Autain, Boltanski, Claverie, Lebaron, Onfray, Viviant : la tribune qui a posé les bonnes questions (par Francis Sitel, Christian Picquet, Alain Faradji)

mercredi 11 juin 2008.
 

D’évidence, l’initiative prise, dans Le Monde du 30 mai, par Clémentine Autain, Luc Boltanski, Élisabeth Claverie, Frédéric Lebaron, Michel Onfray et Arnaud Viviant, de s’adresser aux initiateurs du « nouveau parti anticapitaliste », a fait mouche. Ce 6 juin, trois membres de la majorité de la LCR, Philippe Corcuff, Pierre-François Grond et Anne Leclerc viennent de leur répondre, toujours dans Le Monde. C’est déjà une bonne nouvelle : cela faisait si longtemps que le plus élémentaire dialogue paraissait devenu impossible entre celles et ceux qui à gauche se réclament de la transformation sociale...

Bien évidemment, on est légitimement en droit de critiquer la méthode retenue par la majorité de la LCR (et nous l’avons fait, pour ce qui nous concerne) pour aboutir à une nouvelle organisation d’ici la fin de l’année. Cela dit, même avec une ambition affichée qui se révèle à notre avis bien trop restrictive, la proposition de la LCR rencontre une indéniable attente. On ne peut ignorer que la LCR est la seule organisation posant aujourd’hui publiquement la question d’un nouveau parti et affirmant qu’elle est prête à mettre en jeu ses formes actuelles d’existence. Ce qui contribue à placer au premier plan l’enjeu crucial du moment : comment faire surgir une nouvelle force politique, porteuse d’une proposition de rupture avec l’ordre dominant et à même de commencer à combler le vide sidéral créé par la dérive droitière ininterrompue du Parti socialiste.

C’est donc un enjeu important que de savoir à présent si la proposition débouchera sur une LCR élargie, ou si elle représentera un premier élément de la reconstruction d’une nouvelle représentation politique pour le monde du travail.

Un enjeu d’importance

Nous partageons l’idée que, forte des responsabilités accrues que lui offre l’audience d’Olivier Besancenot, la LCR doit, comme l’y invitent les signataires de la tribune, s’adresser « grand angle » à l’ensemble des forces, courants et militants qui n’entendent pas faire du capitalisme libéral l’horizon indépassable de leur action.

Si l’on veut, en effet, battre en brèche l’hégémonie du PS sur la gauche, il s’impose évidemment de débattre avec tous les courants politiques au sein desquels l’avenir - voire le dépassement - sont actuellement en débat. Nous l’avons déjà dit et nous le répétons : le futur « NPA », s’il veut réellement concrétiser la volonté affirmée de s’ouvrir au « meilleur des traditions du mouvement ouvrier », ne peut se résumer à la rencontre entre l’actuelle LCR avec celles et ceux qui, « en bas », aspirent à « se représenter eux-mêmes ».

En ce sens, la tribune du 30 mai pose les bons problèmes. « La question, dit-elle, est de savoir quelle organisation constituer et comment ». Et de critiquer, fort justement, « la posture de fermeture de la LCR à l’égard des différents acteurs et courants de la gauche naguère appelée antilibérale, au moment même où l’organisation est censée s’ouvrir et muter. Les rencontres initiées par la LCR auprès de ses partenaires potentiels restent introuvables ». Les signataires ajoutent à ce propos : « Si nous sommes convaincus des limites d’une construction « par le haut » de la force nouvelle - ces tentatives ont, il est vrai, à plusieurs reprises échoué ces dernières années -, nous pensons que l’on ne peut faire l’impasse sur la recherche active d’un spectre suffisamment large de sensibilités, de cultures et de traditions de la gauche d’alternative pour pouvoir engager un mouvement populaire et durable. ... Pensez-vous que la LCR possède, à elle seule, les ressources pour fabriquer le parti politique dont la gauche a besoin, capable de rivaliser avec le PS ? »

Tels sont, en effet, les termes de la discussion qu’il nous faut aujourd’hui mener tous et toutes ensemble. Le but, à terme, doit être de parvenir à un grand parti pour le socialisme rassemblant toutes les sensibilités antilibérales et anticapitalistes au sein de la gauche pour bouleverser la donne politique. Pour autant, il n’est, bien entendu, pas question d’attendre que toutes les conditions en soient réunies. C’est dans cette mesure que la proposition de la LCR de construire, avec celles et ceux qui le souhaitent d’ores et déjà, un « nouveau parti anticapitaliste » peut être un point d’appui d’importance. À la condition que le NPA ne soit pas une fin en soi, qu’il représente une étape vers la réorganisation indispensable de l’ensemble de la gauche et du mouvement ouvrier. Un premier regroupement pluraliste, permettant de faire progresser l’objectif du grand parti pour le socialisme qui s’avère si nécessaire. Un point de départ et non un point d’arrivée.

Lever toute ambiguïté

Pour prendre au rebond les questions des Six, cela suppose naturellement de débarrasser la démarche engagée de toute ambiguïté.

S’agit-il d’abord, derrière la volonté affichée de dépasser la LCR, d’aboutir à une formation qui ne regrouperait que les partisans de « la transformation révolutionnaire de la société » ? Le risque serait alors de définir le NPA comme une organisation d’extrême gauche plus forte ou modernisée. Donc de ne pas répondre à l’attente suscitée parmi celles et ceux qui, sans se définir nécessairement comme des « révolutionnaires », aspirent à une gauche qui parle et agit enfin... à gauche. Révolutionnaire, la LCR n’a aucune raison de transiger sur ses convictions et les racines de ses engagements. Toutefois, si elle veut poser un premier jalon vers l’objectif d’un bouleversement des rapports de force politiques, elle doit affirmer que, pour ce qui la concerne, elle est prête à faire l’expérience loyale d’une formation politique avec d’autres courants, d’autres traditions, d’autres histoires militantes, dès lors qu’existerait une vision commune des enjeux du moment et des tâches qui en découlent.

Dans cette perspective, y compris dans la définition des étapes qui permettraient d’y parvenir, la dimension de l’indépendance envers le Parti socialiste ne saurait être esquivée. À cet égard, c’est sans doute une faiblesse de la tribune des Six que de ne pas aborder le fond de la discussion lorsqu’ils notent : « Vous prônez l’indépendance vis-à-vis du PS : cela nous convient, à la condition de ne pas fermer le débat sur les conditions et les formes de cette indépendance. » Il convient, sur un point de cette importance, de parler sans faux-semblants. Nous touchons là aux raisons des défaites et de la désorientation qu’a connues la gauche au cours des 25 dernières années, comme de sa crise présente : la domination d’un parti qui est allé toujours plus loin dans sa démarche d’adaptation aux exigences du capitalisme libéral. Les forces qui, à l’instar du Parti communiste ou des Verts, ont choisi de s’allier à lui dans ces conditions, en prétendant qu’elles parviendraient ainsi à infléchir à gauche sa politique, n’ont cessé d’échouer. Elles en subissent même, jusqu’à ce jour, le discrédit et les conséquences destructrices. Si l’objectif est bien, comme le disent les Six, « de rivaliser avec le PS », autrement dit de rendre majoritaire une logique de contestation conséquente du libéralisme et du capitalisme, il se révèle indispensable de refuser d’intégrer des coalitions gouvernementales ou parlementaires, voire des majorités de gestion locales, sous la domination d’un PS ayant renoncé à défendre une alternative au libéralisme.

Il est, en revanche, parfaitement vrai qu’un semblable choix ne peut s’apparenter à une indifférence envers les débats qui traversent le reste de la gauche, voire à une posture qui, sous prétexte de « saine méfiance libertaire » envers les dérives institutionnelles passées, ne répondrait pas à la question nodale du pouvoir. Ce qui laisserait François Hollande renvoyer la gauche de gauche à la pure incantation - ou à la protestation, comme il aime à le dire - pour conserver le monopole d’une posture « responsable ». La LCR et le futur NPA devraient donc, pour cette raison et sans atermoiements, ouvrir la discussion publique sur les termes du problème : ou l’on gouverne aux conditions du libéralisme et du capitalisme ; ou l’on gouverne à gauche, en s’appuyant sur les luttes et les aspirations des salariés, en prenant une série de décisions de rupture. Et en conclure, tout aussi publiquement, qu’une gauche de transformation soutiendrait un gouvernement s’engageant dans la voie d’une semblable rupture radicale, mais que, à l’inverse, elle s’opposerait à un gouvernement, autant qu’à une majorité parlementaire, tournant une fois de plus le dos aux intérêts des travailleurs et de la jeunesse.

Continuons le débat...

On ne peut, à cet égard, et sur tous les points qui viennent d’être évoqués, en rester aux réponses de la majorité de la LCR au texte des Six. Même si l’on doit saluer les avancées qui pointent, çà et là, dans la dernière tribune du Monde. Lorsque, par exemple, celle-ci affirme que la Ligue serait « prête à soutenir une expérience gouvernementale qui inverserait le cours néolibéral des politiques dans la perspective d’une sortie du capitalisme », démarche absolument correcte mais qui ne figure malheureusement pas dans la contribution que la LCR versera à la discussion de la rencontre des comités d’initiative pour le « NPA », à la fin du mois (Rouge l’a publiée le 29 mai). Ou encore lorsqu’est ouverte - quoique trop timidement - la porte à une discussion avec les « forces à gauche du PS » : « Nous ne cesserons pas d’ailleurs ce processus de discussion », écrivent les trois signataires.

Il reste qu’entre un processus dynamique, largement ouvert dès le départ, appelant d’autres reclassements par la suite, et l’ambition réductrice d’une construction dont la LCR serait l’unique colonne vertébrale, le choix n’est toujours pas clairement fait. Corcuff, Grond et Leclerc persistent à ignorer la profondeur de la crise qui agite les principales composantes de la gauche, autant que l’importance des débats qui les traversent. « Nous n’avons pas posé une opération de recomposition politique entre divers courants organisés comme préalable à la reconstruction d’une force anticapitaliste », écrivent-ils, comme s’ils voulaient récuser une idée qui ne leur avait pas été suggérée (nul n’a jamais évoqué un « préalable » à un premier regroupement de forces) et refermer implicitement les portes qu’ils avaient eux-mêmes entrouvertes...

Mais, au fond, la seule chose importante est que le débat soit enfin ouvert. Des échanges en cours dépendra, pour partie, l’avenir. Celui de la gauche de transformation tout entière, autant que celui du futur « nouveau parti anticapitaliste ». Espérons que beaucoup d’autres vont maintenant s’engouffrer dans la fenêtre entrouverte de cette confrontation indispensable...


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