Lutte de classes et institutions politiques (par Denis Collin)

mercredi 30 avril 2008.
 

CONTRIBUTION AU COLLOQUE D’UTOPIE CRITIQUE DU 19 AVRIL 2008

Une des grandes faiblesses de la tradition socialiste et communiste a toujours été le manque d’attention aux institutions politiques proprement dites et aux questions constitutionnelles. En France, le poids de la tradition anarcho-syndicaliste s’est ajouté à l’indifférence coutumière des marxistes en ce domaine. Après tout, quelle qu’en soit la forme, nous avions affaire à une domination de classe ! Inversement, dès lors que la lutte des classes cessait d’être le fil directeur de la pensée des socialistes, l’adaptation aux formes les plus plates du parlementarisme devait servir de doctrine et quand le parlementarisme fut passé de mode, c’est derrière le bonapartisme abâtardi que se rangèrent les « sociaux-démocrates ». À rebours de la tendance longue des organisations et partis traditionnels, il est nécessairement de proposer quelques principes de la construction d’une nouvelle république, d’une république sociale.

POURQUOI LA QUESTION DES INSTITUTIONS POLITIQUES SE POSE À NOUS

C’est par cette question qu’il faut commencer. En effet, si on croit qu’après la grève générale commencera la société sans classes et sans État ou si on croit qu’après l’insurrection révolutionnaire victorieuse, une courte phase de dictature du prolétariat enclenchera le processus de passage au socialisme via un « État dépérissant », alors, effectivement la question des institutions politiques est à peu près dépourvue d’intérêt. Si au contraire on pense qu’à un horizon humain pensable, les conflits sociaux sont à peu près inévitables parce que la société d’abondance donnant à chacun selon ses besoins est une douce utopie, alors il faut réfléchir aux règles optimales de répartition des richesses et des positions de pouvoir et il faut donc penser à la forme politique, c’est-à-dire à l’État chargé de mettre en œuvre ces règles.

La deuxième bonne raison pour placer au centre de la réflexion les questions institutionnelles tient à l’évolution même du capitalisme et des grands États capitalistes. On sait qu’au moment de la « chute du rideau de fer », les idéologues, plus ou moins stipendiés, annoncèrent le triomphe simultané de la démocratie et du capitalisme, réconciliés dans la « fin de l’histoire ». Il n’en évidemment rien : le capitalisme dans sa phase actuelle s’accommode très mal de la démocratie, parce que celle-ci, aussi dévoyées que soient les formes de son existence concrète, contient encore en elle-même l’idée que le peuple puisse contrôler le gouvernement et éventuellement décider de son propre sort sans demander leur avis aux seigneurs des classes dominantes. En fait de démocratie, nous avons vu un développement sans précédent des techniques de contrôle des populations, des techniques de surveillance policière et la mise en coupe réglée de toutes les formes de contestation sociale. Et à la place du gouvernement, on a inventé un gouvernement apolitique, la « gouvernance », qui s’applique non plus à des corps politiques mais à des « territoires ». Cette idéologie de la gouvernance et des territoires est, du reste, l’idéologie dans laquelle communient les penseurs à gage du capital financier et les « socialistes » modernes qui n’ont jamais tant mérité le nom dont les affubla jadis Jean-Pierre Garnier de « deuxième droite ».

La troisième bonne raison de nous poser enfin sérieusement la question des institutions politiques tient au fait que, comme l’avait déjà soutenu Marx contre les anarchistes, la lutte de classes est une lutte politique et que, par conséquent, premièrement, les prolétaires dans leur lutte, sont loin d’être indifférents aux formes politiques dans lesquelles ils mènent leur combat et que, deuxièmement, la question de la république est aujourd’hui un des questions centrales autour desquelles se nouent l’ensemble des conflits sociaux et politiques.

QUE DEVONS-NOUS ATTENDRE D’UNE TRANSFORMATION RADICALE DES INSTITUTIONS POLITIQUES ?

Il est impossible de reconstruire un programme pour une gauche digne sans que soit mise au centre de la réflexion et de l’action politique la lutte pour la liquidation de toutes les institutions de la Ve République. Il faut ici dénoncer clairement toutes les politiques de « toilettage » institutionnel qui ne visent qu’à préserver l’essentiel de l’édifice issu du coup d’État gaulliste de 1958.

Dans la perspective d’une transformation sociale radicale, les institutions politiques doivent remplir deux fonctions essentielles :

1) Favoriser au maximum l’activité politique des plus larges masses et soumettre la vie publique au contrôle d’un peuple qui s’éduque progressivement dans les conflits qui l’opposent aux classes dominantes. Il ne s’agit pas de viser une démocratie impossible directe, mais de redonner le plus largement possible sa place au principe électif et ce à tous les niveaux. Il s’agit aussi de soustraire le débat public à l’influence des puissances financières et des médias à leur solde en recréant les conditions d’une véritable liberté de la presse.

2) Créer et développer un système de lois et d’institutions de base qui visent à protéger les citoyens contre la domination. Il s’agit d’abord de défendre, restaurer, et développer tout ce qui figure sous le chapitre des droits sociaux (notamment, même si c’est de façon assez formelle, ceux qui figurent dans le préambule de la constitution de 1946 annexé à la présente constitution). Il s’agit aussi de permettre que commence à s’organiser, sous des formes adaptées et en s’appuyant non sur les décrets administratifs mais sur l’action populaire, la mise en place de nouveaux rapports sociaux de propriétés - notamment ce qui a été travaillé depuis plusieurs années par certains chercheurs sous le nom « d’appropriation sociale »

Il ne s’agit donc pas de fait retour à une république mythique, la IIIe ou la IVe, dont il faudrait réhabiliter les vertus en oubliant qu’elles furent aussi des républiques coloniales et bien peu des républiques sociales. Ce que nous voulons, c’est promouvoir des changements institutionnels vers une république sociale, dénomination compréhensible très largement de la vieille aspiration socialiste et communiste.

L’INDÉPENDANCE DES SYNDICATS

Pour commencer par le commencement, on doit rappeler que les formes modernes des gouvernements « bourgeois » ont un objectif fondamental : intégrer le mouvement ouvrier à l’organisation d’ensemble de la société bourgeoise. Quand le gaullisme instaure sa domination politique en France, son objectif n’est pas seulement de mettre sur pied un gouvernement stable sous l’autorité de « l’homme de la nation ». Il s’agit d’en finir avec cette horrible lutte des classes qui divise la nation. La « participation » a pour but d’intégrer les ouvriers au capitalisme en versant une part de leur salaire sous forme d’intéressement aux bénéfices de l’entreprise, les conduisant à faire de la production maximale de plus-value quelque chose dont ils peuvent tirer parti. Marché de dupe évidemment : la « participation » qui retombe dans les poches des ouvriers n’est qu’une infime part de la plus-value totale et de surcroît elle est, le plus souvent, immobilisée sur des fonds spéciaux qui aboutissent à faire financer une partie des besoins en capital par le salaire des ouvriers.

Mais si la participation n’a été qu’une opération idéologique finalement assez limitée, son « esprit » a imprégné tous les rapports sociaux. Faute d’avoir pu domestiquer les syndicats - la grande grève des mineurs de 1963 a montré que la voie de l’affrontement brutal (que Mrs Thatcher a empruntée avec succès au début 1980) était bloquée. C’est pourquoi le régime de sa Ve république a misé sur une intégration en douceur des syndicats au travers de structures associant les dirigeants syndicaux à l’élaboration des « réformes » du mode de production capitaliste. La tentative la plus ambitieuse avait été celle Chaban-Delmas, secondé à cette époque par Delors, qui voulait sous couvert de « nouvelle société » lier les revendications salariales à la progression du chiffre d’affaire des entreprises. Même si les « contrats de progrès » se sont vite enlisés pour laisser la place à des négociations syndicales classiques, l’orientation des gouvernements successifs n’a guère varié. Les récentes « négociations » sur le contrat de travail aboutissant à un accord avec le MEDEF pour mettre en place le licenciement « à l’amiable » illustrent parfaitement cette démarche : les syndicats sont invités à se mettre autour d’une table pour négocier la mise en pièce des acquis sociaux.

Si l’on veut engager la lutte pour sortir de la Ve république, la première des tâches est donc de revendiquer l’indépendance totale des syndicats vis-à-vis de l’État, du gouvernement, des partis, des églises. Ce qui implique de dénoncer les accords obtenus dans ces conditions, notamment l’accord sur la « flexibilisation » du contrat de travail. Il faut définitivement mettre hors jeu toutes les institutions reposant sur l’association capital-travail, c’est-à-dire toutes les formes de corporatisme, un corporatisme d’autant plus virulent qu’il est l’essence même de la doctrine sociale de l’Union Européenne.

LA LAÏCITÉ

Le deuxième axe d’une politique ne nécessite pas qu’on s’y étende beaucoup : la laïcité va de soi ou presque. La séparation des églises et de l’État doit être défendue sans relâche au moment où le chanoine de Saint-Jean-de Latran ne fait pas mystère de ses liens avec l’appareil de l’Église catholique et en particulier ses fractions les plus réactionnaires. Mais si la protestation contre le cléricalisme sans fard du président de la république est très largement reprise, il n’en va pas de même concernant les remises en cause sournoises de la laïcité. Sous couvert de « laïcité ouverte », les hiérarchies religieuses sont invitées un peu partout à reprendre pied dans l’espace public. Elles sont même de plus en plus fréquemment désignées comme les interlocuteurs privilégiés pour tout ce qui concerne « les questions de société ».

Remarquons que les protestations de laïcité des partis de gauche et même d’une certaine extrême-gauche sont quelque peu hypocrites. La gauche au pouvoir n’a rigoureusement rien fait pour défaire les lois anti-laïques qui se sont accumulées depuis les lois Debré. Bien au contraire, les accords Lang-Cloupet de 1992 ont entériné la place officielle de l’enseignement catholique dans le système d’enseignement français. Nombreux sont les dirigeants de la gauche officielle qui souhaitent aller dans le sens d’une plus grande « reconnaissance du fait religieux » et pas seulement sur le plan des programmes scolaires. Quant à l’extrême-gauche, en certaines de ses franges, elle trouve des vertus révolutionnaires à l’intégrisme islamique et on a même vu un élu régional sur une liste PCF (Mouloud Aounit) réclamer l’instauration d’une loi punissant le blasphème.

EN FINIR AVEC LE POUVOIR PERSONNEL

La Ve république a été construite, par son fondateur, comme une république assise sur le pouvoir personnel, le pouvoir de « l’homme de la nation ». Dans son essence cette vision de la république est antirépublicaine. Le gaullisme est une monarchie plébiscitaire, tant par les pouvoirs que par le mode d’élection du président de la république.

Il faut dénoncer le caractère prétendument démocratique de l’élection du président au suffrage universel. Un Parlement composé de plusieurs centaines de députés, investis par des partis différents peut représenter la nation. Un homme seul ne peut représenter que la moitié de la nation. Les pouvoirs étendus du président donnent une bonne idée de ce que les auteurs classiques redoutaient quand ils mettaient en garde contre la tendance de la démocratie à devenir la « tyrannie de la majorité ». Toutes les propositions, largement défendues à gauche (Chevènement, Lang, etc.), en faveur d’une évolution présidentialiste ne feraient qu’accentuer cette dérive monarchique. Au fond la présidentialisation du régime, nous l’avons déjà avec Sarkozy.

L’exemple américain ne doit pas nous induire en erreur. Quand les États-Unis ont institué leur régime présidentiel, c’était dans un contexte où le pouvoir exécutif central restait très faible. Il n’est pas seulement contrebalancé par le congrès mais aussi par les larges pouvoirs dévolus aux États membres de l’Union. Le système ne fonctionne en outre que par l’existence d’un large consensus entre les deux grands partis, étouffant maintenant, grâce à l’élection présidentielle, toute possibilité de régénération de la vie politique et interdisant aux courants les plus critiques de pouvoir prendre leur place dans la vie publique. Le système américain est celui d’une démocratie confisquée et il est assez curieux de voir quelques ténors de la gauche en faire leur source d’inspiration.

Nous pourrions très bien nous contenter d’un président décoratif comme le président allemand, si nous voulons absolument un président, ce qui n’est pas une obligation, après tout - Clemenceau avait eu quelques paroles fortes à ce sujet.

REVENIR À LA DÉMOCRATIE PARLEMENTAIRE

Le meilleur des régimes possibles, celui dont Marx disait déjà qu’il est la forme la plus adéquate pour réaliser le passage au socialisme et au communisme, est la démocratie parlementaire. À condition évidemment qu’elle soit véritablement démocratique, ce qui exige

1) Que le parlement ait la pleine maîtrise de son ordre du jour et de ses sessions.

2) Qu’il dispose de tous les pouvoirs de contrôle et d’investigation.

3) Qu’il soit véritablement représentatif, ce qui suppose l’élection à la proportionnelle. La formule qu’avait instituée la gauche en 1986, une proportionnelle sur une base départementale permettait une représentation nettement plus démocratique que le scrutin majoritaire tout en favorisant les regroupements et en limitant l’émiettement du champ politique.

4) Que le gouvernement soit responsable devant le Parlement.

On alléguera que l’instabilité d’un régime parlementaire est préjudiciable à la démocratie parce qu’elle ne permet pas véritablement la mise en œuvre d’une politique voulue par la majorité. Il suffirait, par exemple, d’introduire une clause stipulant que le Parlement ne peut pas renverser le gouvernement sans disposer d’un programme, d’une majorité et d’un chef du gouvernement de rechange. Revivifier la démocratie parlementaire, demande également un raccourcissement des mandats. En règle générale, d’ailleurs, les mandats ne devraient pas excéder quatre ans.

L’idée républicaine est inséparable, historiquement, de la théorie de la séparation des pouvoirs. Il est indispensable s’assurer véritablement l’indépendance du pouvoir judiciaire et du pouvoir politique et, particulièrement, en coupant le lien entre l’exécutif et le judiciaire. Mais il apparaît aujourd’hui d’autres pouvoirs auxquels les pères fondateurs du républicanisme n’avaient pas pensé, notamment le pouvoir des grandes firmes et celui des médias. Il y a de nombreuses mesures simples qui permettraient d’assurer la séparation entre politique et finance et il est inutile de les énumérer toutes ici. De même on devrait pouvoir assurer l’indépendance des grands médias (audiovisuels ou écrits) en les « nationalisant » pour remettre leur gestion, en pleine indépendance, à des sociétés de rédacteurs ou des coopératives.

LA DÉMOCRATIE À TOUS LES NIVEAUX

Il n’y a pas de république si les institutions ne sont pas républicaines de la base au sommet. On a assisté depuis quelques années et, paradoxalement, sous le couvert de la décentralisation, à une transformation profonde de l’organisation territoriale. Aux communautés politiques on substitue une « gouvernance » des « territoires » à géométrie variable, dessaisissant les communes, premier échelon de la liberté des citoyens, de leur pouvoir au profit d’institutions ouvertes aux « acteurs de terrain » comme les « pays » ou des organisations élues au second degré, les communautés de communes ou d’agglomération. Il est nécessaire de redonner à la commune son plein pouvoir quitte à favoriser les regroupements de communes sur la base du volontariat. D’autres formules pourraient être imaginées, mais dans tous les cas, c’est le suffrage direct qui doit dominer et, avec lui, la plus large participation des citoyens aux affaires locales, ce qui est impossible si on substitue au gouvernement local de lourdes machineries bureaucratiques.

En même temps et à condition que l’unicité des lois, des statuts et du recrutement des fonctionnaires soit garantie sur l’ensemble du territoire national, on pourrait donner une plus grande autonomie aux communes, aux départements et aux régions. Parce qu’il s’agit d’institutions plus proches des citoyens, elles sont souvent plus sensibles à leurs revendications sociales que le gouvernement. Enfin, il faudra mettre à bas tous l’édifice des lois liberticides (lois anti-terroristes, lois sécuritaires en tous genres) dont les derniers gouvernements de droite se sont fait une spécialité.

LES INSTITUTIONS SOCIALES

L’histoire de notre pays nous a légué des institutions originales. La plus importante en est la sécurité sociale. Gérant le salaire différé, cette institution devrait être sous le contrôle exclusif des représentants des travailleurs. Il y a aussi, tant qu’on est dans une société dominée par le mode de production capitaliste, quelques bonnes raisons pour conserver le paritarisme (la SS étant un lieu de confrontation/négociation entre patronat et syndicats). Son étatisation progressive, en tout cas, doit être condamnée, tant en ce qui concerne le budget de la sécurité sociale que les transferts vers la CSG ou une prétendue « TVA sociale ». Il est étonnant de voir comment les soi-disant libéraux défendent l’étatisation du système de santé : c’est qu’en réalité l’étatisation est conçue seulement comme une étape vers le démantèlement et la privatisation.

La défense de la sécurité sociale demande que les administrateurs y soient élus et à intervalle régulier par l’ensemble des cotisants. On bavarde beaucoup sur le droit de vote des immigrés, mais personne ne s’est vraiment ému de la mise en sommeil de la seule élection nationale majeure où les immigrés peuvent voter en tant qu’affiliés à la sécurité sociale.

La mise en œuvre d’un projet de transformation sociale incluant la transformation des rapports de propriétés exige la nationalisation des secteurs stratégiques ou de ceux qui jouissent d’une situation de monopole ou encore de ceux qui jouent un rôle clé dans les services publics. Il faut donc inventer pour ce secteur public de l’économie un mode de direction qui ne soit pas la reconduction pure et simple du « capitalisme d’État » d’antan. Il n’est pas certain cependant que la gestion doive être syndicale, les syndicats ayant vocation à défendre les intérêts matériels et moraux des travailleurs et non à diriger les entreprises.

Il y a déjà eu des réflexions sur ce point et elles doivent se poursuivre, en s’appuyant sur l’expérience (celle des services publics, celle des coopératives ouvrières, etc.) et en explorant le champ des possibles. Quelles que soient les formes que prendront ces nouvelles institutions sociales, on doit partir du principe qu’elles seront largement indépendantes du gouvernement et représenterons, comme la sécurité sociale devrait le faire aujourd’hui, autant d’éléments de répartition large des pouvoirs, seule garantie dont on dispose pour empêcher le pouvoir de devenir un pouvoir absolu.

« LA SOUVERAINETÉ RÉSIDE ESSENTIELLEMENT DANS LA NATION... » Évidemment les meilleurs projets n’ont de sens que si la nation est libre. Un citoyen ne peut être libre que dans une république libre. Il n’y a pas de nouvelle république possible en France si on reste dans la cage d’acier de la construction européenne. Il ne s’agit pas de revenir au « concert des nations » à l’ancienne mais de penser l’Europe non comme l’organisation de la gouvernance mais bien comme une confédération de nations libres. Il faut donc tourner le dos aux traités de Maastricht, Amsterdam et Lisbonne pour ne prendre que les dernières calamités que nous ont imposés les européistes. Savoir s’il faut dénoncer purement et simplement ces traités ou les renégocier pour évoluer cette union de peuples libres, c’est finalement une question secondaire que dicteront les évènements. L’essentiel est de fixer la direction.

« Plutôt que se noyer dans des discussions tarabiscotées pour savoir la meilleure façon d’améliorer l’usine à gaz de la construction européenne actuelle, il est préférable de définir des objectifs politiques susceptibles d’être partagés par tous les peuples d’Europe. La paix d’abord. La première légitimité de l’unité des nations européennes, c’est, nous l’avons dit plus haut, la recherche de la paix. La paix entre les Européens bien sûr et la paix en dehors. Qu’on prétende construire une sorte de super-État alors même que ni la politique étrangère ni la politique de défense ne font l’objet du plus petit accord au sein de l’UE , c’est tout bonnement extravagant. (...) Si on veut construire véritablement l’Europe, il faut commencer par se mettre d’accord sur les grands axes d’une politique étrangère commune, c’est-à-dire signer un véritable traité de paix et de coopération entre Européens. Cela peut paraître bizarre, mais cette question a été finalement laissée de côté au moment de l’adhésion des nouveaux membres, puisqu’on a considéré que l’adhésion à l’OTAN devait valoir adhésion à la « paix européenne ». Pour sortir de cette confusion et éviter qu’une crise plus sérieuse que celle de la deuxième guerre du Golfe ne disloque l’Europe, il faut que tous les membres de l’Union sortent de l’OTAN (un pacte officiellement obsolète, puisque son ennemi principal n’existe plus !), et affirment solennellement que les Européens non seulement ne se feront plus jamais la guerre, mais encore refuseront toute intervention extérieure, à l’exception de celles qu’ils pourraient effectuer sous mandat de l’ONU.

Deuxième axe de réorganisation de l’Europe : abroger toutes les dispositions des traités qui s’opposent aux droits fondamentaux de chaque nation à vivre de la manière dont elle l’entend. Il s’agit d’en revenir à la souveraineté des nations, notamment dans le domaine des lois sociales, de la protection des travailleurs, de l’intervention de l’État dans l’économie. Les nationalisations, l’existence de monopoles d’État ne sont pas des affaires qui regardent l’Union. Les délégations de souveraineté peuvent évidemment être acceptées (on vient de le voir en ce qui concerne les affaires étrangères) mais elles ne doivent concerner que les affaires communes des diverses nations : liberté du commerce, stabilité monétaire, libre circulation. Les pouvoirs des juridictions européennes comme la cour de Luxembourg doivent être drastiquement limités. (...)

Troisième axe : développer la coopération pratique entre les nations européennes, autour de projets industriels, de l’aménagement des transports ou de projets de recherche cofinancés par les États, sur la base du volontariat. À l’intérieur d’une Union encore appelée à s’élargir, rien ne doit interdire les rapprochements plus poussés entre certaines nations (...). » [1]


[1] Denis Collin, Revive la République, pp 202-204


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