En Angleterre comme en Italie le blairisme conduit la gauche dans le mur (et en France ?)

samedi 31 mai 2008.
 

Quelques citations pour commencer :

« Je pense que l’attachement de Margaret Thatcher à la libre entreprise était juste. La Grande Bretagne a surtout besoin de gens qui réussissent grâce à l’argent qu’ils gagnent. » Tony BLAIR, 1997

« Il faut reconnaître que Tony Blair a donné à son pays un formidable coup d’accélérateur et de dynamique [...], il a poussé en avant son pays. » Ségolène Royal - Interview au Guardian - 3 mars 2006

« La plupart des gens ont abandonné depuis longtemps la représentation du monde inspirée du dogme de la droite et de la gauche. » Manifeste de la « 3ème voie », signé en 1999 par Blair et Schröder

« L’Etat-providence crée plus de problèmes qu’il n’en résout » Anthony Giddens, conseiller de Tony Blair et théoricien de la « 3ème voie ».

Les résultats des récentes élections législatives en Italie comme celui des municipales britanniques conduit au même constat : c’est une droite dure et ultra libérale qui l’a emportée contre une gauche prétendument moderne mais en réalité molle et sans identité précise, sans cap ni boussole.

En Italie, Silvio Berlusconi est donc à nouveau Président du Conseil deux ans après sa défaite d’avril 2006. Allié aux post-fascistes d’Alliance Nationale et aux séparatistes xénophobes de la Ligue du Nord, il ne fait aucun doute que la politique qu’il souhaite mettre en oeuvre répondra aux impératifs du patronat le plus libéral et rétrograde et que ses intérêts personnels seront bien gardés. La droite a également conquis la mairie de Rome dont elle était privée depuis la fin de la seconde guerre mondiale... En Grande Bretagne, le parti conservateur l’emporte largement lors des municipales, les travaillistes au pouvoir depuis 1997 n’arrivent même qu’en troisième position derrière les libéraux démocrates, équivalents du MODEM français. Dans ces deux pays, la gauche vient donc de connaître deux bérézina politiques dont il faut tirer toutes les leçons en vue du prochain congrès du PS français.

Car au delà de la catastrophe que constitue pour les classes populaires, les salariés et la jeunesse le retour au pouvoir des nostalgiques de Mussolini en Italie et la menace d’un retour pur et dur aux années Thatcher en Angleterre, ces résultats sonnent comme une claque pour tous les dirigeants socialistes qui lorgnaient sur ces soi-disants modèles. En février 2006, Ségolène Royal elle-même ne faisait-elle pas l’éloge de Blair dans le Financial times, la bible des milieux d’affaires londoniens ? Depuis quelques mois combien d’odes au nouveau parti démocrate italien a-t-on entendu ? On nous sommait de nous aligner sur cette pseudo rénovation à l’italienne pour enfin renouer avec le chemin de la victoire... Tous les leaders de la droite du PS se précipitaient à Rome pour rencontrer le moderne et télégénique Walter Veltroni qui, selon eux, ne devait faire qu’une bouchée de Berlusconi. La fondation du parti démocrate avait provoqué l’enthousiasme de tous ceux qui veulent depuis longtemps que la gauche française s’aligne totalement sur les renoncements des social-démocraties européennes.

En effet, la création de ce parti s’est fait par la fusion des démocrates chrétiens venus d’une organisation nommée la Marguerite et de tout un pan des Démocrates de gauche. Ce parti ne fait bien entendu plus aucune référence au socialisme démocratique ni même à la gauche de manière générale ! Il se positionne sans complexe au centre de l’échiquier politique et son projet n’est qu’un accompagnement et une adaptation à l’Europe libérale. D’ailleurs plusieurs élus de la nouvelle formation siègent au Parlement européen dans le groupe de Francois Bayrou où ils votent sans problème toutes les directives de libéralisation et de casse des services publics. C’est là l’ultime mue du Parti communiste italien, le plus influent d’Europe de l’ouest dans les années 70, qui avait en 1991 renoncé à son nom pour se transformer en parti des démocrates de gauche puis simplement en Démocrates de gauche depuis 1994 avec un programme de plus en en plus recentré au fil des ans. Au pouvoir de 1996 à 2001 puis de 2006 à 2008, sa politique n’ a jamais permis de faire reculer la menace Berlusconi. Au contraire, celui ci l’a même emporté par trois fois contre cette gauche libérale qui, depuis longtemps, ne fait plus que rêver les éditorialistes mondains mais de moins en moins le peuple de gauche italien.

En avril 2006, Romano Prodi qui noue une coalition allant jusqu’à une partie de l’extrême gauche ne parvient à l’emporter que de justesse. C’est la chute de son gouvernement qui a entrainé des législatives anticipées. Veltroni s’est alors imposé comme chef de file du parti démocrate et a refusé toute union des forces de gauche contre Berlusconi qui, lui, avait rassemblé son camp sur un projet clair... On connait la suite. Le parti démocrate qui a réalisé 37 % des voix est cependant parvenu à capter une majorité de l’électorat de gauche qui, malgré une campagne sans relief de Veltroni, ne voulait pas du retour au pouvoir de cette droite dure et arrogante. Du même coup les partis de la gauche radicale ont été siphonnés et, avec seulement 3,2 % des suffrages, n’ont plus aucun élu au Parlement... Là aussi c’est une leçon... quand le premier parti de gauche se déporte vers le centre c’est toute la gauche qui en paie le prix et c’est les salariés et les jeunes qui toujours trinquent de l’inconséquence de leurs dirigeants...

En Grande Bretagne, la situation est un peu différente bien que la leçon politique soit la même. Nous ne reviendrons pas ici sur le bilan de 10 ans de blairisme et d’alignement servile sur l’impérialisme US, mais un constat s’impose d’emblée au vue des dernières municipales : l’effondrement du parti travailliste (qui par ailleurs a perdu des milliers d’adhérents écoeurés par sa politique et ses pratiques...) profite d’abord à la droite la plus libérale et la plus réactionnaire. Tous les partis socio-démocrates européens sont aujourd’hui battus lors des élections car ils n’incarnent pas d’alternative crédible et mobilisatrice pour les salariés. Un boulevard s’ouvre alors pour les solutions nationalistes, autoritaires et libérales dans toute l’UE.

En tous cas ces résultats terribles pour toute la gauche continentale doivent nous permettre d’en tirer d’utiles conclusions dans les débats en cours. Pour incarner la relève et le débouché politique aux luttes sociales, le PS ne peut prendre pour modèle l’expérience italienne qui a conduit à la catastrophe. D’ailleurs cette thèse s’est déjà vérifiée dans notre pays, le projet de centre gauche des socialistes défendu lors des trois dernières présidentielles a été chaque fois sèchement battu ! Il faut un projet qui remette au coeur ce qui a fondé l’identité du socialisme : la question sociale. Pour être audible, il faut fuir comme la peste tous ces donneurs de leçons mondains, carriéristes et en définitive ralliés à l’ordre dominant. Il faut parler haut et fort contre Sarkozy et sa clique, soutenir les résistances sociales, défendre la redistribution des richesses, l’augmentation des salaires, le code du travail, l’éducation pour tous, une autre Europe !

Il faut unir la gauche autour d’un programme hardi qui réponde enfin à l’urgence sociale sans se soumettre aux valets du libéralisme que sont devenus tous ces soi-disant rénovateurs qui nous conduisent partout et toujours à la défaite.

Julien Guérin


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message