14 décembre 1995 Les Accords de Dayton consacrent une Bosnie morcelée ethniquement

lundi 18 décembre 2023.
 

Il y a vingt ans, le 14 décembre 1995, étaient signés les accords de Dayton, qui scellèrent la paix en Bosnie-Herzégovine et organisèrent l’administration du pays sur une base ethnique. Les institutions, uniques 
au monde, sont depuis devenues irréformables et inefficaces, au point d’attiser les mouvements sociaux.

Un État, mais divisé en deux «  entités  », dix cantons et un «  district  », treize gouvernements, treize Parlements, des dizaines de ministres, des centaines de députés, et un pays bloqué, paralysé par cet invraisemblable carcan administratif qui consolide les divisions issues de la guerre et garantit le pouvoir des oligarchies ethno-nationalistes…

Il y a vingt ans, le 14 décembre 1995, les accords de paix négociés durant plusieurs semaines sur la base américaine de Dayton, dans l’Ohio, étaient officiellement signés à Paris. Ces accords résultent d’un «  compromis pragmatique  », comme s’entendent à l’expliquer tous les acteurs des négociations. Ils ont mis un terme à la guerre qui ravageait le pays depuis plus de trois ans, mais ils n’ont pas permis à la Bosnie-Herzégovine de trouver un mode normal de fonctionnement. Et, depuis vingt ans, une seule question domine tout le débat politique bosnien  : comment «  réformer  » Dayton, et notamment l’annexe des accords, qui sert toujours de Constitution «  provisoire  » du pays, comment sortir de ce cadre imposé  ?

Le mécano institutionnel imaginé par les négociateurs de Dayton fait en effet de la Bosnie-Herzégovine un véritable casse-tête institutionnel. La Republika Srpska – l’entité serbe, qui couvre 49 % du territoire – fonctionne sur un mode centralisé, avec son Assemblée nationale et son gouvernement, tandis que la Fédération croato-bosniaque de Bosnie-Herzégovine est elle-même divisée en dix cantons, à prédominance tantôt bosniaque, tantôt croate. Il existe bien un Parlement et un gouvernement de la fédération, mais les cantons ont de très larges compétences. Ils disposent de leur propre police, de leur système judiciaire, ils gèrent l’éducation, la santé, les affaires sociales, etc.

Il existe enfin un Parlement national et une présidence collégiale tournante, qui se compose de trois membres, un Bosniaque, un Croate et un Serbe. En décembre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Bosnie-Herzégovine pour «  discrimination  », sur la base d’une plainte émise par Jakob Finci et Dervo Sejdic, deux citoyens de Bosnie respectivement issus de la communauté juive et de la communauté rom du pays. La Cour a donné droit à leurs arguments en reconnaissant que les personnes n’appartenant pas aux trois «  peuples constitutifs  » du pays ne pouvaient pas exercer pleinement leur citoyenneté, l’accès à certaines charges étant conditionné à une «  clé  » ethnique.

Le système entraîne une hypertrophie administrative nullement garante d’un service public de qualité rendu aux citoyens. Bien au contraire, la moindre démarche, comme une plainte administrative ou le paiement d’une pension de retraite, oblige à une véritable course d’obstacles entre les différents niveaux administratifs. En revanche, il se révèle très précieux pour les trois partis nationalistes qui contrôlent le pays. En effet, il permet de partager 
les postes et les prébendes de l’État, ce qui permet d’acheter facilement des loyautés.

Une décision que prendrait le Parlement de la fédération doit être acceptée par les Parlements des cantons pour entrer en application. Ainsi, lorsque les partis «  citoyens  », principalement le Parti social-démocrate, ont remporté les élections, en 2000 puis en 2010, ils ont été incapables d’amorcer le moindre changement, du fait de ces blocages permanents du «  système  », qui ne sert que les intérêts des partis nationalistes. Ceux-ci avaient remporté les premières élections pluripartites du pays en 1990. Ils ont été reconnus comme des «  garants  » des accords de paix de Dayton en 1995. Et ils dominent à nouveau la vie politique depuis les élections de l’automne 2014.

En février 2014, pourtant, un mouvement social avait tenté de secouer cette chape de plomb. Parti de la ville ouvrière de Tuzla, en fédération, le mouvement dénonçait à la fois le grand vol des privatisations et la gabegie d’une classe politique surdimensionnée, inefficace et corrompue. Le mouvement s’est vite étendu à Sarajevo, Zenica, Mostar, bousculant, en fédération, le clivage entre Bosniaques et Croates. En revanche, les autorités serbes ont réussi à empêcher la «  contagion  » de la colère sociale.


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