Les travailleurs de l’ombre (reportage sur les travailleurs sans papiers en Région Parisienne)

jeudi 15 mai 2008.
 

Notre camarade Corinne Zannier nous a envoyé ce reportage, comme une plongée dans une réalité quotidienne que le gouvernement de Nicolas Sarkozy veut ignorer.

Boissy-sous-Saint-Yon, sud de l’Essonne, un peu en retrait de la RN20, l’entreprise de bâtiment qui les embauche se tient là ; de l’extérieur, seul un drapeau de la CGT91 nous signale qu’il se passe quelque chose ici ...

Travailleurs sans papiers en quête de régularisation. Jean-Claude, représentant CGT91 : « Ils sont 12, ils bossent, ils ont un bulletin de salaire, ils sont payés, ils paient leurs cotisations sociales, ils paient leur chômage, ils paient leur retraite, leurs impôts, il n’y a qu’une chose qui leur manque : c’est des papiers ... ».

Sinon, ce sont des travailleurs comme les autres. Il reprend : « Ce ne sont donc pas des gens qui demandent la nationalité française, ou qui prennent leur travail aux chômeurs car leur boulot est dur et mal payé, c’est donc très difficile de trouver des gens qui acceptent ce type de travail. Ce ne sont en tout cas certainement pas des assistés venus en France pour bénéficier des allocations diverses : chômage, RMI, maladie ... ils ont tous un emploi, un salaire, des fiches de paie. »

Voilà, le décor est posé. Et c’est pour les rencontrer que je suis venue, pour tenter de comprendre la situation dans laquelle se trouvent ces travailleurs sans-papiers d’Ile de France, qui ont décidé de se battre pour obtenir leur régularisation, de s’exprimer au grand jour, et qui se sont mis pour cela en grève.

Porter leur témoignage pour soutenir leur action, pour qu’on ne puisse pas dire ensuite qu’on ne savait pas, tel est l’enjeu de cette discussion que nous avons menée ensemble : les travailleurs sans papiers de la société LPP, les représentants CGT de Massy qui les accompagnent, des membres du PS local qui soutiennent leur démarche.

Ils sont douze hommes, tous d’origine malienne, tous embauchés en CDI. La plupart travaille en France depuis longtemps : 15 ans, 10 ans, 6 ans ... Ils sont employés dans leur entreprise depuis plusieurs années, le dernier arrivé a 14 mois d’ancienneté.

Tout de suite, ils souhaitent lever une ambiguïté portée par le discours du gouvernement et par certains medias : « Les gens croient que la régularisation, c’est pour obtenir la nationalité française, alors que le papier, c’est pour le droit au travail. ».

Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit ça et là, sans doute pour dresser contre eux l’opinion publique qui tend à les soutenir, et pour faire le jeu de l’électorat d’extrême droite, ces sans-papiers ne cherchent absolument pas à obtenir la nationalité française, ni à faire valoir des droits à un éventuel regroupement familial, ils veulent juste obtenir un titre de séjour qui leur permette de travailler sur le sol français, et de circuler librement sans redouter sans cesse les contrôles d’identité.

Jean-Claude : « La situation n’est pas nouvelle, mais elle apparaît parce qu’il y a eu un durcissement des lois. Depuis juillet 2007 il y a des contrôles sur la main d’oeuvre soit à l’embauche, soit [aux vus de] sa composition lorsqu’elle est déjà constituée : s’il y a une forte proportion d’étrangers dans les équipes par exemple ; cela a abouti à des condamnations de patrons à 3 mois de prison avec sursis, qui ont fait appel ; généralement ils avaient cette pratique d’embauche de sans-papiers sans problèmes, mais maintenant comme ils risquent la prison ça commence à les inquiéter et ils commencent à licencier ... Et on a des preuves que les patrons savaient très bien qu’ils embauchaient des gens en situation irrégulière, mais pour nous, ce n’est pas notre bagarre ; nous ce qu’on demande c’est que les travailleurs aient leurs papiers. On ne se bagarre pas pour établir des culpabilités ... Ce sont les ouvriers qui ont décidé d’aller dans l’action ; avec la chasse et le durcissement des lois on voit arriver des licenciements dans les entreprises ... Et normalement il n’y a rien qui s’oppose à la régularisation : ils ont du boulot, ils sont intégrés, ils parlent français. »

Rien qu’à Massy (91), pas moins de 700 personnes se sont présentées spontanément à l’union locale de la CGT en moins de trois mois.

Leurs questions : comment faire pour se défendre, pour faire valoir des droits, car ces travailleurs sans papiers sentent se rapprocher la menace de la reconduite à la frontière, certains étant sous le coup de procédures de licenciement pour non présentation de papiers, et ceux souhaitant se faire embaucher se trouvant en grande difficulté du fait de l’obligation de présenter des papiers - qu’ils n’ont pas - pour tout nouveau travail, avec dorénavant un contrôle très strict effectué par la Préfecture.

Il n’est absolument pas nouveau de devoir présenter des papiers en cours de validité pour pouvoir prétendre à un emploi en France lorsqu’on est étranger. Ce qui a changé, c’est que depuis un an, les contrôles se multiplient et sont devenus effectifs.

... Ce qui sous-entend que depuis des années il y a eu des complicités à tous les niveaux :

- des patrons qui se doutaient mais se gardaient bien d’essayer d’obtenir des certitudes, car cela leur permettait d’embaucher avec de faibles niveaux de salaires une main d’œuvre soumise, ne regardant ni sur les heures effectuées, ni sur les conditions de sécurité ;

- des administrations et organismes divers qui ont collecté des taxes, des impôts, des cotisations, sans trop se poser de questions quant à leur provenance, ou ont mis en place des contrôles peu contraignants. Ainsi, tout le monde - et pas seulement les travailleurs en situation irrégulière - a profité de ce système très laxiste !

Là où ce merveilleux système dérape et montre vite les limites de ses avantages pour les salariés sans papiers, c’est quand l’un d’eux tombe malade ; Bakari me raconte : « Je travaille ici depuis presque 10 ans. Je suis tombé malade , très malade, le patron a dû m’emmener à l’hôpital où je suis resté 2 / 3 semaines. Quand je suis sorti de l’hôpital je suis revenu pour reprendre mon travail. On m’a dit alors qu’il y avait une procédure pour me licencier. J’ai demandé pourquoi ; on m’a dit que c’était parce que je n’ai pas envoyé d’arrêt maladie. Alors j’ai expliqué que je ne pouvais pas parce que le nom sous lequel je travaille, c’est pas mon vrai nom... c’est le nom de quelqu’un dont les papiers sont vrais ... j’ai dit au patron que c’est une situation très compliquée, et que moi ce que je veux, c’est continuer à travailler comme avant ; il m’a dit que ce n’était pas possible, « il faut qu’on te licencie ». J’ai dit : si vous me licenciez, comment je vais faire, je ne peux rien faire, le nom sous lequel je travaille c’est pas mon nom, donc je ne peux pas toucher de chômage, je ne peux pas toucher de retraite, comment je vais faire maintenant pour ma vie ? ... mais il a rien compris, alors j’ai du faire des petits bricolages à Paris pour continuer à me nourrir, à payer ma carte orange et surtout pour acheter mes médicaments.

Alors on s’est organisé pour aller voir les syndicats de Massy.

Voilà, on est dans cette situation maintenant : c’est devenu très compliqué en France, si tu n’as pas de papiers, comment tu vas trouver un boulot ? Comment tu vas manger ? Même si tu as dix ans de présence, tu n’as même pas le droit de travailler ! ... Ca fait longtemps que je travaille ici, tu sais ... »

Donc ces travailleurs, bien que cotisant par le biais des charges patronales et des charges salariales aux différentes caisses, comme n’importe quel salarié français, n’ont de droits ouverts ni auprès de l’assurance maladie, ni auprès de l’assurance vieillesse, et ils n’ont pas accès aux allocations chômage, ou encore aux aides au logement malgré leurs faibles revenus.

... Ils cotisent mais ne bénéficient pas de la solidarité nationale. On ne peut donc vraiment pas leur reprocher de vivre comme des parasites aux crochets de la France ! L’un d’eux m’expliquera qu’il a dû renoncer à louer seul un appartement car le loyer en étant relativement élevé, il lui était difficile de le régler quand il se trouvait entre deux missions d’intérim, ne pouvant compter sur aucune rentrée d’argent, ni allocation chômage, ni APL ...

Un autre ajoute : « Il faut une action comme ça, une grève, pour qu’on obtienne nos papiers, pour que ça se sache ce qui se passe. Il y a des Français qui croient que nous on est là pour profiter des aides sociales. Mais c’est pas vrai ... »

Bakari : « Moi à mon avis le message qu’on doit lancer, c’est pour montrer aux Français qu’on est des travailleurs comme eux, qu’on travaille, qu’on cotise au niveau de la sécu, au niveau de l’assurance vieillesse, du chômage, ... mais on n’a pas de papiers ! Ce qui nous manque ce sont les papiers. La misère qu’on a, c’est ça. La plupart des français croient qu’on profite des aides sociales. Or c’est pas ça. »

Jean-Claude poursuit : « L’idéologie du gouvernement vise à criminaliser les sans papiers, mais quand on explique au public la réalité de leur situation, il comprend très bien. On voit bien au niveau des actions qu’on a menées, globalement on a un bon écho. Les gens ne sont pas forcément d’accord avec tout mais quand on s’explique, ils demandent pourquoi on ne veut pas leur donner des papiers puisqu’ils bossent ; ce ne sont pas des délinquants. Même dans la gendarmerie, il y a des gendarmes qui conseillent à des sans papiers qu’ils arrêtent, de se rendre auprès d’associations pour se faire aider ! Ils envoient des sans papiers à l’union locale de Massy ! Ce n’est pas massif mais c’est quand même significatif : on a des réactions de ce genre là.

Idem dans les centres de rétention ; Il arrive qu’on nous appelle pour nous signaler des situations particulières. Des patrons aussi, nous appellent et ils ne demandent qu’à embaucher leurs salariés sans papiers : ils leur ont donné une formation, ils considèrent que ce sont des employés compétents. Un patron m’a expliqué que chaque fois qu’il se rend à la Préfecture pour entamer des démarches de régularisation, on le renvoie : avant c’était trop tôt, maintenant c’est trop tard, et pour avoir les dossiers de régularisation ils ont l’impression que ce n’est jamais le bon moment ! »

Comment s’organise cette filière de travail des sans papiers, à qui elle bénéficie ... et comment en sortir par le haut.

Ces travailleurs cotisent comme tous les salariés mais cela ne leur ouvre aucun droit puisqu’ils sont en situation irrégulière. Comment se font-ils embaucher malgré l’absence de papiers ?

Soit ils utilisent une autre identité que la leur (« prêt » de vrais papiers), et dans ce cas il n’y a que celui dont c’est la véritable identité qui peut bénéficier des droits ouverts, soit leur identité est fabriquée de toute pièce (faux papiers).

Donc ils sont identifiés, disposent d’une immatriculation, certains nous montrent leur carte vitale, mais ils ne peuvent prétendre à rien.

Certains sont dans cette situation d’illégalité depuis leur arrivée en France, d’autres ont été pendant un temps en situation légale : ils sont arrivés avec un visa touristique et ne sont jamais repartis, ou ils ont eu des autorisations qui n’ont pas été renouvelées.

Demba m’explique : « Je suis rentré en France le 1er janvier 1997. Le 1er août 2001 j’ai reçu une carte de séjour qui a été renouvelée jusqu’en 2003 ; Mais à partir de 2003 ma demande de renouvellement a été rejetée. A partir de 1999 jusqu’à maintenant, j’ai tous les bulletins de salaire ; j’ai cotisé normalement, j’avais tout, j’avais une carte de sécurité sociale. Mais à partir de 2003, ça a changé : j’ai continué à cotiser pareil, mais j’ai plus de papiers. Pourtant j’ai une adresse, j’ai toujours eu une adresse. J’ai fait des démarches avec les droits de l’homme, avec la CIMADE de Massy ; on a été 3 fois à la préfecture, mais on m’a fait une lettre de rejet parce que [mon dossier a été égaré, je ne l’ai jamais reçu, donc je me suis présenté hors délai]. J’ai demandé un duplicata, mais on m’a répondu que c’était impossible. Ensuite je suis parti à Paris, j’ai refait les démarches à Paris ; mais là on m’a attrapé, j’ai fait 2 heures de garde à vue ; en 2007 je suis passé devant le tribunal. »

Le 13 décembre 2007, il reçoit une nouvelle lettre de rejet suite à sa demande de régularisation. Il est emmené par les forces de l’ordre et restera 22 jours au centre de rétention de Massy-Palaiseau.

Coté patrons maintenant ...

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas été très curieux pendant des années, car la fraude reste relativement grossière !

En résumé, on peut dire que c’est depuis juillet 2007 qu’ils se préoccupent vraiment de la véracité des papiers présentés par les employés d’origine étrangère (obligation renforcée de vérifier l’identité des entrants à l’embauche, mais surtout responsabilité de l’employeur engagée en cas de fausse déclaration), et depuis le 1er avril 2008 qu’ils recourent massivement aux licenciements ... depuis que quelques patrons ont été punis par des peines de prison avec sursis pour avoir embauché des personnes en situation irrégulière.

Mais conclure que tous les patrons ayant recours à cette main d’oeuvre de sans papiers sont des « patrons voyous » constituerait un raccourci un peu facile et partiellement faux ; car ces travailleurs en situation irrégulière occupent des emplois dans des secteurs d’activité tendus : restauration, bâtiment, ramassage des ordures, sociétés d’entretien ; ce sont des emplois indélocalisables, peu qualifiés, où les conditions de travail sont difficiles, fatigantes, où il faut faire beaucoup d’heures qui sont très mal payés en général (- de 1200 euros par mois). Et les patrons ont énormément de difficultés pour recruter sur ces profils.

Quand on réfléchit au concept d’ « immigration choisie » prônée par le gouvernement actuel, on pense spontanément à de jeunes diplômés étrangers mais on envisage moins facilement qu’il peut aussi s’agir de l’arrivée d’une main d’oeuvre immigrée pas ou peu qualifiée, alors que cela correspond à un réel besoin dans de nombreux secteurs ...

Aussi, puisque les ouvriers dont les entreprises ont besoin sont déjà là et qu’ils donnent entière satisfaction, pourquoi ne pas régulariser leur situation ? Mais cramponné à ses principes d’ordre idéologique, Brice Ortefeux se refuse à envisager des régularisations massives. Chaque demande sera donc étudiée au « cas par cas ».

Mais qu’est ce que le « cas par cas » ? Ce concept n’a aucune réalité légale.

Peut-on être certain que tous les dossiers seront étudiés avec équité, avec impartialité, que les critères retenus seront les mêmes pour tous, que la procédure suivie sera transparente, que les sans-papiers qui se sont mis en grève, ont dénoncé certaines dérives de leurs patrons ou ont médiatisé leur combat ne verront pas leur demande rejetée ?

Il reste aussi qu’à partir du moment où les travailleurs actuellement sans papiers disposeront de toutes les autorisations requises et pourront donc rendre leurs droits opposables, il ne sera plus possible de les exploiter et de les sous-payer comme c’est trop souvent le cas actuellement ! Il n’est pas question de tolérer l’existence d’un sous-prolétariat ouvertement paupérisé et exploité, de citoyens de seconde zone avec des droits au rabais.

Jean-Claude : « C’est très démagogique tout ça. Pour une partie des patrons, [utiliser des sans-papiers] ça permet d’avoir de la main d’oeuvre pas cher, et puis ils trouvent toujours pour excuse de dire « vous comprenez, les Français ne veulent pas bosser ». Mais je leur réponds : est ce que les Français ont envie de bosser 60 / 70 heures par semaine pour 1150 euros par mois ? Le problème de fonds est là. Il y a quand même des gens qui se disent que ce boulot là de toute façon il est fait par d’autres, et comme nous on ne veut pas le faire, on préfère rester dans cette situation. »

« Nous, on veut juste travailler tranquille, sortir tranquille »

Dans le cas qui nous intéresse, cela fait de très nombreuses années que le chef d’entreprise recourt à des travailleurs clandestins, qu’il fait travailler entre soixante et soixante dix heures par semaine, six jours sur sept, parfois même pendant les jours fériés. C’est un fait de notoriété publique, pourtant il n’a jamais été inquiété jusqu’à cette année.

Après avoir engagé une procédure de licenciement contre Bakari, hospitalisé, qui n’a pas pu lui présenter de certificat d’arrêt en maladie, il entame courant 2008 d’autres procédures de licenciement dont le motif est toujours le même : non présentation de papiers par le salarié ; probablement parce qu’il redoute une action en justice intentée contre lui par l’Etat pour emploi de travailleurs en situation irrégulière. Ce qui est étonnant est qu’il lui a fallu, pour certains employés, plus de 10 ans pour leur réclamer leurs papiers, alors que légalement il doit effectuer les formalités d’embauche préalablement à l’entrée en fonction du salarié !

Le 16 avril 2008, il osera même déclarer à un journaliste de Libération : « j’ai appris qu’ils étaient sans papiers avec les circulaires de l’été dernier. On n’a pas voulu les licencier tout de suite mais il y a eu une descente de police en début d’année et nous avons dû le faire. Sinon, on risquait d’être mis en cause pénalement. ».

La version des faits que vont me communiquer ses employés est un peu différente, savant mélange de procédés légaux et illégaux : Le jour où la police vient effectuer les contrôles d’identité, il leur a demandé de laisser le portail de l’entreprise ouvert, car il attendait des « visiteurs ». Puis aux policiers, il déclarera d’abord qu’il ne connait pas ces personnes qui ont juste été employées pour faire du ménage sur les chantiers ... et quelques jours plus tard il enverra des lettres préalables de licenciements chez ces personnes qu’il ne connait pas mais dont il a l’adresse ...

Le 15 avril 2008, les sans-papiers vont donc décider de se mettre en grève et de se syndiquer à la CGT de Massy, comme l’ont déjà fait les salariés du Buffalo Grill de Massy. Peu de temps après, ils vont subir des pressions, des menaces physiques exercées par des gens du voyage, et qui seront constatées par les gendarmes. Depuis, il y a en permanence des représentants de la CGT présents dans l’entreprise pour assurer la sécurité des grévistes. Quant à l’employeur, son attitude est ambivalente : tantôt il se déclare solidaire des grévistes, tantôt il se prétend victime de leurs fausses déclarations d’identité dont il ignorait tout. Mais aurait-il exploité ainsi des salariés en situation régulière ?

Les grévistes, eux, sont déterminés à aller jusqu’au bout : Ce qu’ils revendiquent, c’est juste de pouvoir continuer à travailler officiellement, de pouvoir circuler librement sans crainte d’un contrôle d’identité ; « Nous, on veut pouvoir passer par la grande porte, une porte grande ouverte, parce que pour l’instant on passe par une petite porte et c’est pas simple ... Et quand j’entends parler d’intégration, moi je crois qu’on est bien intégrés dans ce pays, on cotise à tout, on a un loyer à payer, un travail ! »

La CGT a transmis au Préfet les bulletins de paie de chaque travailleur ; mais ils ne sont pas forcément à leur nom puisque certains empruntent l’identité de compatriotes en règle pour pouvoir travailler.

Pour prouver la durée de la présence et l’effectivité de l’activité rémunérée de chacun, la CGT va en outre produire des témoignages de collègues, de certains patrons qui souhaitent faciliter la régularisation de leurs salariés, et la photocopie des passeports libellés sous les vrais noms.

Si la démarche de régularisation aboutit, c’est la photocopie du passeport qui va servir à délivrer la pièce d’autorisation de séjour sous le vrai nom. Ce n’est pas encore gagné, mais des négociations sont en cours ...

Ce qui peut peser dans la balance en faveur de la régularisation, c’est la position des patrons français ; Car cette fois des entrepreneurs sont prêts à monter au créneau : ils ont besoin de cette main d’oeuvre ; Jean-Claude : « Notamment on a fait une manifestation à la Défense devant le siège de la CGPME. On a rencontré des interlocuteurs qui étaient plutôt réticents par rapport à l’application de la loi. Parce qu’on leur demande de foutre à la porte les sans-papiers, et eux, s’ils le font ils ferment leurs boites ! Alors donc il faut qu’ils choisissent ! »

Dernier point important, s’ils ont de vrais papiers, ces Maliens vont pouvoir retourner dans leur pays visiter les familles qu’ils y ont laissées ; car n’étant pas surs de pouvoir revenir en France, ayant pour la plupart eu recours à des filières coûteuses et risquées pour arriver ici, les travailleurs en situation irrégulière ne peuvent pas faire d’aller-retour entre la France et le Mali. Ainsi, pour certains, cela fait plus de 10 ans qu’ils n’ont pas vus les leurs.

Demba : « je ne suis jamais retourné au Mali depuis 1997 », Bakari : « et moi je ne suis pas retourné depuis 20 ans. En fin de mois, on envoie l’argent au pays pour nourrir les frères et les parents, on téléphone, c’est tout. »

Enfin la dernière question, sans doute la plus difficile à poser : et si les négociations se passent mal et que vous êtes renvoyés au Mali ?

« A mon avis, si on revient comme ça, mains vides, il y aura beaucoup de déceptions, ... mais aussi sans doute beaucoup de suicides. Ça je vais être clair avec vous. Nous on est venu ici pour aider la famille ; si on retourne, comment la famille va manger ? Ils vont manger quoi ? Y a rien. Y a pas de boulot là-bas. C’est pourquoi je dis, il y aura beaucoup de suicides. »

... Oui, car il ne faut pas perdre de vue que c’est la misère qui a chassé ces hommes de leur terre, qui les a contraint à accepter des emplois difficiles à des milliers de kilomètres de chez eux. Ce sacrifice, ils l’ont fait pour permettre à leurs familles de manger, de survivre ; et avec la crise alimentaire qui s’étend dans toute l’Afrique, il est à craindre que ce type d’immigration ne se développe encore dans les mois et les années à venir.

Et dans cette crise alimentaire, nous avons encore une fois une lourde responsabilité ; car nos exportations de céréales françaises et européennes lourdement subventionnées, qui sont commercialisées sur les marchés de Dakar ou de Bamako bien moins cher que les productions locales, ont ruiné la petite paysannerie traditionnelle subsaharienne, que nous avons contrainte à l’exode vers le mirage des villes africaines où il n’y a pas de travail, ou bien, comme le disait récemment l’écologiste Pierre Rabhi, à vivre dans l’attente de recevoir ce riz d’intervention charançonné dont les ONG leur font l’aumône. Et parallèlement, nous avons encouragé l’Afrique à développer une agriculture productiviste pour l’exportation (dont les haricots verts sont le meilleur exemple), gourmande en eau et en intrants, qui épuise les sols ... mais ne nourrit pas la population locale qui ne peut se payer ces produits inabordables qui ne correspondent pas à l’alimentation locale.

... Alors, les plus forts vont se sacrifier et tenter l’aventure risquée de l’immigration par delà les océans, pour pouvoir chaque mois envoyer au pays un peu d’argent économisé sur leurs faibles salaires.

Par conséquent, régulariser ces travailleurs, ce n’est que leur rendre leur dignité, saluer leur courage et reconnaître la part de responsabilité qui nous incombe dans la situation de dénuement qui règne en Afrique. Et soutenir leur cause, simplement en parler, la relayer, c’est faire preuve de solidarité entre les peuples, faire acte de résistance face à un libéralisme ravageur et prédateur qui ne profite qu’à une infime minorité, et a besoin de maintenir de telles inégalités pour continuer à prospérer.

Corinne Zannier PRS

Avec le concours de Raymond, Jean-Claude (CGT), Yvette (CGT), et bien sur de nos 12 camarades maliens dont nous soutenons le combat ... 12 mai 2008


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