Chantiers de l’Atlantique : parfois, Sarkozy nationalise

lundi 16 juin 2008.
 

Par Augustin Scalbert

Nicolas Sarkozy, qui a piloté plusieurs privatisations, annonce une nationalisation partielle. Une stratégie à géométrie variable.

L’Etat cherche-t-il à renationaliser les chantiers ?

Le coup capitalistique concocté par le gouvernement français a surpris la planète entière. Matignon et l’Elysée viennent d’annoncer leur intention de racheter une partie des Chantiers de l’Atlantique, après de discrètes tractations avec le propriétaire coréen du propriétaire norvégien du fleuron de Saint-Nazaire.

Pas très clair ? 9% des actions du groupe Aker Yards France, qui possède 75% des Chantiers de l’Atlantique, reviendront au pays dans les prochains mois. La transaction, qui porterait sur "quelques dizaines de millions d’euros", a été négociée directement entre la France et le groupe coréen STX Shipbuilding, qui possède 39% du capital du groupe norvégien Aker Yards depuis fin 2007. La maison-mère norvégienne a d’ailleurs fait part de sa surprise de n’avoir pas été consultée, mais n’a pas publié son communiqué sur son site français.

Une revendication syndicale satisfaite

En vertu du "décret anti-OPA" du 30 décembre 2005, l’Etat aura la possibilité d’influencer la stratégie des Chantiers, avec un droit de veto sur les grandes décisions. De plus, le gouvernement français possède un droit de préemption sur les 25% d’actions restantes, que le groupe Alstom -ancien propriétaire des Chantiers- s’est engagé à conserver jusqu’en 2010. Il possèderait ainsi une minorité de blocage.

En annonçant cette nationalisation très partielle, Nicolas Sarkozy satisfait une revendication exprimée dès la fin de l’année dernière par les syndicats de Saint-Nazaire. Ceux-ci craignaient un transfert de technologies vers la Corée du Sud, qui est aujourd’hui l’un des principaux acteurs mondiaux de la construction navale.

Mais une nationalisation complète n’est évidemment pas à l’ordre du jour. Gilles Le Blanc, professeur d’économie à l’école des Mines de Paris et spécialiste des politiques économiques industrielles, explique comment s’effectue cette "prise d’influence" sans prise de contrôle capitalistique :

Pourquoi Sarkozy sauve-t-il les chantiers navals et pas Gandrange ?

Pour Nicolas Sarkozy, ce "sauvetage" des Chantiers de l’Atlantique vise aussi à effacer l’échec de Gandrange, le site sidérurgique lorrain où Arcelor-Mittal vient d’enclencher un plan de restructuration malgré les promesses présidentielles. Instruit par le fiasco du feuilleton économico-politique de l’hiver, le Président a eu la prudence de ne rien annoncer avant d’obtenir ce qu’il souhaitait : "L’effet d’annonce est absolument renversé par rapport à Arcelor-Mittal", remarque Gilles Le Blanc.

La différence entre les deux cas tient aussi à des raisons capitalistiques : par le truchement du groupe français Alstom, que le ministre de l’Economie Nicolas Sarkozy avait sauvé du naufrage en 2004, l’Etat a prise sur les chantiers, qui ne sont pas totalement en mains étrangères, contrairement à Mittal.

Un actif stratégique, des craintes de fuites technologiques

Ensuite, les chantiers de Saint-Nazaire, qui ont construit par le passé le porte-avions Foch et d’autres vaisseaux de guerre, travaillent toujours dans ce domaine, en collaboration avec les anciens arsenaux nationaux DCNS. Saint-Nazaire est donc un "actif stratégique" pour le gouvernement, comme l’explique le Président dans un communiqué.

En terme militaire, mais aussi d’un point de vue économique : l’avantage de l’Europe au niveau mondial réside aujourd’hui dans son savoir-faire, ses compétences et ses technologies. Autant d’actifs immatériels, dont certains auraient été transférables au rival coréen...

Autre motif de satisfaction pour le gouvernement, en ces temps de "patriotisme économique" : la France se replace un peu sur un marché promis à une forte expansion. Et Nicolas Sarkozy pourra en tirer un bénéfice auprès de la base populaire de son électorat, justement celle qui se sent le plus frustrée en termes de pouvoir d’achat. "La construction navale va retrouver un boom", annonce Gilles Le Blanc :

Arrive-t-il à d’autres pays occidentaux de nationaliser ?

L’intervention d’Etats dans les affaires d’entreprises privées semble être un must en ces temps de capitalisme financier incontrôlé. En 2004, le gouvernement autrichien avait sauvé la quatrième banque du pays, Bawag, au bord de la faillite en raison d’une gestion hasardeuse, en investissant massivement.

Plus récemment, on a vu le Royaume-Uni soutenir la banque Northern Rock, victime de la crise des "subprimes". La banque d’Angleterre a commencé par lui prêter 25 milliards de livres sterling, en attendant que les candidatures au rachat se précisent. Celles-ci n’aboutissant pas, la banque a finalement été provisoirement nationalisée, en février. Un comble au pays de Margaret Thatcher. Toujours pour soutenir une victime de la crise des "subprimes", aux Etats-Unis, la Fed a autorisé la banque JPMorgan Chase à renflouer la banque Bear Sterns.

Chez les Anglo-Saxons, on nationalise plus discrètement

Dans les pays anglo-saxons, "ces opérations ne sont pas présentées comme des opérations de politique industrielle, avec un réel affichage, comme par le passé en France, et comme le gouvernement souhaiterait que ce soit le cas à l’avenir", explique l’économiste de l’école des Mines :

La Corée du Sud, qui est déjà plus qu’un tigre sur le marché mondial de la construction navale, n’est pas en reste : plusieurs litiges sont en cours à l’OMC en raison d’aides directes ou indirectes aux acteurs du secteur...

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