2 janvier 1492 : La prise de Grenade par les armées chrétiennes marque la fin de la civilisation andalouse

jeudi 4 janvier 2024.
 

1) La prise de Grenade analysée par un site musulman www.jijel.info

2) Témoignage de Bernado del Roi (catholique) sur la prise de Grenade

Civilisation arabo-musulmane : avant-garde culturelle de l’humanité durant 4 siècles

1) La prise de Grenade analysée par un site musulman www.jijel.info

L’effondrement de la dynastie almohade (royaume musulman d’Andalousie) fut marqué par les chutes successives des grandes métropoles entre les mains des Espagnols : Baeza en 1227, Majorque en 1229, Badajoz en 1230, Cordoue en 1236, Valence en 1238, Xativa en 1244, Carthagène en 1245, Jaén en 1246, Séville en 1248 puis Murcie en 1266. En moins de quarante ans, l’Islam perdit la majeure partie de l’Andalousie. Ce désastre eut pour effet de repousser les territoires musulmans à l’extrême sud de la péninsule ibérique, dans ce qui sera le dernier royaume musulman d’Europe occidentale, le Royaume de Grenade.

Le Royaume de Grenade

Les leaders musulmans travaillèrent dès lors à préserver ce qui restait de la présence musulmane en Espagne. Fondé en 1232 par Muhammad Ibn Yûsuf An-Nasrî, surnommé Ibn Al-Ahmar, le Royaume de Grenade (Gharnâtah en arabe) regroupait trois provinces : la province de Grenade proprement dite au centre, la province d’Almeria à l’est et la province de Malaga à l’ouest et au sud. Le royaume était bordé par la Mer Méditerranée et contrôlait le détroit de Gibraltar. Vingt-deux émirs de la dynastie nasride se succédèrent sur le trône de Grenade, en plus de deux siècles et demi. Plusieurs facteurs expliquent cette longévité exceptionnelle au vu des circonstances :

1-Un pouvoir central fort, détenu par la dynastie nasride, dont le premier représentant, Ibn Al-Ahmar, était un descendant de l’illustre Compagnon du Prophète, Sa`d Ibn `Ubâdah.

2-L’arrivée massive à Grenade des réfugiés andalous qui fuyaient leurs cités d’origine une fois celles-ci investies par les Espagnols. Le Royaume de Grenade représentait alors la terre d’Islam par excellence pour ces milliers de Musulmans, parmi lesquels on trouvait des savants, des hommes de lettres, des artisans, des agriculteurs et des architectes. Tous ces gens contribuèrent à la grandeur de leur nouvelle terre d’accueil.

3-Le soutien extérieur des pays du Maghreb. Que ce soit les Hafsides de Tunisie ou les Marinides du Maroc, tous participaient au soutien de leurs frères andalous, via l’envoi d’aides et de renforts militaires.

4-L’effritement de l’unité intérieure des royaumes chrétiens d’Espagne, avec notamment cette guerre fratricide entre le Royaume de Castille et le Royaume d’Aragon. Ces luttes intestines permirent au Royaume de Grenade de consolider son pouvoir, voire de l’étendre aux dépens de ses ennemis.

Mais ces facteurs ne durèrent pas indéfiniment. Les Marinides du Maroc cessèrent leur soutien aux Nasrides de Grenade en raison de leurs querelles intérieures, tandis que l’Espagne chrétienne se réunit sous une même bannière, après que le Roi Ferdinand d’Aragon et la Reine Isabelle de Castille se marièrent en 1479, formant ainsi une puissante coalition anti-maure. Le Royaume de Grenade lui-même était affaibli par les luttes de pouvoir et la déliquescence sociale. Les Grenadins s’étaient laissé aveugler par une vie faite de luxe et d’insouciance et ne voyaient plus le péril qui arrivait du nord.

Les Musulmans ne se réveillèrent de leur torpeur qu’après que les armées de Ferdinand et d’Isabelle dévalèrent plaines et vallées pour envahir le Royaume de Grenade. Des batailles féroces eurent lieu pour tenter de sauver ce dernier bastion musulman d’Europe occidentale. En vain. Malaga, la plus fortifiée des cités grenadines, tomba en août 1487 ; fin 1489, c’était au tour de Guadix, Almuñecar, Almeria et Baza. Au début de l’année 1490, il ne restait plus que la ville de Grenade.

Résistance

Les Rois Catholiques, Ferdinand et Isabelle, envoyèrent alors à l’émir de Grenade, Abû Abd Allâh As-Saghîr (Boabdil) une offre au terme de laquelle il leur livrerait la ville et abdiquerait en leur faveur moyennant protection et avantages matériels. Appuyé par sa cour et par son peuple, le Roi Abû `Abd Allâh opposa une fin de non recevoir à la demande des Rois Catholiques, prenant l’engagement de défendre sa ville et sa religion autant qu’il lui était possible. La guerre hispano-maure débuta ainsi au cours de l’année 1490. Les Musulmans parvinrent à reprendre un certain nombre de forteresses mais l’arrivée de l’hiver empêcha les deux belligérants de poursuivre les hostilités.

Le siège de Grenade

Ferdinand et Isabelle savaient que la prise de Grenade était la condition sine qua nonpour que le sud de l’Espagne entre définitivement sous leur coupe. Grenade était en effet le foyer de la résistance qui insufflait l’esprit du jihâd au sein des Musulmans andalous. Au printemps 1491, ils levèrent donc une armée de cinquante mille hommes et marchèrent sur la dernière ville arabe d’Europe. Ils détruirent les champs et les cultures avoisinantes et coupèrent toutes les routes d’approvisionnement maritime ou terrestre que seraient susceptibles d’emprunter des renforts venant du Maghreb ou de l’Empire ottoman.

Malgré ce siège implacable, les Grenadins firent montre d’une résistance courageuse. Malgré le déséquilibre des forces, ils lançaient des attaques récurrentes contre l’envahisseur chrétien. Pendant de longs mois, Grenade soutint le siège avec bravoure. Mais avec l’avancée de l’hiver, le froid, la neige, la faim, le désespoir commença à s’installer chez certains. Le Roi Abû `Abd Allâh ne voyait ainsi plus d’autre issue que de capituler, malgré l’opinion populaire qui souhaitait poursuivre la lutte jusqu’au dernier souffle.

La chute de Grenade

Abû `Abd Allâh As-Saghîr envoya son général Abû Al-Qâsim au campement des Rois Catholiques pour négocier secrètement la reddition. Les pourparlers durèrent plusieurs semaines, au terme desquelles les protagonistes signèrent la capitulation de Grenade. C’était le 25 novembre 1491.

Le traité comportait une soixantaine de clauses se résumant ainsi :

1-Le Roi de Grenade s’engageait à livrer la ville de Grenade aux Rois Catholiques dans un délai ne dépassant pas soixante jours à compter de la date de signature du traité.

2-Tous les prisonniers, des deux camps, seraient libérés sans rançon.

3-Les Musulmans ne seraient pas molestés dans leurs personnes, dans leurs biens ou dans leur honneur. Ils pourraient garder leur juridiction et leurs juges. Ils pourraient pratiquer librement leur culte.

4-Les mosquées resteraient inviolées. Aucun Chrétien ne pourrait investir une mosquée ou la demeure d’un Musulman.

5-Pendant trois ans, les Musulmans qui le souhaitaient pourraient traverser librement vers l’Afrique dans des navires affrétés par le Roi Catholique Ferdinand.

Mais la générosité apparente de ces clauses allait s’avérer n’être que duperie et mensonge. L’Inquisition allait faire son œuvre et les Musulmans n’eurent d’autre choix que la conversion, l’exil ou la mort. Trois millions de Musulmans andalous furent ainsi éliminés ou chassés vers l’Afrique du Nord.

Quelques semaines après la signature du traité, Grenade se rendit. L’armée espagnole investit la ville et se dirigea directement à l’Alhambra, le palais royal, édifié deux siècles et demi plus tôt par le fondateur du Royaume de Grenade, Ibn Al-Ahmar. On installa au sommet de la plus grande tour de l’Alhambra une imposante croix argentée, celle que portait le Roi Ferdinand lors de ses batailles contre les Maures. On annonça que Grenade appartenait désormais aux Rois Catholiques. C’était le 2 janvier 1492. L’Histoire tournait définitivement la page de l’Espagne musulmane.

2) Témoignage de Bernado del Roi (catholique) sur la prise de Grenade

« Pressés par la faim et la force des armes, les musulmans de Grenade se rendirent au Roi et à la Reine le 2 janvier 1492 et pour que les souverains puissent entrer en toute sécurité dans la cite, les musulmans envoyèrent en otage le fils de leur Roi, accompagné de six cents cavaliers et des deux principaux chefs de cette ville. Les otages furent confiés aux membres les plus éminents de l’armée. Le jour suivant, à l’aube, le grand Commandeur de Léon, à la tête de cinq cents cavaliers et quatre cents fantassins, se mit à la recherche de celui qui était le chef… Vint à sa rencontre un certain Zabi qui le conduisit à la forteresse, jusqu’à une porte de fer close. Prenant les clefs dudit Zabi, le Commandeur ouvrit cette porte et répartit ses gens en deux groupes, prenant position sur les lieux stratégiques ; puis il se rendit au palais royal où il trouva le Roi musulman avec trois cents hommes armés qui quittèrent aussitôt le château par une porte dérobée. Ce palais est d’une telle taille que sa partie la plus grande est plus vaste que l’ensemble du palais de Séville. Immédiatement, on dressa un autel pour célébrer la messe. Dès l’arrivée, dix-sept étendards chrétiens furent déployés, dont l’un était vieux de plus de cent cinquante ans qui, comme les autres, avait été perdu lors de batailles avec les musulmans.

A la fin de la messe et du sacrifice divin, en ce lieu qui avait été profané pendant huit cents ans, le Roi et la Reine, à la tête de dix mille cavaliers et cinquante mille fantassins, firent une solennelle et pacifique entrée. On ordonna immédiatement de libérer les prisonniers chrétiens. Ils vinrent en procession avec la Croix et l’image de la bienheureuse Vierge qu’ils portaient avec leurs chaînes. Je les conduisis jusqu’au Roi qui les reçut et me demanda d’attendre la Reine qui arrivait avec les autres gens. Elle était accompagnée du Cardinal d’Espagne ; la Reine les reçut avec respect et ordonna de les emmener au château de Santa Fe… Une foule s’approchait du château. Un religieux prit une croix et monta à la tour la plus haute avec l’archevêque de Cagliari, l’évêque de Malaga et beaucoup d’autres ecclésiastiques. Et, la Croix levée très haut, tous chantèrent à pleine voix 0 crux ave spes unica (Salut, ô croix, espoir unique). Le frère du comte de Cifuentes tenait dans ses mains l’étendard de Saint-Jacques et l’étendard royal, et trois fois les étendards furent inclinés devant la Croix. A la fin de l’hymne, un héraut du Roi se hissa sur ladite tour et cria trois fois : « Saint Jacques. Grenade et Castille. Avec ton secours, ces villes sont placées sous l’empire du Roi et de la Reine qui par la force ont amené à la foi catholique cette ville de Grenade, ses forteresses, tout son royaume avec l’aide de Dieu, de la Vierge Marie et de saint Jacques, et d’Innocent VIII, avec les prélats, les gens, les villes, les peuples desdits Roi et Reine et de leurs royaumes. »

Puis retentirent les trompettes et crépitèrent les salves de bombardes en présence du Roi et de la Reine qui, entourés de la foule et du clergé, agenouillés et les mains jointes, rendirent grâce à Dieu en chantant le Te Deum laudamus. Le roi musulman baisa alors les mains de notre Roi et de notre Reine qui firent amener le fils dudit Roi, retenu en otage, et le firent rendre à sa mère. Le grand Commandeur et le comte de Tenailla demeurèrent en ladite forteresse avec deux mille cavaliers et cinq mille fantassins. Dans cette forteresse étaient emmagasinées trente mille charges de farine et vingt mille charges d’orge et au château de Santa Fe s’installèrent don Juan de Sotomayor et le majordome Santangel avec leurs gens. Le jour suivant, le Roi et la Reine regagnèrent leur résidence. Quelques jours plus tard eut lieu la procession depuis le château jusqu’à la ville de Santa Fe. Le Roi et la Reine y participèrent avec quatre cent religieux et prêtres. Y vinrent sept cents des prisonniers auxquels le Roi et la Reine donnèrent des vêtements et des présents. A toutes ces choses je fus présent.

Fait à Grenade le 7 janvier 1492. Bemardo del Roi


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