LA REVOLTE ET APRES ? (par Patrick Mignard)

dimanche 15 juin 2008.
 

Devant l’agression sans précédent contre les conditions de vie, de travail, la protection sociale,... une colère sourde gronde de plus en plus... jusqu’à présent en vain.

Les organisations politiques et syndicales classiques sont incapables d’offrir une issue à cette crise, nous en avons aujourd’hui la preuve tangible. Pire le système en place fait, au travers de son système électoral, et des manipulations de pseudo dialogue, qu’il peut que reproduire sans problème, avec la complicité d’une légitimité populaire.

LES LIMITES DE L’ESPRIT DE REVOLTE

L’esprit de révolte a quelque chose d’enivrant, de grisant, en ce sens qu’il est à la fois l’expression d’un sentiment profond, individuel et collectif et qu’il donne l’illusion que tout est possible pour faire cesser la contrainte, l’injustice, l’inacceptable.

Cet esprit de révolte a une autre dimension non négligeable, il est un incessant rappel à des heures passées, glorieuses et qui furent pleine de promesses : les révoltes ouvrières, la Résistance, Mai 68,... Par lui l’Histoire nous pousse en avant, en nous incitant à un mimétisme troublant et artificiel, aussi bien celles et ceux qui ont vécu ces moments que celles et ceux qui les ont intégré dans leur conscience comme une sorte de mythes.

La force de la révolte c’est qu’elle est fondée, ancrée dans le vécu... et fait rêver.

C’est probablement cette prégnance objective qui fonde l’esprit de révolte qui est à l’origine de tous les dérapages en matière de pratique politique.

Autrement dit, ce n’est pas parce que la cause est juste et que la révolte est logique que la victoire est certaine et que les objectifs de libération seront atteints. Toute l’Histoire, de Spartacus au mouvement ouvrier, en passant par les révoltes paysannes dans l’Europe du Moyen Age et la Commune de Paris, en est la plus évidente confirmation.

Cette évidence historique nous l’avons complètement oublié et nous ne nous en tenons qu’à l’aspect héroïque, voire symbolique, de ces épisodes. Tentant naïvement de reproduire les exploits de héros mythiques qui, s’ils n’en ont pas moins défendu des causes justes, n’en ont pas moins non plus été vaincus.

Aujourd’hui, cette révolte ne s’exprime que de manière corporatiste, symbolique, par des manifestations ridicules de naïveté et d’inutilité.

Ce dont nous avons besoin aujourd’hui ce n’est pas d’épopées héroïques, de héros charismatiques, voire de martyres,... mais d’une stratégie efficace qui, en tenant compte des erreurs passées, nous assure la victoire, la vrai, celle qui reste.

LES PIEGES DE LA REVOLTE

La révolte n’est pas une stratégie et si elle est, ce qui est incontestable, l’expression d’une conscience, d’une intelligence immédiate de la réalité, elle ne fonde absolument pas la manière d’agir en vue de la transformation de cette réalité. La révolte est aussi « courte » dans ses projections dans le futur que spontanée dans l’expression d’un sentiment... et, chose que l’on a totalement oubliée, l’accumulation d’un potentiel de sentiment de révolte ne fait pas du tout une stratégie de changement.

Si l’esprit de révolte est nécessaire comme expression d’un refus et prise de conscience, il est tout à fait insuffisant pour faire que l’action menée à ce moment là soit, stratégiquement, une lame de fond du changement social. Les exemples sont multiples d’une explosion sociale,... sans lendemain.

La puissance, conjoncturelle, généralement temporelle, d’un mouvement de révolte trompe sur sa capacité à changer structurellement la situation qui l’a provoqué. On croit lire dans la révolte, au-delà de la volonté, l’esquisse d’un monde nouveau... ce qui est absolument faux... l’Histoire nous le prouve.

Lorsque cette révolte prend même une allure insurrectionnelle, rien ne dit que le processus de transformation sociale est enclenché. L’Histoire du 20e siècle nous a largement montré comment des révoltes habilement menées au point de s’emparer même du pouvoir et croyant, à tort se transformer en révolutions - ont totalement dégénéré dans le contraire de ce qu’elles prévoyaient et ont disparu, elles et leurs réalisations, au bout de quelques décennies.

Aujourd’hui, la même vision aberrante, mais dans la version « légaliste » anime les « leaders médiatico- charismatiques montés comme des blancs d’œuf par les médias » de la transformation sociale. Surfant sur les mécontentements, ils essayent de les rassembler en vue de se faire élire... on sait ce que cela donne.

Donner à croire en un fondement stratégique de la révolte c’est s’engouffrer dans une impasse.

Le pouvoir, tous les pouvoirs ont toujours su assurer leur pérennité. Ils ont toujours trouvé des mercenaires surarmés, brutes payées, prêtes à toutes les infamies pour assurer leur ordre, déterminés à utiliser la violence, toujours présentée comme légitime, pour garantir leur domination. Ils ont toujours su sécréter une idéologie mystificatrice qui trouvait toutes les bonnes raisons du monde pour justifier l’ordre établi. Le peuple, même armé, n’est même pas sûr de la victoire,... encore moins armé de bulletins de vote.

La révolte se termine généralement dans le sang des révoltés.

Pousser à la colère, à la révolte, sans stratégie correcte, c’est-à-dire allant dans le sens d’une dynamique de changement de rapports sociaux, et non se limitant, comme c’est généralement le cas, à un simple coup d’Etat militaire ou coup d’éclat électoral, c’est se condamner à ne rien changer.

AU DELA DE LA REVOLTE

Il n’y a rien de possible au-delà de la révolte si celle-ci n’est que l’expression spontanée d’un simple refus. Ce n’est pas parce que l’on est, et même nombreux, contre un état de fait que l’on a forcément la solution de son dépassement, et même si l’on en a une vision idéalisée ce qu’ont eu la plupart des « révolutionnaires » au 20e siècle cela ne veut pas dire que le changement est possible et viable.

Tout en prenant l’esprit de révolte pour ce qu’il est le refus et la prise de conscience il faut tout de même se garder de ne pas lui faire dire plus que ce qu’il signifie et espérer de lui plus qu’il ne peut apporter. Cette attitude est complètement ignorée aujourd’hui par les pseudo théoriciens du changement social qui prennent leurs désirs du moins pour celles et ceux qui sont politiquement honnêtes - pour la réalité.

L’au-delà de la révolte, en dehors de son échec source de frustration, ne peut être que la prise en main collective d’un nouveau type de relations sociales. Or, et l’Histoire nous le rappelle constamment, celles-ci ne sont pas d’une génération spontanée.... C’est d’un aventurisme suicidaire que de le croire.

L’histoire des changements sociaux n’est que l’Histoire d’une évolution de nouveaux rapports sociaux qui minent peu à peu le système dominant. Toute expérience qui a fait l’hypothèse que l’on pouvait faire table rase sans rien avoir construit, prévu, s’est terminée dans le drame. Des exemples ?

La « pureté » naïve et le caractère prémonitoire des discours radicaux aujourd’hui, n’a d’égal que le vide des perspectives qu’ils offrent... ce qui explique leur stagnation en tant que référence politique.

C’est donc à cette révision fondamentale de notre conception, vision des changements sociaux à laquelle nous devons nous atteler au lieu de trépigner d’impatience devant ce système qui nous conduit à la catastrophe et vis-à-vis duquel nous ne savons pas quoi faire de concret.

Juin 2008 Patrick MIGNARD


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