L’alternative à gauche, organisons-la ! (appel, plus de 6000 signataires, commentaires de Politis et du MARS)

samedi 7 juin 2008.
 

Nous célébrons l’anniversaire de Mai 68.

Le temps n’est toutefois ni aux commémorations, ni à la nostalgie.

La planète s’est profondément transformée. Le capitalisme se fait toujours plus prédateur. Les émeutes de la faim sont le corollaire de l’enrichissement indécent d’une minorité de privilégiés. Les crises financières s’enchaînent et une catastrophe écologique se dessine. Bousculée par un nouveau totalitarisme de marché, la démocratie s’étiole.

C’est à la refondation d’une politique d’émancipation qu’il importe de s’atteler.

En France, le sarkozysme se heurte déjà à la résistance du pays. Dans les entreprises du secteur privé, dans les services publics, à l’école, d’amples mobilisations se font jour.

À quarante ans de distance, deux questions se reposent à nous : quelles perspectives offrir à la colère sociale ? Comment la volonté de changer radicalement l’ordre des choses peut-elle redonner majoritairement le ton à gauche ?

À cet égard, chacun hélas peut le constater, il manque toujours une force incarnant un projet alternatif.

Du côté de la majorité dirigeante du Parti socialiste, les volontés hégémoniques se confirment, et avec elles les tendances au renoncement social-libéral, inspirées des exemples de MM. Blair ou Prodi. Mais la gauche de transformation sociale et écologiste ne doit pas, elle, s’accommoder d’un statu quo qui lui interdit d’espérer changer en profondeur la donne politique.

La menace du bipartisme devient plus forte, avec son choix mortifère ramené à deux variantes de l’adaptation au libéralisme. Tout cela peut nous conduire à des désastres comme celui que vient de connaître la gauche italienne, incapable d’empêcher le retour de Berlusconi aux affaires et littéralement disloquée.

Les municipales et les cantonales viennent pourtant de prouver qu’il existe ici un espace comparable à celui révélé par Die Linke en Allemagne ou d’autres expériences similaires en Europe. Faute de convergence entre des traditions et des cultures jusqu’ici séparées, faute de prendre en compte l’apport des mouvements sociaux et citoyens ayant émergé depuis plusieurs années, le champ des possibles demeurera inévitablement limité : aucune force constituée ne peut rassembler autour d’elle seule.

Les échecs passés nous instruisent des difficultés de l’entreprise. Nous n’en restons pas moins convaincus que c’est le seul horizon porteur d’avenir. Un cadre permanent pour faire front

Nous en appelons donc à l’affirmation d’une gauche enfin à gauche. Qui n’oublie plus la nécessité de redistribuer les richesses. Qui soit en phase avec les aspirations des salariés, avec ou sans papiers, des quartiers populaires, des jeunes. Qui conjugue urgence sociale, urgence démocratique et urgence écologique. Qui permette au peuple d’exercer sa souveraineté dans tous les domaines. Qui place l’égalité entre hommes et femmes au cœur de son projet. Qui milite pour un nouveau mode de production et de consommation, soutenable et respectueux des équilibres écologiques. Qui promeuve la construction d’une autre Europe et des rapports de codéveloppement avec le Sud. Qui devienne, ce faisant, une véritable force.

Militants politiques, acteurs du mouvement social et culturel, nous pouvons dès à présent agir de façon coordonnée. Sans préalable sur les engagements des uns et des autres, construisons un cadre permanent qui nous permette, ensemble, nationalement et localement, de réfléchir aux moyens d’une vraie réponse politique aux attaques de la droite et du Medef et d’aborder les grands rendez-vous qui s’annoncent. D’ici l’été, que chacun et chacune se saisisse de cette proposition sur le terrain. Et retrouvons-nous à l’occasion d’un grand rendez-vous national en septembre, afin de prolonger ces échanges. Premiers signataires :

Paul Ariès, Ariane Ascaride, François Asensi, Clémentine Autain, Christophe Barbillat, Francine Bavay, Hamida Bensadia, Pierre Bergougnoux, Jacques Bidet, Martine Billard, Jean-Jacques Boislaroussie, Patrick Braouezec, Bernard Calabuig, Yves Contassot, Eric Coquerel, Emmanuelle Cosse, Thomas Coutrot, Claude Debons, Bernard Defaix, Marc Dolez, Annie Ernaux, Jean-Claude Gayssot, Jacques Généreux, Susan George, Dominique Grador, Robert Guediguian, Michel Husson, Raoul-Marc Jennar, François Labroille, Frédéric Lebaron, Jacques Lerichomme, Philippe Mangeot, Roger Martelli, François Maspero, Gérard Mauger, Marion Mazauric, Daniel Mermet, Mohammed Mechmache, Philippe Meyrieu, Claude Michel, Yann Moulier-Boutang, Dominique Noguères, Michel Onfray, Christian Picquet, Christophe Ramaux, Yves Salesse, Denis Sieffert, Patrick Silberstein, Evelyne Sire-Marin, Emmanuel Terray, Rémy Toulouse, Marcel Trillat, Christophe Ventura, Marie-Pierre Vieu, Claire Villiers.


Commentaire de l’hebdomadaire Politis qui a publié cet appel

par Denis Sieffert

Non, nous n’entrons pas en politique. Ni notre journal, ni - et pas davantage - l’auteur de ces lignes. Nous sommes simplement préoccupés depuis plusieurs mois par une interrogation démocratique dont nous n’avons évidemment pas le monopole : comment organiser cet espace politique abandonné chaque jour un peu plus par le principal parti qui s’identifiait historiquement à la gauche ? Cette offre nouvelle que nous appelons de nos vœux, il ne nous appartient pas de la créer (nous en serions d’ailleurs incapables), ni de dire ce qu’elle doit être. Ce sera l’affaire des nombreux talents qui y travaillent déjà depuis longtemps, et de talents neufs qui vont éclore. En revanche, ce que nous pouvons faire, nous, c’est essayer de rendre possible le débat, d’en créer les conditions, d’en poser le cadre avant de nous éclipser sur la pointe des pieds. C’est le sens de l’appel que nous publions ci-contre. Disons-le tout de suite, la démarche a été accueillie avec beaucoup de chaleur et, parfois, d’enthousiasme. Nous en déduisons que c’était le moment. À bonne distance des échéances électorales. À la veille de ces mois d’été propices à la réflexion. Et au cœur d’une période de mobilisation sociale. Quant au texte lui-même, nous l’avons voulu pluraliste et ouvert. Et merci à ceux qui l’ont signé en dépassant des critiques souvent pertinentes. Ils ont compris que l’essentiel, à ce stade, n’est pas là.

De notre côté, nous respectons les raisons de certains de ceux qui n’ont pas signé. Le plus souvent, il s’agit d’incompatibilité avec un mandat syndical ou associatif. Parfois d’une volonté rénovatrice qui porterait davantage sur les formes de la politique. Nous collerions de trop près à l’ancien. La référence à Die Linke a pu renforcer cette impression : un bout de social-démocratie antilibéral et un ex-PC retapé, et vogue la galère ! Mais, cette référence, nous l’interprétons autrement. Nous la voyons comme l’exemple encourageant de l’investissement réussi d’un espace politique en jachère. Après cela, compte tenu de notre histoire, et de l’importance de certains courants de pensée, davantage engagés dans l’écologie, par exemple, ou dans la voie de la décroissance, on peut prendre les paris que rien ne sera à l’identique chez nous. Ce qui est sûr cependant, c’est que c’est dans la dynamique du débat que des formes nouvelles peuvent naître, et non en les déclarant a priori obsolètes, ni en demandant à des militants de renoncer à leurs engagements. Le PC, la LCR existent, comme il existe une gauche du PS et une gauche des Verts, des Alternatifs, et d’autres. C’est avec ces forces-là qu’il faut rebâtir une vraie gauche. Mais pas seulement ! Et là est peut-être la principale difficulté. C’est aussi en puisant des énergies nouvelles dans le mouvement social et associatif, dans les formes de politique en réseaux, dans l’humanitaire que nous pourrons dépasser l’ancien.

Au passage, vidons la querelle des mots. Ce que nous entrevoyons n’est surtout pas une « extrême gauche », ni même une « gauche de la gauche », mais au point où nous en sommes, une vraie gauche, réellement sociale, écologiste et européenne. Nous nous sommes donc adressés - excusez la tautologie - aux forces existantes. Dans la liste qui suit, nous n’avons pas mis les points sur les « i », mais le lecteur reconnaîtra des animateurs des collectifs antilibéraux, des Verts de gauche, des communistes dans leur diversité, des républicains sociaux, un responsable de la LCR, minoritaire il est vrai, des socialistes de gauche, mais aussi des responsables syndicaux et associatifs, des artistes, des intellectuels, des éditeurs, des journalistes... Des femmes et des hommes qui n’ont guère l’habitude de signer des « appels ». Nous avons aussi informé de notre démarche Alain Krivine et Jean-Luc Mélenchon, l’œil rivé, l’un et l’autre, sur d’autres échéances [1]. Nous leur redisons ici qu’aucun objectif particulier n’est incompatible, selon nous, avec l’échange, la confrontation et le débat dans un cadre plus large. Celui que nous proposons. Au total, nous n’avons pas cherché, pour cette première liste, le nombre, mais la présence symbolique. Exemple : Yves Salesse et Pierre Cours-Salies incarnent à nos yeux une même sensibilité. Pardon à celui des deux qui ne figure pas dans cette première liste. Nous pourrions multiplier les exemples. Par ailleurs, nous avons conscience d’une sous-représentation des régions. Nous l’espérons provisoire puisqu’à partir de ce jeudi nous invitons à une signature plus large de ce texte [2].

Et nous reparlerons de la suite la semaine prochaine : réunions en régions et (pourquoi pas ?) initiative nationale à la rentrée de septembre. Mais quel meilleur « baptême » pour notre appel qu’une immersion dans la grande manifestation d’enseignants de ce jeudi ! Une façon d’être d’emblée au cœur de cette résistance sociale sans laquelle il n’y aurait pas d’avenir politique.

Notes

[1] Nous n’avons volontairement sollicité aucun des trois « B », candidats à la présidentielle, Besancenot, Bové, Buffet. Deux d’entre eux ont au moins des très proches dans cette première liste.

[2] Un site est ouvert pour cela en lien avec le site de Politis : www.appel-a-gauche.org.


L’Alternative à gauche, organisons-la ! »

L’APPEL DE L’ESPOIR, par Eric Coquerel du MARS

L’ampleur des réactions suscitées par l’appel de Politis, positives le plus souvent, négatives parfois, prouve qu’il n’est pas juste un appel de plus... Sans doute parce qu’il dessine un autre futur possible que ceux qui nous sont survendus depuis quelque temps. À ce stade, deux remarques.

La première, parce que les principales critiques concernent ce sujet : il est faux de le traduire comme une arme anti-NPA. Nous considérons pour notre part que nos ennemis ne se situent pas du côté de la transformation. Mais il est vrai que, s’il part d’un constat identique (c’est déjà beaucoup pour espérer avancer ensemble), soit la nécessité d’une nouvelle force à gauche, cet appel diffère dans son exposé stratégique. En cela, certains voient un sectarisme vis-à-vis du NPA. Curieuse inversion des rôles. Doit-on rappeler que jusqu’alors, et nous le regrettons, la direction de la LCR annonce clairement vouloir lancer son Nouveau Parti à partir d’un fondement stratégique non négociable ! Alors qu’à l’inverse l’appel de Politis, s’il revendique de poser un autre postulat sur la table, n’en fait pas un préalable au débat.

Deuxième remarque : la vision d’un paysage politique partagé entre une gauche de gouvernement loyale gestionnaire du système et un pôle révolutionnaire annonçant, à l’inverse, son refus quasi principiel de l’exercice gouvernemental fait recette, et manifestement plaît aux médias. Il convient pourtant de raison garder : le débat politique ne se réduit pas dorénavant dans le pays à un face-à-face entre les sociaux-libéraux et le parti d’Olivier Besancenot. C’est pourquoi nous ne pouvons que féliciter Politis d’avoir voulu dès le départ, sans exclusive, une diversité à l’image des sensibilités à qui il s’adresse : les dizaines de milliers de militants du PCF, les écologistes, les républicains de gauche, les socialistes de gauche, que nous espérons voir le rejoindre en nombre car décisifs pour un projet à vocation majoritaire, les membres des collectifs, les militants d’extrême gauche et, évidemment, de la LCR. Mais surtout à ces centaines de milliers de femmes et d’hommes de gauche qui recherchent aujourd’hui un débouché à des mobilisations fragilisées à force de ne pas en trouver de crédible.

Nous sommes parmi les premiers signataires de cet appel parce qu’il est une bouffée d’air, expression si souvent entendue chez ceux qui le découvrent. Mais surtout parce qu’il indique le bon cap pour répondre aux urgences de la situation. Élargissons en effet le débat. Les crises financières et pétrolières révèlent les dysfonctionnements du capitalisme mondialisé. Elles ne sont en rien passagères. Sa soif du surprofit, inédite par son ampleur, rend ce système incapable de faire face à la triple urgence sociale, écologique et démocratique qu’il a déclenchée. Or, face à cette catastrophe, les tragédies et ratés du XXe siècle nous laissent orphelins d’un projet alternatif, crédible majoritairement, à lui opposer. Certains, dont nous sommes tous, s’efforcent de le reconstruire. De son côté, la social-démocratie a progressivement bifurqué sur une autre voie en renonçant à porter une alternative.

L’évolution a été différenciée en Europe, mais force est de constater qu’aujourd’hui le PS a majoritairement adopté le système. Définitivement ? Nous pensons aujourd’hui en tout cas impossible de freiner cette évolution de l’intérieur. Ce spectre qui hante l’Europe a un nom : la disparition pure et simple de la gauche ! Du moins telle qu’entendue depuis deux siècles, soit naturellement porteuse d’une contestation du système. Une évolution vers un bipartisme à l’américaine pour aller vite. Cette évolution de la social-démocratie européenne a un autre défaut : elle, et ses alliés, paraît désormais dans l’incapacité de battre la droite. Mais il est aussi de bonnes nouvelles en Europe : l’émergence de mouvements issus de traditions diverses qui refusent justement de laisser l’apanage de la gauche aux sociaux-libéraux. Die Linke en Allemagne, d’autres ailleurs sont capables de briser le bipartisme mou qui menace. En imposant un rapport de force aux sociaux-libéraux, y compris sur le terrain des institutions, ils montrent qu’il est possible de changer la donne à gauche.

En France, la situation est-elle différente ? Nous la pensons au contraire plus propice à ce renversement de tendance. Pour cela, il faut essayer de réunir tous ceux, en réalité majoritaires à gauche, qui estiment toujours nécessaire de rompre avec le système dominant. Voilà la ligne de partage qui répondrait à l’intérêt du plus grand nombre et notamment des classes populaires face à l’offensive sarkozyste. Cet appel peut y aider s’il parvient à regrouper tous ceux qui s’étaient mobilisés lors du mouvement citoyen contre le TCE. Voilà à quoi nous pouvons tous œuvrer en propageant l’appel et en nous donnant les moyens d’instituer les cadres permanents proposés. Ainsi, nous redonnerions-nous peut-être les moyens de répondre à l’interpellation entendue récemment lors d’une réunion à Saint-Dizier organisée autour de l’appel : « Aujourd’hui je ne demande pas la lune mais de pouvoir au moins voter pour un parti porteur d’un vrai programme de gauche et qui veut se donner les moyens de l’appliquer au gouvernement. » Que cette force émerge, et sûr que le citoyen qui exprimait cet espoir comme nombre des centaines de milliers de manifestants de mai 2008 ne se contenteraient pas de voter pour elle. Ils en seraient.

Éric Coquerel, président du Mars-Gauche Républicaine.


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