Notes sur la réunion "pour un nouveau parti anticapitaliste" organisée à Montreuil par la LCR (Nicolas Voisin, BN de PRS)

lundi 5 mai 2008.
 

Avec d’autres militants montreuillois de l’association Pour la République sociale, j’ai participé à une réunion publique organisée à l’initiative de la Ligue Communiste Révolutionnaire engagée pour la fondation d’un « Nouveau Parti Anticapitaliste ». Les militants de PRS n’ont pas d’ennemi à Gauche, en défendant l’idée d’une union sans exclusive de la gauche de transformation sociale. Nous prenons au sérieux ce que disent les autres forces de la gauche, y compris lorsque nous ne sommes pas d’accord. J’ai d’ailleurs souligné dans ma prise de parole que Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon savaient entretenir cette confrontation fraternelle, notamment depuis la campagne victorieuse du Non au TCE en 2005.

Voici quelques observations que j’ai pu faire dans cette réunion qui rassemblait près de 80 personnes.

Elargissement de la LCR ou recomposition politique ?

La première observation que j’ai faite est que - à part les représentants de la LCR - j’étais le seul représentant affirmé d’une force politique organisée de la gauche. Certes, je ne néglige pas la présence de trois ou quatre militants issus de divers groupes d’extrême gauche, ou d’une « fraction » de Lutte Ouvrière... mais on m’accordera que l’absence - notamment - de représentants montreuillois du Parti Communiste Français ou des Verts pose question s’il s’agit de discuter d’une perspective politique susceptible de transformer réellement la nature du paysage politique de notre pays.

Il faut néanmoins préciser qu’à la fin de la réunion, une date a été convenue avec les dirigeants locaux de la LCR pour une rencontre « officielle » avec PRS pour confronter sérieusement et avec précision les différents points de vue. Et j’ai appris à cette occasion qu’une rencontre de même nature était programmée entre la LCR et le PCF... J’ignore si la même démarche est prévue en direction des Verts.

Cependant, au cours de la réunion publique d’hier soir, un certain nombre d’intervenants ont souligné cette ambiguïté de la démarche : s’agit-il d’un simple élargissement de la LCR à des militants issus de la « société civile » ou s’agit-il d’une construction militante articulée avec une recomposition en profondeur de la gauche française ? Ces questions sérieuses - et même décisives - n’ont pas obtenu de réponse lors de la discussion d’hier.

Primauté du « mouvement », négligence des élections

La deuxième observation porte sur le rapport introductif d’une discussion que les organisateurs ont voulu diviser en deux parties : le constat de la situation sociale et politique d’abord, et la projet d’un nouveau parti anticapitaliste ensuite.

La militante LCR chargée d’introduire le 1er débat a choisi d’exposer essentiellement l’état des mouvements sociaux en cours (Lycéens, étudiants, fonction publique, mais aussi les grèves de « sans papiers »). Avec lucidité, elle a noté les difficultés à faire converger ces diverses mobilisations, dont les mots d’ordres, néanmoins, apparaissent de plus en plus politiques. Elle a caractérisé les divisions syndicales et politiques comme autant d’éléments n’aidant pas à cette convergence. Elle a conclu en démontrant l’attente des gens pour une force politique anticapitaliste exprimant des mots d’ordres clairs.

A ma grande surprise, elle a à peine évoqué les scores remarquables réalisés par les listes aux municipales auxquelles participaient la LCR, et n’a proposé aucune réelle interprétation de ces scores au niveau national, ignorant les cas (Montpellier ou Grenoble) où ces listes dépassent les 15% au 2ème tour, dans des conditions particulièrement instructives pour la gauche, ni même au niveau montreuillois où la liste « Ensemble contre la régression sociale et pour les solidarité » soutenue par la LCR a atteint 6,3% des voix au 1er tour.

Etonnante « impasse » sur le point d’appui politique que pourraient constituer les quelque 1600 citoyens montreuillois qui ont mis un bulletin de cette nature dans l’urne le 9 mars dernier... mais la suite de la discussion permet peut-être d’éclairer ce problème.

Des convergences sur le diagnostic social et économique

Je suis intervenu dans le débat pour interroger les initiateurs sur un certain nombre de questions, en commençant par souligner ce qui pourrait nous rassembler.

A PRS, nous sommes d’accord sur un diagnostic de la situation de la société. Nous appelons cela le « nouvel âge du capitalisme », caractérisé par la domination du capitalisme financier transnational qui déréglemente, précarise, appauvrit, pille les ressources naturelles, provoque des guerres... je n’ai pas développé, car je savais qu’avec l’assistance réunie hier soir, nous parlons là-dessus d’une même voix, en utilisant le même vocabulaire que certains « modernes » jugent horriblement « archaïque ».

J’ai continué en disant que dans tous les pays du monde, la société est brutalisée et que cela provoque - comme nous disons, à PRS - un « état d’urgence » économique, social et institutionnel. En France, cet état d’urgence se manifeste par exemple aujourd’hui avec la récession économique qui s’abat irrémédiablement, avec les manifestations sociales qui se multiplient, et avec la crise de la représentation politique d’une droite au pouvoir pendant encore 4 ans mais qui a été sanctionnée aux municipales et se trouve au plus bas des sondages.

Nous sommes aussi d’accord avec la conclusion que semble en tirer la LCR en proposant une nouvelle organisation politique. J’ai vu sourire les vieux briscard de la LCR lorsque j’ai résumé la situation en citant un grand ancien : « En bas, on ne veut plus être gouverné comme avant, en haut, on ne peut plus, ce qui manque, c’est l’élément subjectif : un parti ». Car c’est de cela qu’il s’agit. Et j’ai tenu à souligner que comme la LCR (apparemment du moins), nous ne sommes pas de ceux qui en politique flattent d’individualisme et la dépolitisation en proposant le temps d’une élection une vague mouvance « no-logo », dont on le citoyen ne connaît ni les principes fondateurs, ni le programme, ni même le fonctionnement. A Montreuil on connaît bien le phénomène...

Des nuances sérieuses sur l’observation de l’évolution de la gauche

Enfin, j’ai souligné qu’à PRS, nous établissons aussi un bilan critique de la sociale démocratie et du stalinisme du XXème siècle. Mais sensiblement différent du jugement simpliste, réducteur et sectaire fait par la LCR.

Sur l’histoire du stalinisme, il était inutile de développer notre position, encore qu’il fallait rappeler que nous ne versons pas comme d’autres le font dans l’anticommunisme, et que nous distinguons le projet communiste qui reste une belle perspective et le régime stalinien qui s’est effondré avec le Mur de Berlin. De même, il fallait dire que si le PCF était affaibli électoralement, il demeurait une force politique décisive.

Sur la stratégie social-démocrate du XXème siècle, j’ai dû préciser qu’à la différence de bon nombre de militants d’extrême gauche, nous reconnaissons le rôle très important que les partis socialistes (surtout en Europe) ont su jouer pour faire incontestablement progresser les droits sociaux et la démocratie dans une sorte de compromis social avec les capitalismes nationaux, adossés à l’épouvantail soviétique jusque dans les années 1980. Mais nous observons aujourd’hui lucidement que ce compromis n’est plus possible dans le nouvel âge du capitalisme, transnational et financiarisé. Faute d’imaginer une autre stratégie, les partis sociaux-démocrates ne font plus aujourd’hui qu’accompagner le libéralisme, quand il ne courent pas devant comme en Allemagne où le SPD gouverne avec la droite pour casser ce que le SPD a construit depuis 1945, en Grande Bretagne où le New Labour gouverne à la place de la droite, ou encore en Amérique Latine les gouvernement sociaux démocrates font tirer sur la foule.

De profondes divergences sur les contenus et la méthode pour la conquête du pouvoir politique

J’ai dit que pour un militant socialiste responsable (ou communiste, ou révolutionnaire) un parti est différent d’un syndicat. Un parti est un outil dont l’objectif n’est pas la seule « défense des intérêts des travailleurs », mais la conquête du pouvoir politique permettant la transformation de la société. Dans cette optique, le manifeste de PRS appelle à la refondation d’une gauche de transformation sociale, et appelle les différentes composantes de la gauche, aujourd’hui éparpillées et inutiles, à penser son unité sur quatre principes. J’ai conclu mon intervention en interrogeant les initiateurs de la réunion pour une « Nouveau Parti Anticapitaliste » sur ces quatre principes.

1er principe : pour PRS, une force politique nouvelle doit être clairement située à gauche, dans une perspective de rupture avec l’ordre libéral.

J’ai noté qu’a priori, il n’y avait pas de problème là-dessus entre nous. Il y a bien eu hier soir deux ou trois intervenants qui ont cherché à définir tout militant socialiste comme un social traître en puissance (on m’a même caractérisé comme un « agent de la bourgeoisie » !) mais l’assemblée était constituée pour la très grande majorité de gens sérieux...

2ème principe : pour PRS, une force politique nouvelle doit être gouvernementale. C’est-à-dire qu’elle participe aux élections en se fixant clairement l’objectif d’accéder partout où c’est possible aux responsabilités électives, pour participer aux majorités et transformer concrètement le quotidien de nos concitoyens, ou dans l’opposition pour combattre pied à pied les positions acquises.

Les réactions qui ont suivi mon intervention m’amènent à penser qu’il existe des divergences sur ce point. Il est vrai - comme je l’ai dit plus haut - que le rapport introductif de cette réunion avait fait l’impasse sur la question électorale. Pour ces camarades de la LCR, malgré la régularité des candidatures issues de ce parti à toutes les élections locales ou nationales, il semble que les élections ne soient encore considérées que comme une sorte de thermomètre vérifiant l’écho de la contestation sociale dont ils se font les chantres, et pas comme un moyen d’offrir un débouché politique concret aux aspirations de changement social des salariés-citoyens-électeurs. Cependant, ce mépris apparent pour la démarche élective n’était pas partagé par tous hier soir et j’ai aussi entendu certains militants qui partageaient avec PRS la volonté de construire une gauche gouvernementale.

3ème principe : pour PRS, une force politique nouvelle doit être républicaine. S’il doit exister un « Nouveau Parti Anticapitaliste » dans les prochains mois dans notre pays, dans quel cadre d’action se place-t-il pour transformer concrètement la société ? Nous, à PRS, nous connaissons ce cadre et nous le nommons : c’est la République sociale. C’est-à-dire le cadre républicain issu de la Révolution Française disponible aujourd’hui pour pousser le plus loin possible l’œuvre sociale révolutionnaire engagée en 1789, et poursuivie en 1848, 1871, 1936, 1944... Le « Nouveau Parti Anticapitaliste » propose-t-il les Soviets comme cadre d’action ? Quoi d’autre sinon ? Il faut en discuter !

Les réactions furieuses provoquées hier soir par le mot « république » chez certains militants révolutionnaires m’ont amené à préciser ce que j’entendais pas là : bien sûr, la « république » c’est aussi le mot qui sert à nommer les « Compagnies Républicaines de Sécurité », « l’ordre républicain et policier » de Sarkozy, la « Vème République » et d’autre choses encore dont nous ne sommes pas des admirateurs... Mais fondamentalement, comme Jaurès l’a compris (et comme Trotsky l’a salué... me suis-je permis de rappeler hier soir aux camarades de la LCR) la République c’est avant tout dans notre pays le principe de Souveraineté Populaire, celui de l’Intérêt Général défini par la Loi (ce qui diffère d’avec la république américaine qui ne fait qu’organiser la juxtaposition des intérêts particuliers ou communautaires...), celui de l’Implication Citoyenne. Bien sûr que le fonctionnement de la Vème République piétine tous ces principes... mais faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Pour toutes réponses à cette question, je n’ai surtout entendu hier soir que des généralités assez déconcertantes, des spéculations sur les embryons de « conseils citoyens » (ou ouvriers) que seraient aujourd’hui les assemblées générales des secteurs en lutte, et qui pourraient évoluer mécaniquement vers une forme de gouvernement révolutionnaire... Comme je crois sincères les militants qui racontaient ces âneries, je préfère croire que les promoteurs du « Nouveau Parti Anticapitaliste » n’ont pas véritablement réfléchi à ces questions. Mais ils devront bien y répondre un jour.

Je note cependant que certains militants de la LCR qui se sont aussi exprimés hier soir ont pour leur part entrepris ce travail de réflexion sur le cadre d’action disponible pour la conquête du pouvoir et la transformation sociale. J’ai reconnu dans ce discours certains éléments de la réflexion de Christian Piquet, dirigeant de la LCR que je connais bien, auteur il y a deux ans d’un livre passionnant intitulé La République dans la tourmente. C’est effectivement un débat fondamental à poursuivre.

Par ailleurs, je n’ai pas eu besoin d’évoquer l’importante question de la Laïcité, puisque d’autres l’ont fait, provoquant encore un débat montrant que la LCR devra clarifier sa position si elle veut convaincre un grand nombre de militants de gauche très attachés à ce fondement de la République.

4ème principe : pour PRS, une force politique nouvelle doit être clairement unitaire. La lutte contre les sectarismes est la condition indispensable pour permettre à la gauche de conquérir le pouvoir politique et mettre en œuvre son projet de transformation sociale. Et cette unité doit être sans aucune exclusive. Cela veut dire que la force nouvelle doit envisager le débat fraternel et l’unité d’action AUSSI avec le courant social démocrate, en France avec le Parti Socialiste. J’ai tenté de démontrer, à partir de la situation française, mais aussi à partir des exemples Allemands et Italiens comment sans réaliser union des Gauches, c’est se condamner à l’impuissance, se cantonner à la contestation... et au final, donner des arguments et laisser les mains libres aux sociaux libéraux pour gouverner avec la droite !

Là encore, une majorité de militants réunis hier soir a réagi très durement contre ce parti pris unitaire de PRS, développant une argumentation fondée sur le caractère irréversible de la division de la gauche en deux camps irréductiblement divergents : le « social libéralisme » et « la gauche de la gauche ». J’ai la certitude que ces camarades font fausse route. Mais force est de constater qu’un fossé s’est creusé à gauche, et qu’il sera bien difficile de faire entendre dans la prochaine période la ligne unitaire...

par Nicolas Voisin


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