Economie : Aujourd’hui, la banque centrale européenne peut-elle lutter contre l’inflation ?

vendredi 23 mai 2008.
 

Série de questions à Lîem Hoang-Ngoc sur France Inter, chez Patricia Martin

Alors que certains prix flambent, la hausse du niveau général des prix flirte désormais avec les 3%, taux encore faible, mais le plus important depuis 1992. Patricia, connaissez-vous l’argument qui justifie que l’on ait confié à la Banque centrale la mission de lutter contre l’inflation ?

Patricia Martin : non, mais vous allez l’expliquer à nos auditeurs

Il revient à considérer que l’inflation apparait quand la Banque centrale émet trop de monnaie. Survient alors un excès de demande sur les marchés. Les prix sont poussés à la hausse car l’économie ne peut pas produire plus si personne ne veut travailler plus.

Cet argument est défendu par les économistes monétaristes (qui sont des libéraux). Or l’hypothèse d’une inflation d’origine monétaire est invalidée dans la réalité. La masse monétaire croît à un rythme proche de 15%, sans que l’inflation ne dépasse pour l’heure 3%, parce que l’économie est loin d’être en plein-emploi.

Si les prix ont explosé dans certains secteurs, ce n’est aucunement parce que la Banque centrale a injecté depuis cet été des liquidités pour sauver les banques de la déroute, mais c’est pour des raisons spécifiques aux marchés du blé, du lait, de l’énergie, du logement et de la grande distribution.

Ainsi, la hausse du prix des matières premières agricoles et énergétiques pèse sur les coûts de production des entreprises qui les utilisent. Celles-ci répercutent donc cette hausse sur leurs prix afin de préserver leurs profits. Certains en profitent même pour accroître leurs marges, comme dans l’agro-alimentaire et la grande distribution.

Les économistes disent que ce type d’inflation, par les coûts, est d’origine structurelle et non pas monétaire.

Que peut-on faire alors, face à une telle inflation ?

Face à une inflation structurelle, c’est une politique influençant la formation des prix des secteurs concernés qui s’avère appropriée. Quelques exemples.

L’inflation par les coûts salariaux qui prévalait dans les années 70 a été vaincue par les politiques de rigueur salariale, qui se poursuivent d’ailleurs à l’excès. La hausse des prix de l’énergie nécessite une réflexion pour sortir du « tout pétrole ». L’engagement public en faveur des énergies renouvelables doit alors devenir une priorité nationale.

La hausse des prix du blé et du lait requiert une mise à jour de la politique agricole commune.

La politique du logement doit également être repensée. Enfin, pour bienvenue qu’elle soit, l’ouverture à la concurrence dans la grande distribution paraît illusoire, compte tenu des ententes oligopolistiques constituées. Il faudra sans doute en venir à un certain encadrement des prix de détail, si ce n’est inventer un service d’intérêt général de la distribution.

Et que peut faire la Banque centrale ?

Face à ce type d’inflation, d’origine non monétaire, la pire des solutions serait que la banque centrale s’en mêle. Son premier réflexe sera de resserrer la politique monétaire pour casser la demande qu’elle pense être à l’origine de l’inflation, alors que la croissance européenne est déjà la plus faible du monde. Le niveau excessif des taux d’intérêt entretiendrait une crise de crédit à l’heure où les banques souffrent de la mésaventure des subprimes.

Il provoquerait une nouvelle appréciation de l’euro face au dollar, dont les entreprises allemandes elles-mêmes commencent à souffrir. 1 euro s’échangeait en février contre 1,52 $.

Ceux qui réclament l’ouverture du débat interdit sur les objectifs de la politique monétaire ne sont donc pas des démagogues. S’ils ne vont pas jusque-là, d’éminents économistes, réunis autour du prix Nobel Robert Solow, viennent de lancer un appel pour une véritable politique macroéconomique en Europe. On est en droit d’attendre que ce débat s’ouvre enfin lors de la présidence française de l’Union en juillet prochain.

Le dicton du jour : « En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées ! »


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