ceux que nous pensions avoir acquis par les mobilisations précédentes, pour pouvoir baser notre avenir sur un socle plus solide que celui que l’on nous propose actuellement.

« La connaissance est une arme » et c’est la seule pour laquelle les hommes politiques ne se battent pas, c’est à nous de la sauver.

2) En direct de la manifestation du mardi 15 Avril à Paris.

Par Marion Lefebvre (17ans), lycéenne au Lycée Jean Jaurès de Montreuil (93)

Le rendez-vous est donné à la mairie de Montreuil à 13 heures, comme d’habitude, des élèves des trois lycées de la ville sont là, on est encore plus nombreux que la dernière fois et on en est tous ravis.

Après avoir attendu les retardataires (d’accord, j’en faisais partie) on décide de marcher deux stations plus loin pour manifester dans Montreuil, je n’ai pas bien compris si c’était totalement improvisé ou non, mais ça le paraissait, des policiers nous tracent le chemin et c’est plutôt agréable. Les gens nous regardent interloqués, on crie des slogans et on se met dans l’ambiance, mais arrivés à la bouche de métro, les policiers ne laissent entrer qu’un groupe d’élèves prétextant qu’il ne faut pas bonder la rame... résultat on se retrouve tous une station plus loin, on crie, on chante, on se promet de ne pas se perdre et de rester ensemble...

Sortis du métro à République on s’éparpille tous, une dame me demande dans le couloir ce que nous faisons là, elle n’avait vraiment pas l’air de connaître l’existence du mouvement lycéen, moi qui pensais qu’on commençait à beaucoup en parler... Bref, j’essaie de retrouver le cortège « Montreuil » et c’est parti, on se casse la voix pendant une demi-heure devant une jeune fille qui s’égosille avec un mégaphone, on retrouve les professeurs, ce sont très souvent les même que l’on voit, eux sont plus calmes et se contentent de marcher panneaux à la main.

Nous sommes tous impressionnés par le nombre de manifestants, on monte sur des poteaux et on ne voit ni le début ni la fin de la manifestation, et puis il y règne une ambiance bien plus festive que les premières manifestations où il y avait une majorité de profs et qui ressemblaient d’avantage à une marche funèbre qu’à une manifestation de lycéens révoltés... Là, il y a des djembés, de la musique, des gens qui chantent, il y a une petite concurrence entre les lycées et on entend crier c’est « C’est à Montreuil, qu’on gueule qu’on gueule... ».

Avec des amis, on s’écarte du troupeau Montreuillois pour aller faire un petit tour dans la manif, on voit quelques personnes un peu louches qui ont l’air plus intéressés par les portables des lycéens que par les suppressions de poste, mais pas énormément, en tout cas moins que pendant les manifestations contre le CPE. Les CRS sont plantés au bord la route prêts à dégainer matraques, flashball et bombes lacrymo, on entend défiler les slogans, toujours très raffinés mais pas très variés d’une année sur l’autre, ainsi on entend le traditionnel « Darcos, si tu savais, ta réforme où on s’la met ... », ou encore l’éternel « Tous ensemble tous ensemble, grève ! Grève ! », le plus récent « Un pas en avant, trois pas en arrière, c’est la politique du gouvernement » et certains plus innovants comme « Rendez-nous nos postes, pas d’élève au poste ».

Les élèves rivalisent d’ingéniosité sur les panneaux et les banderoles, je me souviens d’un notamment « On a bezoin 2 lé zenseignant », plusieurs ont dessiné des caricatures de Xavier Darcos ou de Nicolas Sarkozy, une professeure porte un panneau sur elle « Remplaçante depuis 5 ans ». Un lycée arbore une banderole « Mai 68 - Mai 2008 » malgré un certain ras-le-bol de l’association de chaque mouvement de jeunes depuis 40 ans à Mai 68, comme si l’on n’avait qu’une seule référence, comme si la jeunesse n’avait pas changé depuis 40ans, a-t-on vraiment envie de faire la révolution ? En tout cas pour l’instant on est là pour préserver les postes de l’éducation nationale, pas pour changer les mœurs.

On continue le tour de la manifestation et on arrive au cortège du Mouvement Jeune Socialiste qui est juste à côté de celui de la Jeunesse communiste, les deux ont tout prévu comme d’habitude : sono à fond, animateur qui lance les slogans et anime les foules... La compétition est visible entre les deux cortèges, ils sont très proches l’un de l’autre, et il est difficile d’entendre l’un car l’autre est constamment en fond sonore, les jeunes sont déchaînés, en musique on passe de Kenny Arkana à Louise attaque en passant par David Guetta...

Certains portent des drapeaux de l’Algérie, de la Tunisie, du Sénégal, comme dirait un jeune dans la foule « C’est la coupe d’Afrique ou quoi ? », j’ai beaucoup de mal à comprendre cette mode du nationalisme, est-ce qu’ils ont seulement compris pourquoi ils sont là ? On est là pour défendre l’éducation, quel rapport avec leur pays d’origine ? Si quelqu’un a une réponse à m’apporter, je suis toute ouïe.

Les caméras sont nombreuses et les lycéens se pressent devant elles, les questions des journalistes sont toujours les mêmes : « Pourquoi êtes-vous là ? Qu’est-ce que ça va changer pour vous ? Vous avez peur pour votre avenir ? », et les réponses sont aussi peu variées que les questions.

On retrouve finalement notre cortège originel, les professeurs nous conseillent de partir un peu avant la fin de la manifestation pour ne pas être pris dans des affrontements, nous suivons sagement leurs recommandations. J’apprends au journal télévisé que nous étions 20.000 selon la police et 50.000 selon les organisateurs, il faudra un jour m’expliquer pourquoi il y a une telle différence dans les chiffres, en tout cas nous sommes de plus en plus nombreux et Darcos ne peut plus continuer à le nier.

Le prochain rendez-vous est jeudi pour la dernière manifestation avant les vacances, je ne sais pas si le mouvement continuera pendant celles-ci, c’est certain qu’il sera plus difficile de mobiliser, d’informer et d’arracher les lycéens à leurs lits, mais ce qui est sûr c’est que le gouvernement craquera avant nous !


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