Nouveau Parti Anticapitaliste : Tribune de François Chesnais (rédacteur de la revue « Carré Rouge)

vendredi 13 juin 2008.
 

Tribune de François Chesnais : Pour un travail théorique collectif

La LCR a pris l’initiative de proposer, cette fois vraiment, la création d’un nouveau parti anticapitaliste (NPA), de lancer ses forces majoritairement dans ce combat politique et, si les choses avancent, de se dissoudre. La formation d’un nouveau parti à partir d’une seule organisation politique constituée (au moins pour l’instant) est une aventure politique nouvelle (en 1958, ce ne fut pas le cas pour le Parti socialiste unifié, né de la fusion entre le PSA et l’UGS avec l’apport du noyau PCF de Jean Poperen). Le chemin pour réussir le pari du NPA sera dur. Pas simplement du fait de l’hostilité du Parti socialiste et du PCF comme de ceux qui se sont faits, au moins sur cette question, leurs alliés. En raison surtout d’une situation mondiale complexe et dangereuse, qui rend la formation du NPA à la fois nécessaire et difficile. Les détracteurs du NPA proclament que ce sera une « LCR-bis », un peu élargie, pas vraiment modifiée. L’enjeu est effectivement que le parti à construire soit vraiment nouveau. Cela exige notamment de prendre à bras-le-corps les questions théoriques.

La proposition la plus radicale et aussi la plus moderne de la pensée anticapitaliste est celle qui figure en tête du Manifeste communiste de 1848 : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » On en voit l’expression dans les luttes multiformes menées sur de nombreux terrains. Elles restent très dispersées. Elles changeront de qualité le jour où une perspective commune commencera à unir celles et ceux qui les mènent, ne fût-ce que de façon partiellement consciente ; le jour où il leur semblera possible de nouveau de se projeter collectivement dans l’avenir. C’est cela, au fond, qui fut le « secret » de 1968. Le NPA peut et doit y aider, ce qui suppose donner d’emblée au travail théorique une place centrale. Il n’a en tout cas guère le choix. Sous peine d’échouer, le NPA ne peut pas adopter les mots d’ordre de la LCR en l’état. Au moment du congrès constitutif, il faudra qu’un premier travail théorique permette déjà de les reformuler et d’en dégager de nouveaux. La LCR a eu un peu conscience de ce travail, mais l’a toujours renvoyé à plus tard. C’est surtout comme membres de tendances, dont il serait bien qu’elles se dissolvent en même temps que la LCR, que certains militants ont mené un travail théorique. Il doit devenir l’une des priorités du NPA.

Le socle de l’internationalisme est que l’ennemi des exploités et des opprimés se trouve d’abord dans le pays même. Être anticapitaliste, c’est combattre le gouvernement et le Medef, pour ce qu’ils font en France comme pour leurs agissements dans le monde. La mondialisation capitaliste contemporaine et la place que l’impérialisme français y occupe, font que l’internationalisme commence ici. Il concerne d’abord toutes les questions touchant les travailleurs immigrés et leurs familles. Le NPA naît aussi au moment où, sous l’effet de la mondialisation, se produit une mutation qualitative de paramètres clés affectant les conditions quotidiennes d’existence des salariés et des opprimés. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont la forme française de problèmes auxquels ceux-ci doivent faire face partout, le plus souvent dans des conditions très difficiles. La plupart des problèmes sont causés directement par la poursuite du profit « sans fin et sans limites » et par l’anarchie du marché mondial. Leur solution ne peut venir que de formes d’association et d’alliance des salariés de différents pays, dont le premier objectif serait de réorganiser l’économie mondiale de façon à mettre fin à la terrible concurrence par laquelle le capital dresse les travailleurs les uns contre les autres.

Mouvement « autonome »

La même association s’impose pour ce qui est des mesures à prendre afin de faire face au réchauffement climatique et à la destruction des ressources naturelles, où on est confronté à des processus qui frappent, en premier et le plus fortement, les pays et les couches sociales les plus vulnérables. L’irréversibilité de la hausse prix du pétrole appelle un programme politique spécifique face aux lobbies de l’énergie et de l’automobile, comme à ceux du nucléaire et du bâtiment. La hausse des prix alimentaires exige le démantèlement du pouvoir de la grande distribution, ainsi que la reconstitution d’une agriculture libérée de la domination des groupes agrochimiques et insérée dans des relations commerciales où les exportations d’Europe ne viennent pas détruire l’agriculture vivrière en Afrique. La lutte contre les restructurations et les délocalisations doit être nourrie de l’idée, propre à l’anticapitalisme, de rétablissement par les travailleurs associés de la maîtrise de leurs conditions d’existence et de production, dont le capitalisme les a dépouillés.

L’idée maîtresse de l’émancipation des travailleurs comme l’œuvre des travailleurs eux-mêmes réacquiert toute son actualité, du fait qu’en France, comme dans presque tous les pays, les salariés et les opprimés se heurtent à un verrou politique d’une ampleur et d’un type sans précédent. Il est fait d’une capitulation intellectuelle quasi totale devant l’idée que le capitalisme est « indépassable », de la mise en place d’un fort système de « gouvernance » néocorporatiste situé en amont de la scène politique, auxquels les syndicats participent de façon active, et enfin de mécanismes politico-électoraux qui achèvent de vider la démocratie représentative de tout sens (ce sont des questions que j’ai traitées dans mon article dans le numéro 2 de la revue Carré Rouge-La Brèche). Il n’y a qu’un mouvement « autonome » uni et massif des salariés et des jeunes, occupant peu à peu politiquement l’espace publique et contrôlant plus tard des sites de travail, qui puisse faire sauter ce verrou. Ce doit être le but du NPA de les y aider. Cela ne peut se faire qu’à l’aide d’un travail collectif visible, et les campagnes électorales ne peuvent être qu’un outil parmi d’autres.

François Chesnais


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